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Diaspora - Diaspora

La Fondation maronite : plus qu’une démarche politique, un travail de mémoire

Le vivre-ensemble, mythe fondateur du Liban.

Les deux « pères » de la Fondation maronite dans le monde : le patriarche Sfeir... Photo Émile Eid ... et Michel Eddé. Photo Michel Sayegh

Qu'on le veuille ou non, le Liban repose sur la démographie, disions-nous dans un premier article (voir L'Orient-Le Jour du 20 juin 2016). Une certaine proportion de chrétiens doit s'y trouver pour que le Liban reste le Liban. Or la guerre, les difficultés économiques ont saigné démographiquement le Liban au cours des dernières décades du XXe siècle, au point où les chrétiens ne représentent plus, selon des estimations fiables, que 30 % de la population. C'est à la recherche d'une compensation aux vagues d'émigration anciennes et/ou récentes que la Fondation maronite dans le monde (FMM) est partie depuis 2008, avec plus ou moins de bonheur, plus ou moins de succès. Le vote d'une loi sur le recouvrement de la nationalité par les émigrés (décembre 2015) a grandement facilité, en théorie, un processus au départ lent et laborieux.

«L'appréhension diffuse ou explicite des Libanais musulmans, depuis que le projet de loi avait été présenté dans sa première version par le député Nehmatallah Abi Nasr (en 2003), c'est que le pourcentage des chrétiens inscrits sur les registres de l'émigration ne soit trop élevé et ne fasse basculer de nouveau l'équilibre démographique du Liban en faveur des chrétiens. Inutile de dire que cette appréhension est sans fondement. Toutefois, le vote de la loi n'aurait quand même pas été possible sans le grand compromis politique qui a été réalisé en décembre dernier, et sur lequel il serait trop long de revenir », affirme Youssef Doueihy, pilier de la Fondation.

Quel nombre possible d'émigrés la Fondation maronite dans le monde, avec ses quatorze bureaux, espère-t-elle toucher ? Pour Youssef Doueihy, il est difficile de le prévoir, puisque la nouvelle loi vient d'être votée.
Mais, se fondant sur l'expérience acquise dans tous les pays d'émigration ancienne comme aux États-Unis, en Afrique du Sud, en Australie ou dans certains pays d'Amérique latine, comme le Brésil, le Mexique ou l'Argentine, il assure que « ce sont les membres des deuxième, troisième et quatrième générations qui sont les plus enthousiastes pour ce processus. Ils n'ont pas visité le Liban pour la plupart, mais ils ont gardé vivante la mémoire de leurs grands-parents, de leurs parents, et ils ont une grande nostalgie pour le pays».
«Cela dit, il faut attendre pour voir ce que va donner l'application de la loi, nuance-t-il. Les grandes lignes sont claires, mais entre les ministères des AE et de l'Intérieur, certains points sont toujours en cours d'éclaircissement.»

(Lire aussi : La Fondation chrétienne libanaise dans le monde à l'œuvre aux États-Unis)

Un simple relais

«La stratégie de la FMM est d'accompagner la loi, aux côtés des ambassades, enchaîne M. Doueihy. Il ne faut pas croire que nous établissons des consulats ou des ambassades parallèles. Ce qui se passe, c'est qu'une institution plus souple, libre des contraintes bureaucratiques, a pour fonction de motiver davantage les ayants droits. La Fondation ne peut pas accueillir les demandes et les transmettre au Liban. Elle n'est qu'un relais. Ce sont les ambassades qui remplissent cette fonction. Notre travail consiste, pour moitié, à motiver les ayants droits, et pour l'autre moitié à les aider à retrouver leurs origines, à produire les certificats nécessaires.»
«À titre de comparaison, ajoute-t-il, l'Espagne et l'Italie ont, il y a une quinzaine d'années, amendé leurs lois de recouvrement de la nationalité pour les émigrés en Amérique latine. Leurs formulaires de demande, dont j'ai pu prendre connaissance auprès des consulats d'Espagne et d'Italie à Sao Paulo, sont très proches des nôtres. C'est par centaines de milliers que les demandes sont présentées, et tout se passe facilement, car l'État est mobilisé dans ce but.»
«Avant la promulgation de la loi, le traitement des dossiers qui nous parvenaient n'était pas prometteur, se rappelle M. Doueihy. Désormais, l'État doit prouver son sérieux sur ce plan. Une accélération de la procédure est indispensable. À mon sens, le ministère des AE remplit son devoir. Reste le ministère de l'Intérieur et la commission prévue par la loi pour examiner les dossiers. La commission est formée d'un juge et des directeurs généraux de l'état civil et de celui des émigrés. Dès que les dossiers commenceront à venir, nous jugerons du sérieux des intentions manifestées lors du vote de la loi.»

