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Moyen Orient et Monde - Commémoration

Comment la Première Guerre mondiale a mis fin aux vieux États impériaux européens

Si les anciens empires sont tombés, les puissances coloniales sont, elles, restées intactes.

Photo de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche (6e g.), héritier de l’empire austro-hongrois, avant son assassinat à Sarajevo le 28 juin 1914. AFP/Archives

Ils s’étaient partagé le monde à coups de sabre et de canonnades pendant des siècles, mais il aura fallu quatre ans pour que la plupart cessent d’exister. Au sortir de la Première Guerre mondiale, les vieux empires et géants coloniaux européens se sont jetés l’un contre l’autre dans une guerre qui a coûté la vie à dix millions de soldats et huit millions de civils.

L’une des particularités de ce que l’on appelle la Grande Guerre, c’est qu’une partie des dirigeants qui se battent sont cousins. Les souverains de la Grande-Bretagne, la Russie et l’Allemagne sont en effet descendants de la reine britannique Victoria. Il suffit d’ailleurs de regarder un portrait du roi d’Angleterre George V et du tsar Nicolas II pour avoir l’impression de voir des jumeaux. Les autres souverains des empires belligérants, François-Joseph Ier d’Autriche-Hongrie et Mehmet V de l’Empire ottoman, sont alliés avec l’Allemagne du Kaiser Guillaume II contre la « Triple-Entente » franco-anglo-russe. À l’issue du conflit, cette dernière, sortie victorieuse avec l’aide américaine, redessine la carte de l’Europe à l’aide d’une multitude de traités signés avec les vaincus. Ils auront des concessions très lourdes à faire, notamment territoriales, qui marqueront la fin des vieux États impériaux européens.


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Triple alliance impériale déchue
Il a été désigné grand responsable du désastre de la guerre : l’Empire allemand cesse d’exister à la suite du traité de Versailles signé le 28 juin 1919. Né de l’union de l’ex-royaume de Prusse et des autres monarchies et principautés de la région à la suite de la guerre franco-prussienne de 1870-1871, il est coupé en deux par la création du « couloir de Dantzig » pour donner à la Pologne renaissante un accès à la mer. Le traité voit également les puissances victorieuses se partager les peu nombreuses colonies allemandes, surtout présentes en Afrique. L’Empire allemand n’est plus, après moins d’un demi-siècle d’existence. Le Kaiser abdique le 9 novembre et se réfugie aux Pays-Bas. La république de Weimar est aussitôt proclamée suite à la « révolution de novembre ». Son voisin, l’empire austro-hongrois, est quant à lui biffé de la carte.

Allié de l’Allemagne durant le conflit, cet empire est composé d’une mosaïque de peuples différents. Qu’ils soient Slaves (Tchèques, Slovaques, Polonais, Ukrainiens, Slovènes, Croates, Bosniaques ou Serbes) ou Latins (Italiens et Roumains), tous sont sous l’autorité de l’empereur François-Joseph Ier de Habsbourg, âgé de 84 ans au moment de la guerre. Mais ce dernier fait face depuis de nombreuses années à des revendications nationalistes de la part de ses sujets. C’est d’ailleurs un militant nationaliste bosniaque, Gavrilo Princip, qui va, sans le savoir, déclencher la Grande Guerre en assassinant à Sarajevo l’héritier du trône d’Autriche-Hongrie, l’archiduc François-Ferdinand. Une fois la guerre terminée, les traités de Saint-Germain-en-Laye et du Trianon de 1919 et 1920 disloquent pour de bon l’empire et créent plusieurs États qui deviennent indépendants (Hongrie, Roumanie, Yougoslavie, Tchécoslovaquie). Mais si les démantèlements des empires allemand et austro-hongrois voient l’apparition d’États « souverains » dont l’indépendance est en réalité éphémère, car « récupérés » par la future Union soviétique, c’est une autre histoire pour leur allié pendant la guerre, l’Empire ottoman, qui voit ses provinces partagées entre les vainqueurs du conflit, notamment les Français et les Anglais. Les Turcs étaient entrés en guerre en novembre 1914 aux côtés de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie et avaient déclaré la guerre sainte contre Paris, Londres et Saint-Pétersbourg. Celui que l’on appelle « l’homme malade de l’Europe » est déjà, en plein milieu de la guerre, l’objet de négociations secrètes entre les Français et les Anglais pour le partage de ses provinces en cas de défaite de la coalition dirigée par les Allemands. Ce sont les accords Sykes-Picot, dont les principes sont quasiment tous appliqués après la signature du traité de Sèvres en août 1920. Celui-ci, signé entre l’Empire ottoman et les vainqueurs de la guerre, fait céder la « Sublime Porte » qui renonce à ses conquêtes arabes mais garde le contrôle de l’Anatolie. La France prend les régions de Syrie et du Liban. Les Anglais gagnent celles de Palestine et d’Irak, qu’ils créent pour installer sur son trône le roi Fayçal Ier, fils du chérif Hussein de La Mecque qui avait dirigé la révolte arabe contre la présence ottomane dans la région. Mais tous ces empires auraient pu voir leur fin arriver bien plus tôt avec la chute de l’empire russe résultant de la révolution bolchevique de 1917.


