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Jonathan Franzen et les oiseaux

Jonathan Franzen et les oiseaux

D.R.

Et si on arrêtait de faire semblant ? de Jonathan Franzen, éditions de l’Olivier, 2020, 352 p.

L’un des plus célèbres romanciers américains contemporains, Jonathan Franzen, est également un essayiste remarquable ; et comme c’est le cas pour beaucoup de grands écrivains qui ont pratiqué ce genre littéraire, l’auteur des Corrections est lui-même la matière de ses essais. Or cela n’implique nullement qu’il reste prisonnier de son moi, ni que son écriture soit nombriliste ou excessivement introspective. Au contraire, et comme le prouve Et si on arrêtait de faire semblant ? (recueil de dix-huit essais et chroniques initialement parus en anglais entre 2012 et 2019), Franzen, tout en s’appuyant constamment sur son expérience personnelle et sa subjectivité, s’efforce toujours de les dépasser afin d’examiner, aussi honnêtement que possible, son rapport au monde et à autrui.

Outre la littérature, les oiseaux sont l’autre grande passion de cet écrivain : presque la moitié des textes réunis dans ce livre leur sont consacrés. Cela peut sembler ennuyeux et parfois ça l’est, en effet. Mais Franzen ne vise pas à plaire ; il veut écrire sur ce qu’il aime et sauver, grâce à ses reportages, autant d’oiseaux que possible. Ainsi, il part en Italie, à Chypre, en Égypte ou en Chine pour enquêter sur la chasse aux oiseaux migrateurs, victimes de véritables massacres et dont beaucoup d’espèces risquent de disparaître ; participe à une croisière à destination de l’Antarctique pour honorer la mémoire de son oncle décédé et dans l’espoir d’observer un Manchot empereur ; ou se rend sur une île volcanique inhabitée pour y relire Robinson Crusoé, faire le deuil de son ami, l’écrivain David Foster Wallace, et voir de nouvelles espèces ornithologiques.

Cette passion pour les oiseaux est l’une des rares choses – à côté de la littérature – qui permettent à Franzen de sortir de son repli sur soi et de son pessimisme afin de s’ouvrir au monde et d’aimer la vie. Après avoir décrit une période difficile de son existence qui l’a transformé en un être misanthrope et plein de rage, il nous raconte comment il a réussi à la dépasser : « Et puis m’est arrivée une drôle de chose. C’est une longue histoire, mais en résumé je suis tombé amoureux des oiseaux. Ça ne s’est pas fait sans une résistance significative de ma part, car ce n’est pas cool du tout d’être un ornithologue amateur, tout ce qui trahit une passion véritable n’étant, par définition, pas cool. Mais peu à peu, malgré moi, j’ai développé cette passion-là, et si une passion est à cinquante pour cent obsession, elle est à cinquante pour cent amour. Alors oui, j’ai tenu une liste méticuleuse des oiseaux que je voyais et oui, je me suis donné un mal fou pour voir de nouvelles espèces. Mais, et c’est tout aussi important, chaque fois que j’observais un oiseau, n’importe lequel, même un pigeon ou un moineau, je sentais mon cœur se remplir d’amour. »

Cette passion – ou obsession – est tellement idiosyncratique ; en effet, peu de gens sur terre la ressentent. Toutefois, la fonction qu’elle joue dans la vie de Franzen comporte quelque chose d’universel : son amour pour les oiseaux lui permet de créer des liens entre son intériorité incommunicable et le monde extérieur qu’il partage avec le reste des humains. Et c’est pour cette raison qu’en parlant des oiseaux, il peut en même temps parler de presque tout : du réchauffement climatique, de la protection de l’environnement, de la place de l’homme dans la nature ; mais aussi de notre « monde technocapitaliste », des réseaux sociaux, des téléphones portables, des élections présidentielles, de la littérature, de la mort, de l’amour…

Ainsi, en se concentrant sur des créatures toutes petites, en les aimant passionnément, Franzen tisse des liens avec quelque chose de plus grand, des liens qui ne cessent de proliférer pour enfin atteindre la totalité du monde. Cette progression en cercles concentriques, ce mouvement qui part d’une obsession plutôt hermétique et rejoint la vie des autres humains, est ce qui fascine dans les essais de Jonathan Franzen.


Et si on arrêtait de faire semblant ? de Jonathan Franzen, éditions de l’Olivier, 2020, 352 p.L’un des plus célèbres romanciers américains contemporains, Jonathan Franzen, est également un essayiste remarquable ; et comme c’est le cas pour beaucoup de grands écrivains qui ont pratiqué ce genre littéraire, l’auteur des Corrections est lui-même la matière de ses essais. Or...

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