(Lire aussi : La Fondation maronite dans le monde, travail de mémoire et accomplissement d’un devoir)

Régulateur du pouvoir politique

Quelque part, l'équilibre numérique entre chrétiens et musulmans opère au Liban comme un régulateur et une référence du pouvoir politique. C'est cette donnée de base qui est à l'origine du lancement par le patriarche Nasrallah Sfeir, à l'initiative de Michel Eddé, de la Fondation maronite dans le monde.
Michel Eddé aime rappeler qu'en 1989, se trouvant à Genève en visite privée, il y avait rencontré Saëb Salam. Ce dernier y séjournait en réfugié politique. Évoquant l'hémorragie qui saignait à l'époque la communauté maronite, avec plusieurs centaines de départs de chrétiens chaque jour du port de Jounieh: «Votre rêve se réalise», avait-il lancé à Saëb Salam, pour le taquiner. «Tais-toi Michel, avait été la réponse de M. Salam. Même si vous n'étiez que 5%, nous serions toujours moitié-moitié.»
Ce moitié-moitié, ce vivre-ensemble est le véritable mythe fondateur du Liban. Saad Hariri, fidèle à la pensée de son père, l'avait exprimé il y a quelques années de la sorte: «Nous avons cessé de compter.» Sous-entendu, quel que soit le pourcentage de chrétiens au Liban, dans les instances représentatives comme le Parlement, ce sera toujours moitié-moitié.
Il est quand même du devoir des Libanais, toutes communautés confondues, de préserver ce mythe pacifique, d'en maintenir l'efficacité et la crédibilité, en fournissant au pluralisme la base démographique dont il a besoin pour demeurer crédible et fructueux. C'est ce que fait la Fondation maronite dans le monde, avec l'aide de l'Église et de tous ceux qui s'impliquent dans son projet.

Dans l'un de ses derniers ouvrages, Mémoire et Identité, Jean-Paul II, qui avait compris le Liban mieux que quiconque, affirme que la patrie, comme la famille, comme la nation, est une donnée naturelle. Le patriotisme, précise-t-il, « se situe dans le cadre du quatrième commandement, qui nous engage à honorer notre père et notre mère (...). La patrie est le bien commun de tous les citoyens et, comme tel, elle est aussi un grand devoir ». Là aussi, il faut apprécier à sa juste mesure ce que la Fondation maronite dans le monde est en train de faire: plus qu'un simple recouvrement technique de la nationalité, un travail de mémoire.

Les chiffres approximatifs des Libanais de la diaspora

Sur la base du chiffre de 4 millions de Libanais au Liban, la diaspora libanaise se présente, par ordre décroissant, comme suit : Brésil (9 millions), États-Unis (3,5 millions), Argentine (1,2 million ), Mexique (400 000), Australie (400 000), Venezuela (340 000), Canada (270 000), Colombie (125 000), Arabie saoudite (120 000), Équateur (100 000), pays du Golfe (100 000), Grande-Bretagne (90 000), Uruguay (55 000), Allemagne (50 000), France (50 000), Nouvelle-Zélande (47 200), Sénégal (40 000), Afrique du Sud (25 000), Chypre (20 000), Espagne (14 500), Liberia (10 000), Nigeria (10 000), Sierra Leone (10 000), Koweït (10 000), Égypte (7 450), Bulgarie (entre 4 000 et 7 000), Ghana (6 700), Suisse (5 800), Grèce (3 400), Italie (3 200).
Les bureaux de la Fondation maronite dans le monde se trouvent dans les pays suivants : États-Unis, Brésil, Argentine, Canada, Australie, France, Uruguay, Mexique, Colombie, Saint-Domingue, Argentine, Venezuela, Paraguay et Costa Rica. L'ouverture de nouveaux bureaux est envisagée à Cuba et au Chili.

Cette page est réalisée en collaboration avec l'Association RJLiban. E-mail : monde@rjliban.com – www.rjliban.com


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