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À La Une - Colloque 4M

Liban : la revanche du web

La blogosphère libanaise peut-elle bouleverser les règles politiques en place depuis des décennies ? Ci-après, un article publié dans le cadre du lancement, jeudi à Montpellier, de la deuxième édition du colloque 4M, réunissant une centaine de blogueurs et de journalistes venus du monde entier.

Abir au cours de la manifestation du 14 janvier organisée par l’association féministe libanaise Nasawiya.

Khodor Salamé et Abir Ghattas font partie des blogueurs libanais les plus influents. Grâce à leurs ordinateurs, leurs téléphones portables et leurs appareils photos, ils relaient quotidiennement à des milliers de concitoyens leurs idées et actions politiques sur le terrain.

 

Le Liban compte aujourd’hui plus de 500 blogueurs actifs, traitant de sujets très divers (photographie artistique, droits de la femme, politique…). Depuis quelques années, ces derniers ont permis, si ce n’est de faire une révolution, du moins de redonner espoir à beaucoup de jeunes (et de moins jeunes) qu’un changement est possible. La blogosphère politique perturbe et défie ouvertement les règles du jeu en place depuis des décennies.

 

Deux blogueurs qui dérangent

A 24 ans, Abir a déjà à son actif une longue liste de combats réussis grâce à sa présence sur le web. En parallèle à ses études en informatique, elle décide de se consacrer à sa passion, la photographie. Son blog était tout d’abord une sorte de journal intime, pour y exposer ses photos et laisser libre court à son engagement féministe. Mais au fil des années et de son succès grandissant, il s’est « professionnalisé » en devenant une référence en matière d’enjeux sociopolitique au Liban, surtout en ce qui concerne les télécommunications et les droits de la femme.

 

Abir a déjà reçu des appels téléphoniques d’un ministre lui demandant sans ménagement de retirer des vidéos où on le voit dans une position délicate au cours d’une conférence de presse. Mais la jeune blogueuse ne s’est pas laissée intimider. « Je ne vais pas faire le travail à moitié, s’il y a des choses à dire et à montrer, elles le seront ».

 

 

Son blog : www.abirghattas.com

- Date de lancement : mai 2008

- Sujet : Photographies et billets sur des enjeux sociaux et politiques

- Langue : Arabe et anglais

- Amis sur Facebook : 1 538

- Abonnés sur Twitter : 4 318

 

 

Après des études de sociologie en France, Khodr décide de retourner au Liban. Il travaille dans le journalisme, puis comme consultant pour des médias. Souvent cité comme une des figures proéminentes de l’activisme au Liban, Khodr vient de recevoir à 25 ans le prix BOBs 2012 du meilleur blog en langue arabe (concours international pour blogueurs, organisé annuellement par la radiotélévision allemande Deutsche Welle)

 

Khodr raconte comment, un an après avoir lancé son blog, « Jou3an » (celui qui a faim), il est arrêté et interrogé par les services de renseignements. Dans le billet « La république de la corruption », il s’en prend ouvertement au président de la République, au Premier ministre et au président du Parlement. « C’est paradoxalement cette arrestation qui m’a rendu célèbre et qui a contribué à populariser mon blog ! », dit-il.

 

 

Son blog : http://jou3an.wordpress.com/

- Date de lancement : Août 2009

- Sujet : Sur les enjeux sociopolitiques et les causes humanitaires au Liban et dans le monde arabe

- Langue : Arabe

- Amis sur Facebook : 3 402

- Abonnés sur Twitter : 852


 

« Les Libanais entretiennent avec la politique une relation malsaine »

Les deux blogueurs s’accordent à dire que la société libanaise est très politisée, « mais de façon malsaine, car elle sert à diviser », selon Abir. « A l’école, en famille, entre amis, au café, à la piscine, toutes les conversations tournent autour de la politique, explique la blogueuse. Le problème, c’est que les Libanais confondent politique avec partis politiques ». Pour Khodr, cet amalgame est très grave et résulte d’une relation clientéliste entre le citoyen et ses chefs confessionnels.

 

« Les Libanais n’ont pas de conscience politique citoyenne. Ils se dévouent entièrement à leur confession, ensuite au parti politique qui représente cette confession. L’intérêt pour l’État n’arrive qu’en troisième position, regrette-t-il. Tant que ce schéma ne changera pas, la politique au Liban n’aura aucun intérêt. Elle sert uniquement à renforcer la place des chefs confessionnels qui alimentent les divisions pour se maintenir au pouvoir sans s’attaquer aux problèmes de fond du pays ».

