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À La Une - Éclairage

La poudrière de Tripoli

La ville de Tripoli (et le Liban) l’a échappé belle. Même si aujourd’hui, le calme semble être revenu, les séquelles de l’agression contre le convoi du ministre de la Jeunesse et des Sports Fayçal Karamé se font encore sentir. L’attitude de l’ancien Premier ministre Omar Karamé a permis d’absorber le choc et de calmer la rue, mais nul n’ignore plus désormais, dans la capitale du Nord, que le terrain est contrôlé par les islamistes. D’ailleurs, pour ne pas jeter de l’huile sur le feu, les détails de l’agression n’ont pas été divulgués dans les médias.

 

Pourtant, selon une source sécuritaire, l’agression était très sérieuse. Des dizaines de jeunes gens en armes ont attaqué le convoi du ministre, après l’avoir bel et bien identifié. Ils ont donc tiré sur les voitures, incendiant l’une d’entre elles. Les gardes du corps du ministre ont voulu le protéger, mais il a préféré descendre de voiture pour tenter de calmer les agresseurs, croyant que ceux-ci ne l’avaient pas reconnu. Mais ils se sont précipités sur lui et lui ont mis le revolver sur la tempe, menaçant de tirer. Entre-temps, des membres du convoi avaient alerté l’armée qui est arrivée rapidement sur place et a réussi à circonscrire l’incident. Mais la source sécuritaire précise que le ministre a parfaitement identifié ses agresseurs qui appartiennent à la mouvance islamiste. Certes, cheikh Salem Raféi, qui est l’une des figures les plus en vue de la mouvance islamique à Tripoli, s’est rendu au domicile des Karamé pour exprimer son soutien à la famille, laquelle, en contrepartie, a refusé qu’une enquête soit ouverte sur l’incident, préférant que les choses en restent là.


Cette attitude sage a permis de rétablir le calme et d’éviter le pire, mais la source sécuritaire précitée fait un rapprochement entre l’incident qui a failli coûter la vie au ministre Fayçal Karamé et la campagne d’intimidation menée par les salafistes contre les figures tripolitaines qui appuient le 8 Mars et plus particulièrement le Hezbollah, ainsi que le régime syrien.

 

Au cours des derniers mois de 2012, Tripoli avait été en effet le théâtre d’une action systématique en direction de plusieurs personnalités et familles de la ville, comme cheikh Hachem Minkara, cheikh Bilal Chaabane et la famille Mouri, influente dans le quartier de Zahiriyé. Cette famille a été chassée de son quartier par les groupes salafistes, avec à leur tête Hussam Sabbagh (chef de file actuel des salafistes et ancien de Fateh el-Islam soupçonné d’avoir tendu une embuscade à l’armée dans la foulée des combats de Nahr el-Bared), sous prétexte de son appui déclaré au Hezbollah. Elle attend le feu vert de l’armée pour revenir chez elle.

 

Cheikh Hachem Minkara a été aussi attaqué dans son fief à Mina, alors qu’une délégation de salafistes regroupant entre autres Hussam Sabbagh s’est rendue chez cheikh Bilal Chaabane (chef du mouvement Tawhid) pour le convaincre de cesser son appui au Hezbollah et au régime syrien. La conversation avait d’ailleurs été houleuse et cheikh Chaabane avait fini par affirmer qu’il est avec la révolution syrienne et avec le Hezbollah dans sa résistance contre Israël. Mais si ce dernier devait s’en prendre aux sunnites au Liban, il ne pourrait que le combattre.

 

En parallèle, cheikh Chaabane a décidé de renforcer sa protection et celle de la station de radio appartenant à son mouvement. Ce qui a, pour le moment, découragé les salafistes. De même, des messages fermes ont aussi été adressés aux membres du PSNS à Tripoli, notamment les frères Fayçal et Mahmoud Assouad, qui ont décidé de rester sur place malgré tout et de riposter s’ils étaient attaqués.


Face à cette « résistance », les groupes salafistes se sont plus ou moins repliés, mais ils s’en sont pris aux magasins appartenant à des alaouites dans les souks de Tripoli, avant de tenter une attaque contre Jabal Mohsen. Les Tripolitains s’en souviennent, les combats ont duré une dizaine de jours et l’armée s’est déployée en force dans la région. Le calme a de nouveau régné... jusqu’à l’agression contre le convoi du ministre Fayçal Karamé. Les groupes salafistes poursuivent donc leur plan de contrôler la rue, à défaut des cœurs, dans la capitale du Nord et guettent le bon moment pour intervenir, alors que les parties qu’ils visent ont alerté l’armée et réclament sa protection. Mais celle-ci ne peut intervenir sans mandat clair et la capitale du Nord est plus que jamais une poudrière, alors que le courant du Futur continue d’affirmer qu’il contrôle le terrain, sans pour autant avoir une grande influence sur les salafistes, qui d’ailleurs ne font pas vraiment cas de lui.


La source sécuritaire précise que ceux-ci ont installé leur base à la mosquée al-Abrar dans le quartier d’Abou Samra et qu’ils entraînent leurs hommes dans les champs proches de cette zone en même temps que les combattants de l’opposition syrienne. D’ailleurs, le ministre de l’Intérieur Marwan Charbel a fait allusion à l’existence de tels camps au Nord. En même temps, les cheikhs de cette mouvance encouragent dans leurs prêches leurs partisans à épouser des Syriennes parmi les déplacés, pour gagner ainsi de nouvelles familles à leurs vues et surtout tisser des liens étroits entre les Libanais et les Syriens de l’opposition islamiste. Leur influence ne cesse de grandir au sein de la population au point que l’armée a arrêté deux élèves officiers originaires du Nord, soupçonnés de former une cellule d’el-Qaëda au sein de la troupe. De plus, selon les mêmes sources, les groupes salafistes ont désormais leurs propres infrastructures.

 

Ils soignent leurs blessés au dernier étage de l’hôpital al-Chifaa (au nez et à la barbe des Tripolitains ordinaires qui n’ont pas les moyens de se faire soigner et qui attendent le ministère de la Santé), où nul ne peut pénétrer sans leur accord et ils contrôlent aussi l’hôpital al-Zahra moins bien équipé qui sert surtout à accueillir les convalescents. Ils ont visiblement beaucoup de fonds (en moyenne 70 000 dollars par semaine aux chefs de file), qui viennent, d’une part, des groupes islamistes installés dans les pays d’émigration et, d’autre part, d’organisations islamiques installées dans les pays du Golfe. La Sûreté générale a d’ailleurs arrêté le 22 août dernier un Australien d’origine libanaise qui serait l’un des transporteurs de fonds aux groupes islamistes...


Petit à petit, la capitale du Nord est ainsi en train de basculer dans le giron des islamistes dans l’indifférence de la classe politique plongée dans ses calculs électoraux, et face à l’impuissance de l’armée qui n’a pas de mandat pour agir. Quand donc les autorités décideront-elles de réagir ? À moins qu’elles ne comptent sur la France qui combat les terroristes islamistes au Mali...

La ville de Tripoli (et le Liban) l’a échappé belle. Même si aujourd’hui, le calme semble être revenu, les séquelles de l’agression contre le convoi du ministre de la Jeunesse et des Sports Fayçal Karamé se font encore sentir. L’attitude de l’ancien Premier ministre Omar Karamé a permis d’absorber le choc et de calmer la rue, mais nul n’ignore plus désormais, dans la...
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