En annonçant hier sa démission, le Premier ministre Saad Hariri a créé le choc, comme il l’a souhaité. Un choc devenu nécessaire, selon lui, après treize jours de fronde populaire que l’équipe au pouvoir n’a pas réussi à calmer.
Devant l’intransigeance de ses partenaires politiques dans le cadre du compromis présidentiel de 2016, et leur refus de lâcher du lest et de consentir à sacrifier le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, dans le cadre d’un remaniement ministériel, voire même d’un nouveau gouvernement réclamé à cor et à cri par les protestataires, M. Hariri a choisi de les placer au pied du mur.
En rendant le tablier sans même avoir consulté auparavant le président, ni même le CPL, Saad Hariri a voulu créer une brèche pour tenter de sortir de l’impasse, tout en laissant la porte ouverte à son éventuel retour à la tête de l’exécutif, sous certaines conditions toutefois.
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Les sources proches du Sérail ont effectivement évoqué la possibilité pour M. Hariri d’accepter de former un gouvernement s’il est à nouveau désigné, sauf que le nouveau cabinet devrait être formé d’experts ou de personnalités neutres, dont la probité est reconnue. Une formule qui est censée contenter la rue. Si ses conditions sont acceptées, cela signifierait que le président et surtout ses alliés du Hezbollah et du reste du camp du 8 Mars auraient fait preuve d’ouverture à l’égard des revendications de la rue. Sauf que pour l’heure, et après le message musclé envoyé hier par le tandem chiite aux manifestants quelques heures à peine avant l’annonce de la démission, la position du Hezbollah reste la plus grande inconnue.
Le parti chiite – le seul avec le mouvement Amal à avoir été informé de la démission au préalable – n’a toujours pas commenté officiellement l’initiative du Premier ministre. C’est par le biais de l’un de ses ministres, Mohammad Fneich, que le parti a indirectement laissé entendre qu’il ne consentirait pas à un cabinet dont il serait exclu. « Qu’on ne minimise pas l’importance de certaines composantes politiques qui ont leur mot à dire et leur prise de position », a indiqué M. Fneich dans un entretien à l’agence al-Markaziya. « L’exclusion est inacceptable », a-t-il ajouté, en évoquant une « insurrection » contre le parti, une tentative de changer « l’équation » en place et le spectre du « chaos » déjà brandi vendredi dernier par le secrétaire général du Hezbollah. Ce dernier avait, rappelons-le, clairement exprimé un triple niet, soulignant que les symboles du sexennat actuel – le président de la République, le gouvernement et le Parlement – ne sauraient être remis en cause.
Le Premier ministre a beau dire à ses partenaires politiques qu’« il existe aujourd’hui une opportunité sérieuse qu’il ne faut pas perdre », il n’est pas dit que le Hezbollah puisse accepter la mise sur pied d’un gouvernement politiquement incolore. Cela signifierait que le parti chiite aurait acquiescé à l’idée de torpiller le bouclier de protection que lui assurait le compromis présidentiel, lui garantissant, jusqu’ici, une légitimité à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur.
À Baabda, on prend le temps d’absorber le choc. Les sources proches du président ont indiqué hier que M. Aoun prendra un temps de réflexion avant de se prononcer. Le président ne prendra aucune initiative avant d’avoir préalablement mis sur les rails une feuille de route et défini la forme que prendra le prochain gouvernement.
Aucun commentaire officiel non plus de la part du CPL, à l’exception de quelques réactions issues des milieux aounistes, où l’on reproche à M. Hariri d’avoir « fui ses responsabilités ». On en veut également au Premier ministre d’avoir « omis de coordonner » avec la mouvance aouniste pour mettre au point un plan de sortie, et d’avoir outrepassé le CPL, qui se présente comme l’un des partis les plus influents sur la scène interne et l’un des piliers du compromis.
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En s’abstenant de consulter le courant de Gebran Bassil avant de prendre sa décision, M. Hariri a vraisemblablement voulu rendre au chef du CPL (mais aussi au chef de l’État) la monnaie de sa pièce et lui rappeler qu’il avait, en vain, œuvré à trouver une sortie de crise. Les dernières tentatives en date – notamment celle destinée à former un gouvernement de technocrates qui n’inclurait aucune figure politique – avaient buté contre le refus du CPL de voir M. Hariri lui-même présider un cabinet non politique. Si Gebran Bassil se désistait, Saad Hariri devait le faire également. On part tous ensemble ou on reste tous, selon la logique défendue par le CPL. Hier, M. Hariri a voulu redresser la barre et rappeler implicitement qu’un Premier ministre ne saurait être placé au même rang qu’un ministre.
Également rejetée, la formule qui consistait à opter pour des ministres non représentés au Parlement, une manière subtile d’écarter M. Bassil. Une proposition que le Hezbollah aurait clairement refusée, ne voulant pas se départir de son allié chrétien, stratégique pour sa survie. D’où l’impasse.
En attendant, les yeux sont rivés sur Baabda. Le chef de l’État devrait en principe confier à M. Hariri la charge d’expédier les affaires courantes. La question est de savoir si les exigences du chef du gouvernement démissionnaire seront prises en compte et si le chef de l’État acceptera, sous la pression de la démission, ce qu’il avait refusé au cours des dix derniers jours.
Si les résultats des consultations parlementaires contraignantes débouchent sur une personnalité sunnite alignée sur le camp du 8 Mars qui serait chargée de former le gouvernement, le scénario d’une confrontation avec le soulèvement populaire est envisageable, comme l’ont évoqué des sources proches du Sérail. Cela signifierait qu’une répression du mouvement pacifique est à prévoir, mais également le risque d’une réédition des incidents du 7 mai 2008. La colère qui s’est emparée hier de la rue sunnite à Beyrouth est un signe avant-coureur de ce qui pourrait advenir.Le dernier scénario enfin serait celui du statu quo, à savoir qu’aucun nouveau gouvernement n’est formé et que M. Hariri continue d’expédier les affaires courantes. Une situation qui ne fera qu’aggraver la crise sans pour autant faire sortir les protestataires de la rue.
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commentaires (16)
FAUT IMPERATIVEMENT QUE LES MANIFESTANTS DONNENT UN DELAI MAXIMAL DE 10 JOURS -TOTAL NON PAS OUVRABLES- POUR QU'ILS FORMENT LE GOUV. PAS PLUS SINON NOUS REVENONS A LA RUE ! PAS QUESTION QU'ILS SE JOUENT DE NOUS ENCORE UNE FOIS. Chat échaudé craint l'eau froide. "Once bitten twice shy "
Gaby SIOUFI
16 h 05, le 30 octobre 2019