 

Khodr au cours de la manifestation de la Laïque Pride du 6 mai.

 

Le web prend sa revanche sur un espace public quasi-inexistant

Pour Abir, le web a surtout permis de donner une visibilité et une voix à toutes les personnes qui ne se reconnaissent plus dans le schéma classique qu’impose la société libanaise. La notion de sphère publique a depuis longtemps perdu son sens. Le web est en train de combler cette place béante.

 

Avec un taux de pénétration de 30% de Facebook et moins de 10% de Twitter, le web et les réseaux sociaux n’ont pas bouleversé la société libanaise, « mais on peut dire qu’ils ont fortement contribué à briser beaucoup de frontières psychologiques qui empêchaient des milieux différents de se rencontrer, de se mélanger ou même de partager des opinions politiques de manière civilisée, explique Khodr. Se confronter à l’Autre libanais, sortir de sa bulle et se rendre compte, qu’après tout, ce n’est pas l’enfer comme disait Sartre, c’est déjà un pas énorme, un choc positif, permis grâce au web ».

 

D’ailleurs, ce changement en train de s’opérer à travers la toile, les politiciens l’ont vite compris. Par exemple, l’ancien Premier ministre, Saad Hariri, a fait une entrée très médiatisée sur Twitter, il y a quelques mois. « Aujourd’hui, la plupart des hommes politiques sont présents en ligne, sur Facebook ou Twitter, indique Abir. N’importe qui peut s’adresser directement à eux, chose inimaginable il y a encore quelques années ».

 

Khodr est plus mitigé sur l’importance de leur présence sur le web. « Ils ont des équipes entières qui gèrent leurs comptes et leurs conversations avec les citoyens. Tout mot déplacé ou dérangeant est immédiatement supprimé ». Selon lui, on est encore très loin d’un dialogue sincère sur le web entre les citoyens et leurs représentants politiques. Il n’existe pas de véritable système de reddition des comptes qui tiendrait pour responsables les politiciens de leurs paroles et actions.

 

 

Le terrain, condition sine qua non pour le succès du web

Les blogueurs libanais sont en général des jeunes qui n’appartiennent à aucun parti politique et qui s’affirment comme libres-penseurs. « C’est ce qui fait notre force et nous donne une crédibilité auprès des lecteurs, fatigués d’entendre toujours les mêmes discours », explique Khodr. « Mais être uniquement actif sur nos blogs et les réseaux sociaux, sans participer aux manifestations ni s’impliquer auprès des gens sur le terrain, ne sert à rien », s’accordent à dire les deux blogueurs.

 

Abir est fière de parler de la mobilisation du 14 janvier pour lutter contre « la légalisation du viol ». « Grâce à une campagne sur le web très percutante, avec des statistiques, des infographies et des témoignages, nous avons réussi à mobiliser plus de 1 000 personnes, sous la pluie, pour réclamer l’abolition de certaines lois moyen-âgeuses qui ne reconnaissent pas le viol marital ou qui ne condamnent pas le violeur pour peu qu'il épouse sa victime, par exemple ».

 

Khodr, lui, se rappelle d’un billet de son blog qui appelait les Libanais à ne pas voter pour la grotte de Jeita afin d'en faire une des sept nouvelles merveilles du monde. « Ça avait fait scandale à un moment où tout le pays était mobilisé en faveur de cette grotte. Mais ça avait aussi permis à des centaines de concitoyens de réfléchir à la bêtise de ce concours et aux enjeux mafieux et financiers cachés derrière ».

 

De toute façon, c’est ainsi que Khodr conçoit le rôle du web, « principalement comme un outil de réflexion, qui donnera les clés aux citoyens pour réclamer un changement ».

 

Abir confie qu’elle est souvent pessimiste quand elle réfléchit aux réelles possibilités de changement au Liban. « Mais en tant que blogueuse, je ne peux pas me permettre de baisser les bras ». Une phrase que se répètent à longueur de journées les blogueurs libanais qui croient encore au changement… Pour combien de temps ?

 

 

Cet article a été initialement publié sur 4M le blog.
Khodor Salamé et Abir Ghattas font partie des blogueurs libanais les plus influents. Grâce à leurs ordinateurs, leurs téléphones portables et leurs appareils photos, ils relaient quotidiennement à des milliers de concitoyens leurs idées et actions politiques sur le terrain.
 
Le Liban compte aujourd’hui plus de 500 blogueurs actifs, traitant de sujets très divers (photographie...

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