Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Afghanistan

Les talibans face à la concurrence de l’État islamique

Des alliances surprenantes voient le jour contre une menace terroriste souvent « instrumentalisée ».

Photo d’archives de talibans, à Jalalabad, en Afghanistan, en février 2016. Photo AFP

L'Afghanistan a longtemps souffert d'ingérences étrangères. De par sa position stratégique, le pays a servi de scène d'affrontements entre plusieurs puissances rivales, que ce soit entre la Russie tsariste et la Grande-Bretagne au XIXe siècle, ou entre les Soviétiques et les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui, pendant que les affrontements se poursuivent entre les talibans et les autorités afghanes, un nouvel acteur entre en scène : le groupe État islamique (EI) accroît en effet son influence dans le pays en défiant les talibans sur leur propre sol, et en revendiquant un territoire qu'il considère comme étant une province de son califat.

On peut parler d'une émergence de l'EI en Afghanistan qui remonte à au moins 2014, quand des combats ont opposé les forces de sécurité afghanes à des insurgés affiliés à l'EI au sud-est de Kaboul. Un mois plus tard, six commandants des talibans pakistanais ont fait allégeance au chef de l'EI, Abou Bakr el-Baghdadi. En janvier 2015, ce dernier a annoncé la création d'une cellule de Daech (acronyme arabe de l'EI) dans le « Grand Khorassan », une région historique comprenant l'Afghanistan, le Pakistan, l'Iran et l'Asie centrale, marquant la montée en puissance du groupe jihadiste dans le pays. Enlèvement de chiites, destruction de sanctuaires soufis, saccages de télévisions, exécutions sommaires et fermeture d'écoles ont été rapportés de part et d'autre du territoire. Les jihadistes de l'EI avaient même créé en 2015 leur propre radio, La Voix du califat, appelant les jeunes à rejoindre l'organisation. Selon un rapport de l'Onu publié en septembre dernier, 25 provinces sur les 34 du pays enregistraient en 2015 un nombre croissant de sympathisants et de nouvelles recrues. Bien que ces chiffres soient presque impossibles à récolter, l'armée américaine a évalué à entre 1 000 et 3 000 le nombre de combattants de l'EI se trouvant dans le pays.

Des talibans dissidents
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les jihadistes de l'EI n'ont que peu de contacts avec le « siège » de l'organisation en Syrie et en Irak, puisqu'il s'agit principalement de dissidents talibans. Beaucoup d'entre eux ont en effet décidé de changer d'affiliation suite à la mort du mollah Omar en juillet 2015. La désignation du mollah Akhtar Mansour comme son successeur n'a pas été reconnue par certaines figures des talibans qui ont considéré le processus de sa nomination non consensuel.

Par ailleurs, une partie de la jeune génération de combattants afghans ne se retrouvait plus, idéologiquement, dans la vieille garde des dirigeants rebelles. D'autres considérations plus pragmatiques sont aussi entrées en jeu : s'affilier au nouvel État islamique est la meilleure façon pour certains commandants d'obtenir leur autonomie, avoir un salaire élevé et revendiquer un territoire plus important.

Les talibans ont dénoncé ces déserteurs comme éléments criminels, tout en appelant l'EI à ne pas créer « un front jihadiste parallèle ». Dans une lettre adressée au chef du groupe, en juin 2015, le numéro deux des talibans, Akhtar Mohammad Mansour, avait poliment salué le chef de Daech tout en le prévenant que « le jihad contre les envahisseurs américains et leurs esclaves en Afghanistan ne peut avoir qu'un drapeau, une direction et un commandement ». « Que Dieu nous en préserve, si vous veniez à prendre des décisions à distance, vous perdriez le soutien des érudits, des moujahidine et des sympathisants », soulignait le mollah Mansour, précisant que les talibans « seraient forcés de réagir afin de défendre leurs acquis », si jamais l'EI tentait de s'implanter dans le pays. Deux mois plus tard, l'EI a diffusé une vidéo d'exécution d'une dizaine d'hommes, forcés à s'agenouiller sur des charges explosives avant leur mise à feu dans Nangarhar, une province de l'est du pays qui est jusqu'à aujourd'hui le théâtre d'affrontements sanglants entre les deux groupes extrémistes. Selon la chaîne BBC, les talibans afghans avaient déclaré en décembre dernier avoir mis en œuvre des troupes spéciales avec plus de 1 000 combattants pour lutter contre Daech.

Une menace exagérée
L'implantation de l'EI en Afghanistan a conduit de plus en plus de pays voisins, tels que le Pakistan, le Tadjikistan ou l'Iran, à envisager un dialogue limité avec au moins une partie des talibans, afin de les pousser à la modération et éviter la déstabilisation régionale. L'EI est d'ailleurs considéré comme une menace bien plus grande que les talibans de par son agenda transnational. Interrogé par L'Orient-Le Jour, Haoues Seniguer, professeur de science politique à l'Institut d'études politiques de Lyon, explique que « les talibans n'ont aucune vision expansionniste et visent à reconstruire l'ordre sociopolitique indépendamment d'une présence étrangère. Au contraire, l'objectif de l'EI est beaucoup moins précis et consiste à abolir les frontières et instaurer un califat transnational ».

