Rechercher
Rechercher

Quel Brésil Lula laisse-t-il à son successeur? - Analyse

Quel Brésil Lula laisse-t-il à son successeur?

Le 31 octobre, Inacio Lula da Silva passera, après huit ans et deux mandats, les rênes du pouvoir. Son successeur, Dilma Rousseff, du Parti des travailleurs, ou son challenger, José Serra, social-démocrate, héritera d'un Brésil renforcé, mais toujours marqué par d'importantes faiblesses.

Né le 27 octobre 1945, huitième et dernier enfant d’une famille d’agriculteurs pauvres du Pernambouc (Nord-Est), Luiz Inacio Lula da Silva a sept ans lorsqu’il émigre avec sa famille vers l’État de São Paulo pour échapper à la misère. Ouvrier métallurgiste à 14 ans, il perd l’auriculaire gauche dans un accident de travail. À 21 ans, il entre au syndicat des métallurgistes et en devient le président en 1975. Il conduit les grandes grèves de la fin des années 70, en pleine dictature militaire (1964-1985). En 1980, il fonde le Parti des travailleurs (PT) puis participe en 1983 à la création de la Centrale unique des travailleurs (CUT). Lula se présente pour la première fois à l’élection présidentielle en 1989, où il échoue de peu. Après deux nouveaux échecs en 1994 et 1998, la quatrième tentative sera la bonne, en octobre 2002. Il est réélu en 2006. « Si un Nordestin ne meurt pas avant l’âge de 5 ans, c’est qu’il aura une longue vie », aime à répéter ce fils des terres inhospitalières. Leandro Moraes/Reuters

Près de 136 millions de Brésiliens choisiront le 31 octobre le successeur du populaire Luiz Inacio Lula da Silva qui ne peut briguer un troisième mandat consécutif après huit ans de pouvoir. Dilma Rousseff, du Parti des travailleurs (PT), la dauphine du président Lula, a pris l'ascendant dans les sondages sur son rival social-démocrate José Serra pour le second tour de l'élection présidentielle. D'après un sondage de l'institut Ibope diffusé jeudi dernier, Dilma Roussef obtiendrait 51 % des intentions de vote contre 40 % à Serra, ex-gouverneur de São Paulo. Mais quel que soit le vainqueur, prendre la relève de Lula sera ardu, ce dernier ayant réussi à faire sortir de la pauvreté des millions de personnes et à engendrer une croissance économique record, malgré quelques ratés en matière de politique interne.

Les succès de Lula
Juste avant l'arrivée au pouvoir du président Lula, le Brésil fut le théâtre d'une rupture en matière de politique sociale. De politiques universalistes - du social pour tout le monde -, le pays passait à une politique ciblée vers les plus pauvres qui s'est notamment traduite par la mise en place de petits programmes telles les « bourses-études ». Pratiquement, les familles les plus pauvres recevaient des aides pour envoyer les enfants à l'école. « Une carte de crédit était attribuée aux mères de famille (au Brésil, beaucoup de familles sont monoparentales, les hommes sont souvent sous l'emprise de l'alcool et/ou accrocs au jeu. Le programme a de meilleures chances de marcher si se sont les femmes qui sont responsables », explique Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l'IRIS.
Le plus grand accomplissement de Lula est d'avoir « réuni tous ces programmes sous un seul parapluie, la « bourse-famille », et de les avoir étendus à 40 millions de personnes. Cela a permis à une partie importante des classes les plus pauvres d'accéder au marché de la consommation. Il ne s'agissait pas d'assistancialisme pur, mais plutôt d'une sorte d'investissement dans la qualité de la main-d'œuvre », souligne Alfredo Valladão, directeur de la chaire Mercosur de Sciences-po Paris. La présidence de Lula a ainsi été maquée par une baisse de la pauvreté absolue ainsi que par le passage d'une partie des plus pauvres vers la classe moyenne. « Ça a été un grand succès, et un succès qui n'a pas coûté très cher, puisque tout ce programme ne coûtait même pas 1 % du PIB », ajoute le spécialiste.
Outre le succès de la politique sociale, le double mandat du président Lula a également été marqué par une croissance économique record pour le Brésil. « Le principal mérite de Lula a été de prendre les politiques macroéconomiques orthodoxes qui étaient suivies par son prédécesseur, Fernando Henrique Cardoso, et de les avoir maintenues. C'était une démarche très importante qui a engendré pour les investisseurs étrangers et brésiliens et les consommateurs une certaine prévisibilité, note M. Valladão. C'est cette prévisibilité qui a permis d'investir à plus long terme et qui a également permis à la population de programmer sa consommation et donc de s'endetter. »
Pour Jean-Jacques Kourliandsky, « Lula a bénéficié de l'assainissement économique de son prédécesseur, sauf qu'à l'époque, le pays n'entrait pas dans une dynamique de croissance. Lors de la première année du mandat de Lula, il y avait une certaine méfiance du secteur des affaires qui considérait le nouveau président comme extrémiste, gauchiste. Il a dû créer un climat de confiance en développant un programme économique basé sur un volet social et un volet économique. Sa politique s'est fondée sur la conquête du marché intérieur ».
Lula a par ailleurs développé une politique dynamique alliant diplomatie et commerce. « Lula a utilisé la communauté des migrants pour tisser des liens commerciaux avec, entre autres, les pays arabes, le Nigeria, l'Angola et même le Japon (le Brésil a reçu une immigration japonaise importante dans les premières années du XXe siècle). En 2008, le Brésil s'est, par exemple, fait le défenseur de la norme japonaise de télévision numérique ; en échange, une usine japonaise qui fabrique notamment des décodeurs et télécommandes s'est implantée au Brésil, créant de nouveaux emplois », poursuit M. Kourliandsky.

