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Maliki, « l’homme fort » de Bagdad à défaut de mieux - Irak

Maliki, « l’homme fort » de Bagdad à défaut de mieux

Au crédit du Premier ministre sortant, considéré en partie responsable de la détérioration de la situation sécuritaire depuis 2010 : l'amélioration de l'économie et un pays à la pointe des réformes politiques dans le monde arabe et musulman.

Le Premier ministre irakien sortant Nouri al-Maliki, quoique fortement contesté, se dit optimiste sur l’obtention d’un troisième mandat. Photo AFP

En dépit de plus de 50 attaques et attentats sanglants mercredi dernier, jour où se tenaient les législatives, les Irakiens ont vaillamment défié les violences et se sont rendus aux urnes pour élire leur Parlement. Dans un pays gangrené par la corruption, le chômage, l'absence de services publics corrects, les violences meurtrières quotidiennes et les tensions intercommunautaires, une majorité d'Irakiens ont voté pour « changer l'avenir » et mis dans leur bulletin l'espoir de chasser des élus honnis. Les premiers résultats du scrutin ne sont pas attendus avant la mi-mai et le Premier ministre sortant Nouri al-Maliki, quoique fortement contesté, se dit optimiste sur l'obtention d'un troisième mandat. Toutefois, dans l'attente des résultats et face à la multiplication des groupes politiques, la formation d'un nouveau gouvernement en Irak pourrait prendre plusieurs mois.

En outre, dans une région divisée par le conflit syrien, l'Iran, les États-Unis et les monarchies arabes du Golfe apparaissent comme de véritables faiseurs de roi. Les luttes d'influence régionale atteignent ainsi le cœur du processus électoral irakien, beaucoup voyant dans nombre de candidats des agents à la solde de puissances étrangères qui tentent d'imposer à Bagdad un gouvernement qui leur soit loyal.

Analysant cette équation complexe, Karim Pakzad, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), estime que Nouri al-Maliki possède à son actif l'amélioration de l'économie catastrophique du pays. « La production du pétrole en 2013 s'élèverait à 3,5 millions b/j, dépassant l'Iran », déclare l'expert de l'IRIS. Mais les revenus pétroliers servent en grande partie aux dépenses militaires et peu d'argent est investi pour améliorer les prestations sociales ainsi que les services publics, tempère M. Pakzad. « Sous le second mandat de M. Maliki, la situation sécuritaire quelque peu améliorée avant 2010 subit une nouvelle aggravation. Toutefois, il n'est pas l'unique responsable de cette recrudescence des violences », ajoute l'analyste.

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Une « bonne chose »
Son collègue Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l'Institut Thomas More et collaborateur d'Hérodote (revue de géographie et de géopolitique), fait remarquer également que les violences entre communautés et confessions se sont fortement accrues ces derniers mois. « À l'évidence, M. Maliki eût été bien inspiré de signer un accord de sécurité avec les États-Unis et d'accepter une présence militaire américaine résiduelle. Espérons que le futur président afghan médite la chose et signe un accord de ce type avec Washington », dit l'expert, soulignant le danger dans toute la région.

Sur les plans politique et sécuritaire, le bilan de M. Maliki est négatif, juge M. Mongrenier, assurant que le repli du Premier ministre sur sa communauté chiite, et de fait sa politique exclusive, a renforcé l'animosité des Kurdes et des sunnites. « Les blocages politiques, expression des clivages et contradictions ethnico-confessionnelles de l'Irak, et de la complexité du système fédéral, la mauvaise gouvernance, le climat d'insécurité et la corruption, ont aussi des retombées négatives sur l'économie », dit-il. D'après l'expert de l'Institut Thomas More, la manne pétrolière se « dissipe » dans les circuits politiques et n'est pas réinvestie dans les infrastructures ou dans la reconstitution d'une base productive. « En revanche, la vie politique est active, le multipartisme et la liberté de la presse sont réels. Certes, on craint que le scrutin législatif ne soit pas totalement équitable, notamment dans les provinces sunnites, mais la ferveur politico-électorale que l'on a observée en ce 30 avril est une bonne chose », ajoute-t-il.

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C'est là le paradoxe : si la situation géopolitique interne est très instable, l'Irak est aussi un pays à la pointe des réformes politiques dans le monde arabo-musulman, affirme M. Mongrenier. « Il reste que l'objectif d'un système politique est d'assurer la paix et la sécurité sur le territoire pris en charge, afin que les autres activités humaines puissent se déployer : on ne vote pas pour voter. La démocratie repose sur un certain nombre d'idéaux et de valeurs, mais c'est d'abord un régime politique qui doit accomplir ses finalités propres », estime l'analyste.