Ainsi, en décembre 2015, un haut responsable du ministère russe des Affaires étrangères a indiqué que la Russie échange des informations avec les rebelles talibans d'Afghanistan et du Pakistan, dont les intérêts « coïncident » avec les siens dans la lutte contre l'EI. Selon Franz-Michael Mellbin, représentant spécial de l'Union européenne pour l'Afghanistan, l'Iran est également en train de coopérer avec les talibans pour créer une zone tampon le long de ses frontières et lutter contre l'EI. Cette alliance surprenante, compte tenu de la haine qu'éprouve le groupe extrémiste envers les chiites, ne devrait pas être automatiquement perçue comme un choix politique rigide de la part de l'Iran ni comme une preuve « d'adoucissement » des talibans. Il s'agirait plutôt d'un « mariage de convenance », du résultat d'une politique pragmatique qui sert à protéger les intérêts des parties prenantes à ce moment donné. « Dans la région, on n'est pas amis ou ennemis à 100 % », souligne ainsi Clément Therme, chercheur associé à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS). « Comme les talibans sont très puissants après leur offensive du printemps et contrôlent une partie significative du territoire afghan, tous les pays de la région ont intérêt de discuter avec eux », précise-t-il.

Or les autorités afghanes ont pour leur part renoncé à tout dialogue politique avec les talibans depuis l'annonce de la mort du mollah Omar en 2015. Interrogé par L'Orient-Le Jour, Clément Therme considère qu'il est assez improbable que la menace externe de Daech conduise à la consolidation du processus de paix en Afghanistan. « Ce n'est pas parce que Daech émerge que les talibans deviennent fréquentables. Les frontières entre les groupes sont poreuses et les différences en termes idéologiques sont quand même nuancées », explique-t-il, sans pour autant exclure la possibilité d'une entente politique dans le cas d'un renforcement de Daech en Afghanistan et au Pakistan. Il souligne, par ailleurs, que le gouvernement afghan, contrairement aux autorités pakistanaises, aurait tendance à exagérer la menace de Daech pour obtenir le soutien de l'Occident dans la lutte contre le terrorisme. « L'Afghanistan et certains pays voisins – notamment la Russie – ont intérêt à instrumentaliser cette menace et à expliquer qu'elle est un produit d'importation. Donc au Tadjikistan on va dire que c'est un produit importé d'Afghanistan ; en Afghanistan on va accuser les pays étrangers... », affirme-t-il.

Que la menace soit exagérée ou instrumentalisée, elle est pourtant bien réelle. L'attentat du 30 juin perpétré par un Ouzbek, un Russe et un Kirghiz à l'aéroport d'Istanbul montre bien la montée de l'influence de l'EI en Afghanistan et en Asie centrale. Sous la menace terroriste, Washington a d'ailleurs annoncé le 6 juillet dernier le maintien de 8 400 soldats (au lieu de 5 500) en Afghanistan jusqu'en 2017. Mais si la voie militaire paraît nécessaire à court terme, pour Clément Therme, la situation ne peut être résolue qu'à travers une réconciliation entre le Pakistan et l'Afghanistan.

 

Pour mémoire

Afghanistan: les talibans nient échanger des informations avec la Russie sur l'EI

Les talibans dénoncent une vidéo « horrible » de l'EI

Les talibans mettent en garde l'EI contre toute implantation en Afghanistan

L'Afghanistan a longtemps souffert d'ingérences étrangères. De par sa position stratégique, le pays a servi de scène d'affrontements entre plusieurs puissances rivales, que ce soit entre la Russie tsariste et la Grande-Bretagne au XIXe siècle, ou entre les Soviétiques et les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui, pendant que les affrontements se poursuivent entre les...

commentaires (1)

Position stratégique ? Rigolade à l'époque des missiles intercontinentaux !!! Il faut oublier ce pays, que Daesch et les talibans se congratulent dans leur islamisme de façade Le seul HIC de tout ça , c'est qu'ils vont inonder de drogue le monde entier. C'est la seule richesse de ce pays ... lamentable

FAKHOURI

14 h 43, le 23 juillet 2016

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Position stratégique ? Rigolade à l'époque des missiles intercontinentaux !!! Il faut oublier ce pays, que Daesch et les talibans se congratulent dans leur islamisme de façade Le seul HIC de tout ça , c'est qu'ils vont inonder de drogue le monde entier. C'est la seule richesse de ce pays ... lamentable

    FAKHOURI

    14 h 43, le 23 juillet 2016

Retour en haut