Les derniers développements en Syrie, de Deir ez-Zor à Alep, ont montré que l'accord conclu en principe entre les États-Unis et la Russie est un véritable marché de dupes. Les deux puissances sont certes conscientes de l'importance de trouver une entente au sujet de la guerre en Syrie, ne serait-ce que pour arrêter le bain de sang et pour éviter l'expansion de Daech et de ses semblables en profitant du chaos. Mais, en même temps, chaque puissance mise sur un affaiblissement de l'autre et souhaite en tirer profit pour imposer des conditions en sa faveur. C'est d'ailleurs, selon une source diplomatique du Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), une des raisons qui ont poussé le représentant des États-Unis à refuser la publication du contenu de l'accord.
Si les États-Unis ont fait des concessions dans le cadre de cet accord, leurs alliés inquiets et méfiants ne devaient pas le savoir. Mais, même sans connaître les détails de cet accord, la presse des pays du Golfe ainsi que les médias israéliens ne se sont pas privés de le critiquer et de le considérer en faveur de la Russie et de ses alliés, en particulier l'Iran et le régime syrien. Un véritable tollé a commencé à se soulever contre cet accord, non seulement dans la région, mais aussi à l'intérieur des États-Unis, où, à deux mois de l'élection présidentielle, la Maison-Blanche est plus faible que les autres centres de décision de l'administration américaine, comme le Pentagone, la CIA, le département d'État et le Conseil de sécurité nationale. Certains de ces centres de décision au sein de l'administration américaine ne sont pas convaincus de la démarche de la Maison-Blanche de vouloir conclure un accord au plus vite avec la Russie sur la Syrie et de le consacrer par une résolution du Conseil de sécurité, pour qu'il devienne une référence validée par l'Onu, dans toute négociation ultérieure. La démarche est logique et elle est à l'honneur du président Barack Obama qui souhaite dessiner les grandes lignes de la solution en Syrie avant de quitter la Maison-Blanche pour laisser à son successeur un héritage positif, contrairement à ce qu'il avait lui-même reçu lorsqu'il avait fait son entrée à la Maison-Blanche en janvier 2009.
Elle se heurte toutefois à un terrible obstacle qui se résume comme suit : depuis son déclenchement en 2011, et quelle que soit l'approche retenue dans la détermination des responsabilités, le conflit syrien est passé par plusieurs étapes et a vu des changements d'acteurs, notamment au sein des forces de l'opposition, sans jamais parvenir à un affaiblissement déterminant du régime syrien. Avec l'aide de ses alliés, le régime de Bachar el-Assad est parvenu à stabiliser son pouvoir, alors qu'en face les différentes factions de l'opposition n'ont pas réussi à s'imposer ou s'unir autour d'un même projet. De Genève à Vienne et même à New York, toutes les réunions destinées à trouver une solution au conflit syrien se sont heurtées au même problème : qui va être l'interlocuteur face au régime dans les négociations sur l'avenir de la Syrie et sur le nouvel équilibre des pouvoirs ? L'une après l'autre, les factions se sont discréditées ainsi que les personnalités qui ont fait défection et sur lesquelles misaient les adversaires du régime. Toutes les tentatives menées à partir de la Turquie ou de la Jordanie pour former « des combattants modérés » ont été vouées à l'échec, et, sur le terrain, ce sont toujours l'État islamique et le Front al-Nosra (qui reste considéré comme terroriste malgré son relookage en « Armée pour la conquête de Damas ») qui parviennent à s'imposer. Les États-Unis et leurs alliés ont bien essayé d'avancer des formations soi-disant modérées, ces manœuvres ont rapidement été dénoncées par les Russes et leurs alliés, et elles ont en tout cas montré leurs limites.
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C'est pourquoi, le véritable obstacle, selon la source diplomatique du Brics, qui empêche la conclusion d'un accord sur la Syrie, c'est le fait que les États-Unis et leurs alliés ne parviennent pas à se doter d'une force crédible, qui soit à la fois modérée et en mesure de s'imposer sur le terrain, face à la fois à Daech et ses semblables, et face au régime et ses alliés. D'ailleurs, le conseiller du président américain Barack Obama pour les questions du Moyen-Orient, Robert Malley, l'a clairement déclaré dans une interview récente : les États-Unis préfèrent que le conflit en Syrie se poursuive, s'ils n'ont pas de carte forte sur place, face à celles de la Russie, même si cela doit prolonger indéfiniment la guerre et, éventuellement, profiter momentanément à Daech.
Poussé par son président, le secrétaire d'État américain John Kerry a donc négocié avec son homologue russe, en pensant que ce dernier est affaibli, puisqu'il a accepté toutes les propositions de trêve sans discuter. Mais il a trouvé en face de lui un interlocuteur ferme qui discute en position de force, en raison des derniers points marqués sur le terrain par les forces du régime et leurs alliés, et en raison du processus de réconciliation initié dans certaines régions. Il a donc dû céder sur certains points, notamment le sort du président Assad, au moins momentanément, en espérant cacher les détails de l'accord. Mais il n'a pas pu convaincre le Pentagone de l'utilité de créer un centre de coopération militaire. C'est dans ce contexte que s'est produite la « bavure » de Deir ez-Zor, lorsque les avions de la coalition menée par les États-Unis ont bombardé pendant plus de 50 minutes des positions de l'armée syrienne, faisant plus de 80 morts. Bavure ou pas, ces raids ont empêché l'armée syrienne et ses alliés de progresser vers l'Est et de parvenir à rétablir la fameuse jonction de Téhéran, Bagdad jusqu'en Syrie et au Liban qui avait commencé à se matérialiser avant la naissance de l'EI en 2014.
Et maintenant ? Selon le diplomate du Brics, les États-Unis et la Russie n'ont pas d'autre choix que de continuer à dialoguer, tout en cherchant à améliorer leurs positions respectives à travers le terrain syrien. Dans ce bras de fer qui se joue à l'échelle mondiale, le dossier syrien n'est qu'un épisode.
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09 h 58, le 28 septembre 2016