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Sport - Culturisme

Ribal el-Halaby, un Titan du Liban

Le bodybuilder a participé dimanche à la compétition « Middle East Pro Lebanon », organisée à Beyrouth par la Fédération internationale de bodybuilding et de fitness. Retour sur vingt jours d'entraînement, de hauts et de bas. Jusqu'au jour J.

Ribal el-Halaby, un Titan du Liban

Ribal el-Halaby, un jeune libanais passionné de bodybuilding. Photo João Sousa

Abdominaux contractés, pectoraux bombés et biceps gonflés, l’homme ploie sous l’effort mais il est déterminé. Son regard en dit long sur les combats qu’il a menés. C’était il y a une éternité mais, et même s’il y a échoué, affronter les dieux mérite encore d’être conté. Car Atlas n’est pas un homme. C’est un Titan condamné et, sur ses épaules, le monde est ainsi porté.

Atlas, Ribal el-Halaby l’a dans la peau. « Un personnage puissant », décrit-il. Le corps sculpté au ciseau du Libanais se confondrait presque avec celui du Titan, tatoué dans sa chair. L’appareil photo cliquette. En enlevant son maillot de corps, le culturiste prend une grande inspiration. Devant l’objectif, il bombe le torse et bande ses muscles. Le spectacle peut commencer.

Fessiers serrés, bras étirés et quadriceps tractés, Ribal el-Halaby enchaîne les poses sans s’essouffler. L’effort est intense mais il ne faut pas le montrer. « Ne jamais perdre le sourire surtout », précise-t-il. Car, au-delà de soulever des poids, le culturisme est « autant un sport qu’un art ». Le but : dompter son apparence physique grâce à un mental d’acier. Pour l’atteindre, « tout doit être calculé ». Entraînement, nutrition, sommeil, d’une part, symétrie musculaire, épaisseur cutanée, rétention d’eau, d’autre part.

« Et puis, il y a la présence scénique, le charme et la pose » lorsque, quittant les coulisses de la salle de gym, les bodybuilders montent sur scène. Eux aussi ont droit à leurs podiums et leur heure de gloire. D’ailleurs, s’il ne porte pas le globe terrestre sur ses épaules, le Libanais de 28 ans a déjà quelques médailles autour du cou. Et plus d’or que d’argent. Une reconnaissance gagnée au fil de championnats de culturisme.

Atlas, tatoué sur le bras de Ribal el-Halaby. Photo João Sousa

Pourtant, tout avait commencé « un peu par hasard » quand, en 2014, celui qui n’était qu’un simple « poids-plume » décide d’« aller à la gym », y recherchant une certaine « discipline ». Cinquante kilos de muscles, pour seulement cinq kilos de graisse, plus tard, c’est désormais doté de sa carte de « bodybuilder professionnel », qui lui a été attribuée l’an dernier par la Fédération internationale de bodybuilding et de fitness (IFBB), que Ribal el-Halaby a foulé, dimanche, la scène du Grand Hôtel Hilton Habtoor de Sin el-Fil à Beyrouth. « Middle East Pro Lebanon », organisée par cette même fédération, est sa « première compétition professionnelle », souligne-t-il avec fierté, mais aussi avec une pointe d’anxiété. Sport et art, le culturisme est aussi une science de précision. Des semaines de préparation, dans un Liban semé d’embûches, « qu’un verre d’eau de trop ou qu’une crampe sur scène peuvent balayer en un instant ».

Retour sur les derniers jours de sa préparation. Le compte à rebours est lancé.

J -20

L’oreille scotchée au téléphone, Ribal el-Halaby fait les cent pas dans la salle de gym. Il contourne les appareils de musculation, zigzague entre les tapis de sol. Il a l'air soucieux, la conversation est agitée. Il raccroche. « Ils m’ont donné quatre jours ! » s’exclame-t-il ahuri. Ses employeurs (dont il préfère taire la fonction) ne partagent pas sa passion du culturisme. S’ils rechignent en général à lui donner ses vingt jours, c’est la première année qu’ils refusent catégoriquement. « J’en ai besoin pour me préparer ! ». Mi-énervé, mi-résigné, il lâche : « Je les prendrai ».

Sur de larges épaules se tient une forte tête. D’autant plus que son salaire est toujours payé au taux officiel (1 507,5 LL/$), dans un Liban en crise où le taux réel en vaut près de 20 fois plus. Heureusement, ce n’est pas son seul boulot. Diplômé de plusieurs instituts de sport et de fitness, le culturiste est certifié coach sportif international de niveau 4. Alors que le jour J approche, il continue d’entraîner « 10 clients par jour en moyenne » dans un club de sport beyrouthin, en plus « du suivi en ligne » d’autres sportifs amateurs. Un job de cœur, et mieux rémunéré, qu’il ne lâchera pas jusqu’à l’avant-veille du championnat.

