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À La Une - Danse

Autopsie d’un corps de guerre

Dans « That part of heaven », une création signée Maqamat, chorégraphiée et dirigée par Omar Rajeh, l’artiste s’interroge sur les conséquences de la guerre. Un spectacle douloureux et fascinant qui sera encore interprété les 24, 25 et 26 janvier au théâtre al-Madina.

Des corps qui s’entrelacent pour mieux se séparer. Photo Sami Ayad

Dans Les Désorientés, dernier roman d’Amin Maalouf, l’écrivain parle de son pays, de tous ces morts, exilés, ces blessures du passé difficiles à panser, à recoudre, à dissimuler. Pour l’auteur libanais, si la guerre n’avait pas éclaté, la vie aurait été plus belle et plus douce et le pays du Cèdre serait demeuré la perle de l’Orient.


Largement inspiré de la pensée d’Amin Maalouf, qui se traduit dans ses ouvrages Les Désorientés et Le dérèglement du monde, le chorégraphe Omar Rajeh construit son spectacle de danse. Une création contemporaine qui met en scène cinq femmes, porteuses d’enfants mais aussi de douleurs, de messages, de mémoire. Durant plus d’une heure, elles vont évoluer dans un univers presque carcéral. En mouvements syncopés, en balbutiements et soliloques souvent inaudibles, ces quasi-zombies, déchirées, mutilées dans leurs entrailles (puisque nombre de femmes libanaises ont perdu leurs enfants), miment les gestes de l’amour, de la séparation, de l’inquiétude, de l’angoisse. Et enfin de la folie. Cheveux en bataille, pupille dilatée, air hagard, ces corps labyrinthiques, handicapés, estropiés, déséquilibrés et désorientés vont s’épouser, se désunir, se retenir, se coller pour mieux se séparer.

Au sein de la matrice
Dans un espace semblable à un marécage stagnant, les jambes des danseurs s’empêtrent (le Liban n’est-il pas ce pays qui nous retient prisonniers et dont on se détache avec douleur ?) dans un liquide qu’on devine saumâtre. L’eau suintant sur la peau de Mia Habis, Émilie Thomas, Zei Khauli, Ali Chahrour et Bassam Bou Diab symbolise l’exsudation du corps. Plaie ouverte ? Et cette plaie n’est-elle pas par ailleurs suivie d’une sorte de purification qui ramènerait le corps à la matrice de la terre ?


Douloureux et parfois oppressant, mais tellement salvateur, That part of heaven (à comprendre ce morceau de paradis) mêle fragments de douceur et strates de grande amertume. La marche robotique des corps exsangues reflète cet après-guerre où tout le monde tente d’oublier vaille que vaille les affres d’événements pénibles en cherchant un peu d’amour et de tendresse. Mais comment oublier alors que tout s’est imprimé sur le corps et continue à le hacher jour après jour ?

Au scalpel...
Pour Omar Rajeh, de retour dans son pays en 2002 avec un master de danse de Surrey (Angleterre) afin de fonder la compagnie Maqamat, que de chemins parcourus, que de difficultés surmontées et quelle évolution ! Des premiers pas esquissés sur les planches d’un théâtre expérimental jusqu’à aujourd’hui, le danseur chorégraphe n’a cessé d’élargir les horizons du langage corporel contemporain et moderne et d’en repousser les limites pour réaliser un corps de danse abouti. Selon lui, l’art en général et la danse en particulier ne doivent pas être une simple reproduction du réel, ni donc un miroir de la réalité, mais une sorte de prisme qui renvoie – par ses propres moyens artistiques – plusieurs facettes entrecoupées et entrelacées de cette réalité. L’art n’a pas pour objectif la réinterprétation de l’événement, surtout que ce dernier est souvent délicat à comprendre sur la mosaïque libanaise. Plutôt qu’une étude documentaire de cet événement, l’artiste propose une analyse par l’art qui se doit de décortiquer et de faire une autopsie en langage artistique.


That part of heaven n’est pas le Guernica où Picasso reprend sur sa toile les horreurs de la guerre. Omar Rajeh ne raconte pas la cause mais les conséquences. Il ne décrit pas une balle, mais la blessure causée par cette balle. Dérouler l’écheveau pour en démonter les nœuds et en détacher les fils, c’est ce que fait cette performance chorégraphique d’une manière subtile et profonde mêlant à la fois passé et présent, laideur et beauté, et confondant sexe masculin et féminin, permettant ainsi au public de s’immerger dans ces eaux troubles et d’en ressortir comme nettoyé.

*Théâtre al-Madina, 20h30. Billeterie à la librairie Antoine et au théâtre le soir des représentations.

Dans Les Désorientés, dernier roman d’Amin Maalouf, l’écrivain parle de son pays, de tous ces morts, exilés, ces blessures du passé difficiles à panser, à recoudre, à dissimuler. Pour l’auteur libanais, si la guerre n’avait pas éclaté, la vie aurait été plus belle et plus douce et le pays du Cèdre serait demeuré la perle de l’Orient.
Largement inspiré de la pensée...
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