Raison fondamentale
De son côté, M. Pakzad considère qu'il y a une raison fondamentale à la confusion de la situation en Irak. Les sunnites, minoritaires en Irak, ont gouverné le pays depuis son existence. Ils n'ont toujours pas accepté la chute de Saddam Hussein et certains éléments de l'opposition armée sont baassistes. Les pays arabes dans leur ensemble n'ont pas accepté non plus l'existence d'un pays arabe gouverné par les chiites et présidé par un Kurde. En outre, pour l'Arabie saoudite et Qatar, engagés dans une rivalité régionale avec l'Iran, un pouvoir chiite en Irak est particulièrement inacceptable. « D'où le soutien apporté par ces pays aux organisations armées terroristes telles Daech (l'État islamique en Irak et au Levant – EIIL, ancienne émanation d'el-Qaëda) », assure-t-il.

« Ceci dit, M. Maliki a une part de responsabilité dans cette situation. Faisant de la sécurité sa priorité, il a eu une attitude très autoritaire et n'a pas tenu compte des revendications de la communauté sunnite », ajoute Karim Pakzad. Sa gouvernance despotique suscite en outre les mécontentements de ses alliés chiites et kurdes, dit-il. « Cependant, les Irakiens, notamment les chiites, préféreraient en l'état actuel des choses un homme fort comme Nouri al-Maliki plutôt qu'un dirigeant qui n'a pas fait ses preuves. Il est donc fort probable que la coalition de M. Maliki obtienne une nouvelle fois un score assez important, qui lui permettrait de négocier avec ses alliés à partir d'une position de force pour diriger l'Irak au cours d'un troisième mandat », affirme l'analyste de l'IRIS.

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« Le Kurdistan irakien est en situation de quasi-indépendance et Erbil conduit sa propre politique extérieure, notamment vers la Turquie, cette dernière constituant une passerelle vers l'Europe », estime pour sa part Jean-Sylvestre Mongrenier, de l'Institut Thomas More. Les Kurdes exportent des hydrocarbures et accueillent des investissements de majors en se passant de l'aval de Bagdad, d'où des relations très difficiles. En retour, M. Maliki a suspendu le traitement des fonctionnaires kurdes, ce qui renforce l'animosité réciproque. Dans les zones sunnites, Fallouja est tenue par des jihadistes, et Daech (ou l'EIIL) est fortement implanté de part et d'autre de la frontière entre la Syrie et l'Irak, rappelle M. Mongrenier. « Sur place, on peine donc à distinguer les partisans du jihad global, engagés dans une guerre illimitée pour instaurer un califat mondial, des radicaux islamiques inscrivant leur combat dans le cadre national étatique de l'Irak », dit l'expert.

Liban-Syrie-Irak, un arc d'instabilité
Cette situation explique que M. Maliki, contesté dans sa communauté par d'autres partis chiites, conserve pourtant un certain avantage politique. S'ils ne constituent pas un bloc monolithique, les chiites (60 % des Irakiens) ressentent toutefois le besoin d'un « homme fort », capable notamment de mener la lutte contre les jihadistes et d'instaurer les conditions de sécurité nécessaires dans le pays, dit encore M. Mongrenier. Bref, le facteur « chiite » est majeur dans la vie politique irakienne. « Dans une situation extrême, M. Maliki peut en jouer pour se maintenir au pouvoir. Mais bien sûr, cela ne va pas dans le sens de la concorde nationale », relate l'analyste.

En définitive, cela dépendra du nombre de députés que le parti de Nouri al-Maliki comptera. Si ce dernier se retrouvait en position dominante au Parlement, le risque serait alors que l'Irak soit dans une situation permettant à M. Maliki de faire fi des revendications kurdes et sunnites, avec des chocs en retour. À sa décharge, reconnaît M. Mongrenier, la situation géopolitique interne à l'Irak et celle de la région sont des plus difficiles. « Dans cet isthme qui relie la Méditerranée orientale au golfe Arabo-Persique, la structure géopolitique qui dérive des accords Sykes-Picot et de la négociation qui a suivi la Grande Guerre et la dislocation de l'Empire ottoman est en danger. L'ensemble Liban-Syrie-Irak constitue un arc d'instabilité et le conflit syrien a des retombées sur ses voisins. Cela ne peut qu'attiser l'hostilité réciproque et rend plus difficile encore l'établissement de compromis entre les forces politiques irakiennes », estime l'expert.
« L'impression dominante, poursuit M. Mongrenier, est celle de l'éclatement du champ politique et d'une fragilité d'ensemble du système partisan ». Selon lui, le parti de M. Maliki n'est pas un parti hégémonique, avec une opposition réduite à faire de la figuration, et sa coalition n'est guère solide. « La situation intérieure est trop tourmentée et les esprits insuffisamment matures pour faire émerger une vie politique en phase avec les standards des régimes politiques occidentaux (...). Il semble donc difficile de faire émerger une véritable classe dirigeante qui transcenderait les appartenances tribales et ethnico-confessionnelles, un personnel dégagé des politiques victimaires », affirme-t-il.