Il n’a pas d’autre choix. Pour maintenir ce style de vie, il faut mettre la main à la poche. Suivi par un kinésithérapeute, un diététicien et son propre entraîneur, le jeune homme ne peut sacrifier « ces paires d’yeux indispensables pour t’aiguiller dans la bonne direction car le bodybuilding ne se pratique pas seul », explique-t-il. Mais, s’il ne peut estimer son budget mensuel consacré à cette discipline, ses factures ont, comme tout un chacun au Liban, « plus que décuplé » depuis le début de la crise.

« Tout est difficile (au Liban), et pratiquer le culturisme dans de telles conditions relève du défi », dit Ribal el-Halaby. Photo João Sousa

J -17

Il est 8 heures du matin. De Choueifat (Mont-Liban), où il habite avec son épouse, Ribal el-Halaby roule vers un hôpital de la capitale. Il a hurlé toute la nuit. « Je me suis réveillé avec de sévères crampes abdominales », explique-t-il, inquiet. Le diagnostic tombe, il est sans appel : « une hernie supra ombilicale ». Il faut opérer. « Le médecin a dit qu’il ouvrirait ma ceinture abdominale et qu’il me faudra trois mois de convalescence », poursuit-il, effrayé. « Mes abdominaux seront déformés. De quoi détruire ma carrière ! ».

Il cherche un second avis, il confirme le premier. Mais « l’opération peut se faire par cœlioscopie. Trois semaines de récupération et je pourrai reprendre l’entraînement ». Le soulagement est grand, et le passage sur le billard programmé pour après la compétition. Le bodybuilder relativise : « C’est un concours de pose et d’apparence physique, pas de force ni d’endurance. Je peux y participer mais la préparation doit changer ».

Les blessures sont le lot de Ribal el-Halaby : poignet et orteil cassés, tendinite de la coiffe des rotateurs, entorse lombaire... « Mais elles ont toujours tendance à arriver avant une compétition ». Ça fait partie du jeu et du dépassement de soi. « J’ai gagné ma carte de bodybuilder professionnel, malade comme un chien, sous médicaments et sans suivre la procédure habituelle de préparation à la compétition. Alors oui, je dois faire beaucoup plus attention maintenant, mais je reste optimiste ».

J -10

4 août. Une date de l’histoire du Liban qui renvoie à Ribal el-Halaby le décor dans lequel il est né. « Tout y est difficile, et pratiquer le culturisme dans de telles conditions relève du défi ». Il y a ces petites choses du quotidien que le pays transforme en obstacles permanents ; un stress qui attaque le corps, outil et trophée du culturiste.

Car le bodybuilding nécessite un dévouement total : « 100 % d’entraînement, 100 % de nutrition et 100 % de récupération ». Alors Ribal el-Halaby compte, par exemple, sur ses heures de sommeil. « C’est là que ton corps se transforme ». Mais simplement muni d’un ventilateur, il est écrasé par la chaleur estivale. « Je ne dors plus que trois à quatre heures. Quand l’électricité coupe, la nuit, je me réveille automatiquement ».

Et ce n’est pas tout. Son régime, fait de portions pesées au gramme près et de nutriments essentiels au développement musculaire, nourrit plus souvent son scepticisme. « Au Liban, on ne peut faire confiance ni à l’eau que l’on boit, ni à la nourriture que l’on mange ». Mais il l’assure : « Si la crise a tout compliqué, ce n’était pas tellement mieux avant ».

Souvent, Ribal el-Halaby regarde les vidéos de bodybuilders étrangers. « Ils sont à la fois plus fins et plus imposants », trouve-t-il. Pour autant, « ils ne sont pas meilleurs, ils ont juste accès à des services de qualité ». Si la discipline possède sa propre fédération au Liban, « le gouvernement ne l’aide en rien ». Mais elle se démène « pour tenir des compétitions internationales au Liban, nous évitant par-là de devoir voyager ».

Pourtant, et bien que le fitness soit extrêmement répandu au Liban, « il y a un peu de bodybuilders professionnels », poursuit-il. Pratiquer le culturisme demande un engagement que beaucoup qualifient de « sacrifice », raconte celui qui espère être un « modèle pour les autres » et les « aider à atteindre leurs objectifs ». Des séances de sport qu’il décrit comme « du pur plaisir » et qu’il n’annulerait en aucun cas pour faire la fête. « Ça, pour moi, ce serait un sacrifice ».