Les ratés du sortant
Le bilan positif de Lula en matière sociale et au niveau de la croissance économique ne doit pas cacher le fait que son double mandat comporte aussi des ratés. Selon Alfredo Valladão, l'éducation est l'un des grands ratés de la politique menée par Lula. « Il y a très peu de choses qui ont été faites dans ce domaine, et aujourd'hui, l'un des grands goulots d'étranglement de l'économie brésilienne reste l'éducation, qui est de très mauvaise qualité, surtout dans le secondaire. »
Le développement des infrastructures laisse aussi à désirer. « Depuis qu'il est au pouvoir, Lula a lancé plusieurs plans pour les infrastructures, qu'on appelait les PAC (plans d'accélération de la croissance), en coopération avec les entreprises privées. Or, les PAC n'ont pas fonctionné, d'abord parce que les règles n'étaient pas du tout claires pour les entreprises privées, ensuite parce que, au sein du gouvernement lui-même, il y a eu beaucoup d'incompétences pour mettre en route ces plans. Seulement 30 % des projets ont été effectivement lancés, et ils n'ont même pas tous abouti. »
Deux autres problèmes importants n'ont pas été résolus sous le double mandat du président sortant. « Tout d'abord, la réforme fiscale. Le Brésil est un maquis fiscal terrifiant. Le Brésil est un pays fédéral, il y a donc la fiscalité fédérale, des États, des municipalités. Dès que l'on touche à ça, cela crée beaucoup de problèmes. Lula ne s'est pas du tout occupé de faire cette réforme », insiste M. Valladão.
Autre échec de la présidence Lula, la réforme politique. « Depuis toujours, tous les gouvernements qui se succèdent disent qu'il faut une nouvelle donne politique au Brésil, de nouvelles règles pour les élections », poursuit le spécialiste. « Au Brésil, il n'y a pas de grands partis politiques, c'est un système éclaté qui donne lieu à des négociations permanentes pour avoir une majorité au Parlement. Les notables locaux n'ont pas d'idéologie affirmée et souvent sont visés par des scandales. Lula lui-même a été pris dans la tourmente d'un scandale touchant l'un de ses alliés politiques en 2006 », renchérit Jean-Jacques Kourliandsky, qui ajoute que Lula en personne a reconnu dernièrement que la réforme politique restait un chantier.
Mais le gros problème du Brésil reste la corruption. « Lula a bien réussi à intégrer toute une génération de gens de gauche à la pratique du pouvoir, à contenir les tentations messianiques et les expériences de type vénézuélien ou autres. Mais cela s'est accompagné d'une immense corruption. Au Brésil, il y a une tentative de prise de l'État par les gens du parti du président qui occupent les principaux postes et qui peuplent l'appareil étatique jusqu'à des niveaux très bas », souligne Alfredo Valladão.

