Certes, la situation dans chacun de ces pays est différente. Le chaos règne en Libye où les dirigeants sont déterminés à instaurer la charia. En Tunisie, Ennahda rejette l’islamisme radical et se dit proche du Parti pour la justice et développement du Premier ministre turc Erdogan, et des modèles turc, malaisien et indonésien qui combinent islam et modernité. Mais beaucoup mettent en question la sincérité des dirigeants du parti qui selon eux est fondamentalement un parti islamiste conservateur. Et bien qu’il ait exprimé son soutien en faveur des droits de la femme et de l’égalité des droits civils entre sexes, dans la rue les agressions contre les femmes et les débits de boisson par des salafistes barbus sont monnaie courante. En Égypte, larvée depuis des mois, la lutte pour le pouvoir entre les Frères musulmans, qui tiennent le Parlement, et le Conseil suprême des forces armées qui dirige le pays est désormais frontale avec la qualification au premier tour du scrutin du candidat Frère musulman, Mohammad Morsi, et du général Ahmad Chafiq, dernier Premier ministre de Moubarak. Le scrutin, loin d’apaiser les tensions, polarise les Égyptiens et réveille la colère de ceux qui refusent de choisir entre islamistes et militaires, et qui estiment s’être fait voler leur révolution. Quant à Morsi, ses déclarations sont pour le moins contradictoires. D’un côté, il a déclaré ne pas vouloir imposer aux femmes le port du hijab. Et, pour rallier les partisans du courant libéral ainsi que les coptes, d’un côté, il a qualifié ces derniers de « frères et de partenaires ayant des droits complets comme les musulmans ». Et de l’autre, il aurait déclaré que l’Égypte sera islamique et que les chrétiens devront payer la jizia ou émigrer. Quelle que soit l’issue du scrutin, on peut déjà dire que si, en Égypte et en Tunisie, le printemps arabe a débouché sur une avancée démocratique, il traduit une régression idéologique et culturelle qui représente une menace pour les libertés des femmes et des minorités, et risque même de se transformer en un rude hiver pour l’ensemble de la société.
Le cas syrien
Infiniment plus inquiétant est le cas de la Syrie où rôde le spectre de la guerre civile et même d’un éclatement du pays qui aurait des répercussions régionales désastreuses, notamment sur le Liban. Certes, le caractère dictatorial et criminel du régime n’est plus à démontrer. Mais il n’existe pas à ce stade d’alternative crédible, avec une opposition divisée dont les combattants sont infiltrés par des extrémistes islamistes payés par l’étranger. Et, au vu du rapport de force sur le terrain, il est improbable qu’elle puisse le renverser, même en bénéficiant d’une hypothétique intervention militaire étrangère. Enfin, à supposer qu’elle prenne le pouvoir dans ces conditions, nul ne peut être certain qu’elle n’instaurera pas un régime islamiste. Sans compter le risque de représailles contre les partisans du régime actuel et la communauté alaouite de la part de la majorité sunnite avide de revanche après 40 ans de confiscation du pouvoir par une minorité autrefois méprisée. Scénario où la communauté chrétienne pourrait être prise entre deux feux comme cela avait été le cas en Irak.
Dans ces conditions, il est difficile de souscrire aux thèses de ceux qui, comme M. Hollande, n’écartent pas la possibilité d’une intervention militaire de la « communauté internationale ». Et sur ce point, les arguments de M. Poutine, qui ont d’ailleurs reçu l’approbation de la chancelière allemande, ne manquent pas de pertinence. Cela bien que, à l’évidence, la politique étrangère russe soit uniquement guidée par les intérêts et que les considérations humanitaires y tiennent peu de place. Seule donc une solution politique avec une période de transition à la yéménite, où l’on offrirait une porte de sortie acceptable à Bachar el-Assad et à son clan, est souhaitable. Mais cela n’arrivera que quand les deux parties seront épuisées. En attendant, avec une opposition qui refuse le dialogue et le régime, et même toute une communauté qui lutte pour sa survie, l’impasse est totale. Bien que la chute du clan Assad soit inéluctable à terme, le bain de sang risque donc de se prolonger pendant des mois et même des années, comme au Liban. Et les Syriens doivent malheureusement s’attendre à vivre un long hiver encore plus rude que celui que connaissent les autres peuples touchés par l’éphémère printemps arabe.
Ibrahim TABET
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