Pour Ribal el-Halaby, le bodybuilding nécessite un dévouement total : « 100 % d’entraînement, 100 % de nutrition et 100 % de récupération ». Photo João Sousa

J -7

Dernière ligne droite. « Le plus dur commence maintenant ». Dans la salle de gym où le compétiteur travaille, tout le monde en parle. Les clients l’interrogent, les collègues l’encouragent. Il n’a plus que sept jours pour sculpter son corps, « y mettre la touche finale ». Mais, suite à sa blessure, Ribal el-Halaby ne peut pas s’entraîner comme il le voudrait. Lui, dont les records personnels cumulent 180 kilos en développé-couché, 270 kilos en squat et 330 kilos en soulevé de terre, ne peut plus soulever de poids lourds tant qu’il n’a pas été opéré. « Sans entraînement correct, le régime est plus difficile ».

Entre deux séances avec ses clients, le bodybuilder se rue aux toilettes. Sa bouteille d’eau ne le quitte plus. « Je dois boire entre 6 et 7 litres aujourd’hui. Demain aussi. Puis je réduirai à 4 puis 2 », jusqu’à la veille de la compétition où il ne boira rien. Pas une goutte. « Il faut se jouer de son corps. Si tu l’habitues à recevoir beaucoup d’eau, il se sentira suffisamment hydraté pour en évacuer une bonne partie. Alors, même si tu arrêtes soudainement de lui en donner, ne s’y attendant pas, il continuera de drainer ». Résultat : la peau s’affine et le muscle s’y dessine.

De même, par exemple, avec le sodium qui « entraîne une rétention d’eau. Pendant trois jours, tu t’en nourris au maximum, et puis tu stoppes net. L’eau s’en ira ». À l’inverse, les premiers jours de cette semaine seront dédiés à minimiser l’apport en glucides, tout en continuant l’entraînement. « De cette manière, le muscle se vide ». Et ce, jusqu’à la veille de la compétition, jour sans eau mais chargé de glucides. « Tous tes muscles vont alors s’en gaver et se gonfler à bloc ». Enfin, et entre autres, un petit boost de sucre juste avant de monter sur scène et « tes veines apparaîtront ».

Un régime coriace porté par une discipline de fer… et un public averti. Mais Ribal el-Halaby se veut rassurant. Pour avoir un corps de Titan, pas de formules magiques. « Juste de la science ».

Jour J

Dans la salle de fêtes de l’hôtel Hilton, tout le monde s’affaire à la préparation du spectacle. Repérer ceux qui monteront bientôt sur scène est aisé. Certains se dégourdissent les jambes, d’autres les surélèvent pour les reposer. Ribal el-Halaby fait de même. Il est serein et attend l’instant T. Les huit juges, venus d’Irak, de Syrie, de Palestine, d’Iran et du Liban, viennent d’arriver. Les choses deviennent sérieuses, la musique est lancée et les portes de la salle se referment devant un public restreint.

Lors de la compétition Middle East Pro Lebanon », organisée à Beyrouth par la Fédération internationale de bodybuilding et de fitness. Ribal el-Halaby est au centre. Photo DR

Ribal el-Halaby passe dans la dernière catégorie en compétition ce soir-là : « Pro men’s bodybuilding ». Quand vient son tour, il lève le poing pour se donner du courage et monte sur scène. Lui qui a parfois des difficultés à s’habiller, « des jambes trop musclées pour une taille trop fine », n’a pas eu à s’inquiéter de sa tenue pour la compétition. Couvert d'un simple slip de bain, le culturiste enchaîne les poses sous l’œil avisé d’un jury qui ne laisse rien paraître. Dans la salle, les familles et amis encouragent les quelques Libanais en lice.

Enfin, applaudis par la foule, les cinq concurrents reviennent sur scène. Sourire aux lèvres mais regards graves. Les jeux sont faits. Plus qu’une compétition sportive, c’est « notre apparence » qui est jugée, souligne le culturiste, et derrière elle la consécration d’un style de vie. Ribal el-Halaby termine cinquième. Le coup est dur et la déception se lit sur son visage. « Je méritais une meilleure place, c’est un sérieux revers pour moi », explique-t-il alors que la tension du jour n'est pas encore redescendue. Mais « malgré ma blessure et tous les obstacles que nous rencontrons dans ce pays, je suis monté sur scène pour ma première compétition professionnelle », dit-il avec un regain de fierté. Une première, et certainement pas la dernière.

Abdominaux contractés, pectoraux bombés et biceps gonflés, l’homme ploie sous l’effort mais il est déterminé. Son regard en dit long sur les combats qu’il a menés. C’était il y a une éternité mais, et même s’il y a échoué, affronter les dieux mérite encore d’être conté. Car Atlas n’est pas un homme. C’est un Titan condamné et, sur ses épaules, le monde est ainsi...

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