Or, en dépit des affirmations du président de la Chambre Nabih Berry, qui continue de voir une dimension purement interne aux obstacles qui entravent la formation du gouvernement, celui-ci attendrait aussi un feu vert venu d'ailleurs. Sur le plan régional, un déblocage serait toutefois possible désormais. Selon des sources bien informées proches de la majorité, la dernière position du pouvoir syrien appuyant le déploiement du « bouclier d'al-Jazira » (et donc l'intervention des troupes saoudiennes) à Bahreïn aurait été très bien perçue à Riyad. Walid Moallem a ainsi considéré que le déploiement des troupes saoudiennes et émiraties à Bahreïn n'équivalait pas à une occupation militaire. Coincée entre Bahreïn et le Yémen, l'Arabie saoudite craindrait en effet une contagion à l'intérieur de son territoire, surtout dans la région est, peuplée essentiellement de chiites qui sont apparus récemment organisés (voire armés) et qui restent proches de l'Iran. Riyad a donc réagi rapidement et fermement en envoyant des troupes à Bahreïn sous le couvert du « bouclier d'al-Jazira », non pas tant dans le but d'étouffer la révolte chiite dans ce royaume, mais pour éviter que les revendications ne s'étendent chez elle. Les dirigeants du royaume wahhabite craignaient aussi la réaction de l'Iran à cette initiative. D'ailleurs, la première déclaration des autorités iraniennes était musclée et menaçante. Mais la réaction des autorités syriennes a quelque peu apaisé les craintes saoudiennes. D'ailleurs, la Syrie a aussitôt envoyé son ministre des AE à Téhéran pour demander aux autorités iraniennes de ne pas intervenir dans les révoltes du Golfe. La Syrie a ainsi retrouvé le rôle qu'elle affectionne le plus, celui de médiateur indispensable entre l'Arabie et les pays du Golfe, d'une part, et l'Iran, d'autre part. En même temps, elle a plus ou moins calmé la colère de l'Arabie suite à ce qui a été considéré à Riyad comme un signal donné par la Syrie à l'opposition libanaise de reprendre l'initiative en faisant chuter le gouvernement de Saad Hariri, après la fin officielle des efforts syro-saoudiens concernant le Liban. La Syrie et la Turquie fonctionnent dans le dossier des révoltes arabes en tandem, multipliant les signaux pour demander aux Iraniens de ne pas intervenir dans le Golfe et rejetant pour le principe une intervention militaire occidentale en Libye. En contrepartie, les Syriens espèrent renouer un dialogue constructif avec l'Arabie, qu'ils cherchent toujours à ménager, d'autant que l'une des principales figures syriennes accusées de fomenter des troubles en Syrie, Rifaat Assad, a pignon sur rue en Arabie.
Dans cette période complexe, chaque pays avance ses pions, tout en craignant d'être la prochaine cible des révoltes populaires, et chaque dossier est traité à part, selon les intérêts qui sont en jeu. Une partie du 14 Mars est ainsi convaincue que le régime syrien est menacé par les révoltes actuelles dans certaines régions du pays et, de son côté, le régime syrien estime que ces révoltes sont manipulées de l'extérieur, d'autant qu'elles se déroulent essentiellement dans des régions à forte population kurde. Le régime jette en tout cas du lest et cherche en même temps à renforcer un nouvel axe qui regrouperait, outre Damas, Téhéran, Ankara et Le Caire. Riyad cherche de son côté à consolider son pouvoir dans la région du Golfe, mais craint à ce sujet les réactions de l'Iran et souffre du départ de l'allié que constituait le président Hosni Moubarak. La situation est confuse et les cartes habituelles utilisées dans la lutte d'influence qui secoue aujourd'hui la région se révèlent de plus en plus à usage multiple.
En poussant toutefois l'Iran au calme dans le Golfe, la Syrie pourrait obtenir des acquis au Liban. C'est dans ce contexte que le frère du Premier ministre désigné Taha Mikati doit se rendre à Damas pour s'entretenir avec les autorités du pays au sujet du gouvernement libanais en gestation. Cette visite pourrait s'avérer cruciale pour l'avenir du gouvernement, et à la lumière de ces contacts, Nagib Mikati pourrait décider soit de former un gouvernement qui lui paraît crédible et fonctionnel, soit démissionner en précisant qu'il ne veut pas être un simple figurant et par conséquent brader les droits des sunnites. Dans les milieux proches de Mikati, on considère ainsi que l'équation posée par le secrétaire général du Hezbollah dans son dernier discours et qui consiste à refuser un gouvernement de technocrates, tout en insistant sur le fait que le nouveau gouvernement sera présidé par Mikati, n'était pas du meilleur effet pour le Premier ministre désigné. C'est entre tous ces écueils que Mikati doit évoluer, mais en dépit de sa patience, l'heure de vérité gouvernementale approche.
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