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Une opposition faible
« In fine, peut-on imaginer un nationalisme irakien qui dépasserait par le haut les lignes de partage internes à cet État ? » s'interroge M. Mongrenier. L'Irak, rappelle-t-il, est une formation étatique récente et il a été longtemps dominé par l'élément sunnite, de la période ottomane à la chute de Saddam Hussein. La transformation de la domination démographique chiite en domination politique est récente. En retour, les sunnites s'estiment marginalisés, ce qui n'est pas faux.

Pour sa part, Karim Pakzad estime qu'il existe des mouvements d'opposition, notamment de la part de la société civile, mais effectivement très faibles. « C'est dû à la composition de la société irakienne divisée en trois communautés : chiite, sunnite et kurde, dit l'expert. Même s'il existe des divergences parfois fortes entre les partis chiites et M. Maliki, ainsi qu'avec les Kurdes (...), la véritable opposition vient des sunnites, poursuit-il. Malheureusement, la militarisation de cette opposition ne sert pas les intérêts des sunnites. Au contraire, elle renforce l'instinct de défense des chiites, cibles de multiples attentats. »

Théâtre régional d'affrontement
D'un point de vue plus large, M. Pakzad affirme que les intérêts régionaux et internationaux influent sur la vie politique irakienne. L'Iran, les États-Unis et les monarchies arabes du Golfe, notamment, y ont un rôle prépondérant. L'Irak est le théâtre de la rivalité entre l'Iran et l'Arabie saoudite, rappelle-t-il. « Le désengagement progressif des États-Unis au Moyen-Orient, au profit de l'Asie-Pacifique, inquiète grandement les Saoudiens. Cette volonté américaine s'accompagne d'une volonté de normalisation des relations entre Washington et Téhéran, un élément supplémentaire de souci pour Riyad », assure-t-il. L'Iran a une réelle influence en Irak, et pas seulement auprès de M. Maliki, dit M. Pakzad. Les sunnites eux-mêmes sont divisés, et cela dessert d'autant plus les intérêts des Saoudiens, estime-t-il encore.

« Lorsque les États-Unis ont retiré leurs troupes d'Irak, renchérit M. Mongrenier, d'aucuns ont affirmé que Washington aurait finalement offert l'Irak à Téhéran. Le jugement semble toutefois excessif. Il est vrai que les Iraniens disposent de nombre de moyens d'action et d'influence en Irak. Pourtant, le monde chiite a aussi ses lignes de partage et M. Maliki ne peut être réduit au rang d'homme de paille de Téhéran. » Cela dit, affirme l'expert, il est vrai que le repli sur une politique plus sectaire, la confrontation avec le jihadisme sunnite, voire l'indépendance de facto du Kurdistan irakien, peuvent faire évoluer la situation, M. Maliki étant possiblement conduit à conforter ses appuis en Iran.

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M. Mongrenier assure que Washington conserve des prises sur la situation. « L'objectif américain est de permettre à l'Irak de se maintenir en tant qu'État, tout en travaillant à la participation des différentes composantes ethniques et confessionnelles au système politique », dit-il. Par ailleurs, il y a l'Arabie saoudite, engagée dans une lutte contre l'Iran pour l'hégémonie régionale. Enfin, la Turquie a de l'influence au Nord, dans le Kurdistan irakien, mais Ankara semble cependant n'être qu'un acteur périphérique.

Sujet ou acteur ?
« Ce bref tableau laisse à penser que l'Irak en tant qu'État est plus sujet qu'acteur, ses voisins ainsi que les États-Unis ayant transformé son territoire en théâtre régional d'affrontement », dit M. Mongrenier, ajoutant : « La négociation entre les États-Unis et l'Iran, si elle aboutissait à un abandon du programme nucléaire militaire, aurait des conséquences positives sur l'Irak et faciliterait peut-être certains compromis politiques internes. Inversement, la perpétuation de la guerre en Syrie et son extension, avec un risque de guerre sectaire dans l'ensemble de la région entre chiites et sunnites, déstabiliseraient plus encore l'Irak. »
Pour autant, il ne faut pas négliger le niveau local d'analyse, estime M. Mongrenier. L'enjeu est de civiliser les rivalités entre les composantes irakiennes, de canaliser cette violence fondamentale, et l'apaisement des rivalités au Proche et au Moyen-Orient, très hypothétique, n'y suffirait pas. « En dernière analyse, conclut l'expert, la tâche repose sur les épaules des Irakiens et de leur classe dirigeante. En dépit de leurs clivages ethnico-confessionnels, les Irakiens sont-ils attachés à leur État propre ? Veulent-ils le maintenir ? »


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