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La fin du régime tsariste
Il est le premier grand empire européen que la guerre emporte. Saint-Pétersbourg avait rejoint la France et la Grande-Bretagne lors de la guerre contre les Autrichiens et les Allemands. Ces derniers étaient, par leur position géographique, obligés de se battre sur deux fronts avec d’un côté les soldats du tsar, et de l’autre les forces britanniques et françaises. Les autorités allemandes décident, pour tenter de faire disparaître ce front de l’Est et de concentrer les troupes vers l’ouest, de favoriser le retour vers la Russie du principal agitateur politique local, Lénine, alors exilé en Suisse.

Une fois le régime tsariste aboli en février 1917 et la prise du Palais d’hiver achevée en novembre par les bolcheviks, le premier objectif de Lénine est de gagner du temps en retirant son pays de la guerre, comme il l’avait promis à ses ennemis impérialistes allemands, afin que la révolution communiste puisse mieux s’installer dans le pays alors que gronde la guerre civile avec les soldats restés fidèles au tsar. C’est chose faite lors du traité de Brest-Litovsk, en mars 1918, mais au prix de lourdes concessions territoriales. La Russie se voit amputer de près d’un million de kilomètres carrés, qui regroupent les pays Baltes, l’Ukraine, la Pologne, et d’un quart de sa population. Mais pour Lénine, ce sacrifice est nécessaire.

Il peut néanmoins se consoler avec l’établissement, en décembre 1922, de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), une fédération de quinze États qui deviendra, surtout après la Seconde Guerre mondiale, une superpuissance.

La Première Guerre mondiale a ainsi mis fin aux vieux empires européens, mais les empires coloniaux, eux, ont survécu.


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Survie coloniale temporaire
La France et le Royaume-Uni sont ainsi les deux grands empires encore aptes à exercer une domination sur une grande partie du monde. Les colonies et territoires britanniques s’étendent du Canada à l’Australie et la Nouvelle-Zélande en passant par l’Inde, en d’autres termes un empire « sur lequel le soleil ne se couche jamais ». Une citation que l’on pourrait toutefois aussi appliquer à la France qui possède des territoires allant de la Guyane et des îles du Pacifique jusqu’à l’Indochine en passant par le Maghreb et l’Afrique noire.

La période d’après-guerre verra ces deux empires gagner de nouveaux territoires avec la mise en place des protectorats et des mandats sur les zones décrétées par les accords Sykes-Picot et validés par la Société des Nations (SDN), l’ancêtre de l’ONU, créée en 1920.

Les soldats coloniaux ont par ailleurs fourni un effort de guerre considérable et ont, comme les soldats de la métropole, connu de lourdes pertes. Mais le sentiment nationaliste qui a émergé dans les vieux empires européens avant le conflit ne s’est pas autant manifesté chez les peuples colonisés par les Britanniques ou les Français. « La Grande-Bretagne et la France sont des pays vainqueurs. Les soldats coloniaux en Afrique noire ou en Algérie souhaitent une assimilation pleine et entière. À cette époque, le but est de devenir français et d’obtenir la nationalité française », explique à L’Orient-Le Jour Jean-Yves Lenaour, historien spécialiste de la Première Guerre mondiale. « Les principaux slogans de l’armée française dans les colonies tournaient d’ailleurs autour de cela : engagez-vous dans l’armée et vous serez récompensés par la citoyenneté française. Mais la France n’a pas tenu parole », ajoute-t-il. « Le non-respect des promesses va engendrer un sursaut du désir d’indépendance dans les colonies à partir des années 1920. Mais il y a un contraste entre le désir d’indépendance d’un côté et l’âge d’or de la puissance coloniale de l’autre avec un discours de fraternité coloniale pendant et après la guerre », poursuit l’historien.

D’autres nations, non coloniales, émergent à la suite de la Première Guerre mondiale et occupent petit à petit le devant de la scène politique internationale. C’est le cas des États-Unis, dont l’intervention fut décisive dans la victoire des Alliés et dont l’influence ne cesse de grandir. Elle sera telle qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale, Washington « se partagera », avec Moscou, le monde pendant plus d’un demi-siècle, alors que, dans le même temps, les vagues nationalistes et indépendantistes briseront les empires coloniaux des vainqueurs de la Grande Guerre.


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Excellent article qui cadre le rôle des « rivalités économiques et coloniales » de la guerre. Il y a la différence entre "la cause immédiate" et "les tensions antérieurs (rivalités économiques et coloniales). Il y avait l’attentat de Sarajevo mais aussi une série d'actions et réactions avec la suite désastreuse ...

Stes David

17 h 06, le 14 novembre 2018

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Commentaires (1)

  • Excellent article qui cadre le rôle des « rivalités économiques et coloniales » de la guerre. Il y a la différence entre "la cause immédiate" et "les tensions antérieurs (rivalités économiques et coloniales). Il y avait l’attentat de Sarajevo mais aussi une série d'actions et réactions avec la suite désastreuse ...

    Stes David

    17 h 06, le 14 novembre 2018

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