Le Brésil sur la scène internationale
Malgré ces manquements au niveau de la politique intérieure, le Brésil a aujourd'hui sa place sur la scène internationale. « Le Brésil commence à avoir, qu'il le veuille ou non, une certaine influence sur le reste du monde. C'est un pays en croissance, c'est le principal producteur d'aliments du monde, il a de grandes ressources énergétiques, la forêt amazonienne... et c'est surtout un pays qui a une diplomatie tellement compétente qu'elle peut se permettre de jouer au-dessus de sa catégorie, estime M. Valladão. Lula a hérité de tout cela et a voulu faire du Brésil un protagoniste global. L'idée du président sortant était de faire du Brésil une sorte de grand intermédiaire, de grand modérateur entre le Nord et le Sud. Pour que cette stratégie fonctionne, il a développé les relations Sud-Sud pour être perçu comme une sorte de porte-parole. Dans la continuité de cette stratégie, le Brésil souhaiterait être membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies ».
Au niveau de sa politique étrangère, Lula a enregistré un certain nombre de succès. « Par exemple, au sein de l'OMC, c'est le Brésil qui a réussi à casser le monopole euro-américain et à créer un jeu plus fluide et plus ouvert », estime le spécialiste. Sur un autre plan, « le Brésil est au commandement de la Minusta (aide à Haïti). C'est la première fois qu'un pays d'Amérique latine prend la tête d'une mission de paix de l'ONU depuis 2004 », rappelle M. Kourliandsky.
Si le Brésil joue effectivement, aujourd'hui, un rôle nouveau sur la scène internationale, « il est encore loin d'avoir une réelle influence politique sur le reste du monde, comme en témoigne l'affaire iranienne », souligne M. Valladão. En marge des sanctions internationales contre Téhéran, le Brésil, la Turquie et l'Iran, par le biais de leurs ministres des Affaires étrangères, avaient signé un accord pour un échange de combustible nucléaire selon lequel l'Iran enverrait 1200 kg de son uranium bassement enrichi à 3,5 % en Turquie, en échange, dans un délai maximum d'un an, de 120 kg d'uranium enrichi à 20 % pour alimenter le réacteur nucléaire de recherche de Téhéran. Un accord qui n'a pas été soutenu par les grandes puissances investies dans le dossier iranien.
« Le Brésil a voulu aller un petit peu trop loin dans ses possibilités, sans tenir compte du fait que les grandes puissances avaient déjà négocié les sanctions auparavant. Le Brésil s'est retrouvé isolé. Les grandes puissances » ont pardonné « plus facilement à la Turquie, puisqu'elle fait partie de la région, qu'au Brésil, qui était loin de tout ça et se mettait à jouer au médiateur à un endroit où personne ne l'avait appelé. Sur ce dossier, le Brésil a perdu un peu de son autorité internationale vis-à-vis des grands, des États-Unis et de l'Europe, mais également de la Russie et de la Chine qui n'étaient pas contents du tout de voir le Brésil s'immiscer dans cette affaire », explique M. Valladão.

Succession
Il n'en demeure pas moins que Lula laisse un Brésil fort à son successeur. Et le président sortant étant encore très populaire en son pays, l'on peut se demander s'il serait tenté de tirer les ficelles en cas de victoire de sa dauphine, Dilma Roussef, une politicienne moins expérimentée que lui. « Lula a joué un rôle important dans la campagne de Mme Roussef, qui a été sa principale collaboratrice de 2005 à 2010. Mais la candidate a sa personnalité, elle a besoin de s'affirmer seule », affirme Jean-Jacques Kourliandsky. « Lula ne va avoir aucun mandat, et il est très compliqué pour quelqu'un qui n'a aucun mandat de continuer à jouer un rôle de premier plan, renchérit Alfredo Valladão. Dilma Roussef est toujours liée à Lula, et si elle gagne, Lula va certainement la conseiller. Mais une fois que l'on s'assoit sur le fauteuil présidentiel, on commence à avoir sa propre politique. Dans les premiers temps, Lula pourra peut-être avoir une certaine influence, mais peu à peu, Dilma va vouloir faire son propre jeu. »
Près de 136 millions de Brésiliens choisiront le 31 octobre le successeur du populaire Luiz Inacio Lula da Silva qui ne peut briguer un troisième mandat consécutif après huit ans de pouvoir. Dilma Rousseff, du Parti des travailleurs (PT), la dauphine du président Lula, a pris l'ascendant dans les sondages sur son rival social-démocrate José...