Selon le mot d'un haut responsable, les élections municipales « auront lieu parce que les parties concernées ont honte de les reporter ». Mais, au fond, chacune d'elles comptait sur l'autre pour provoquer leur report. En vain. Dans dix jours, et sauf imprévu, le processus sera lancé et les partis politiques devront s'y faire. Pourtant, dans chaque localité, les problèmes sont nombreux et les listes difficiles à former. La classe politique explique ce phénomène en affirmant que les élections municipales ont un caractère familial et de développement, loin des considérations politiques. Si cet argument était vrai, pourquoi tous les partis politiques se sentent-ils impliqués dans ce scrutin et se démènent-ils pour soit former des listes, soit avoir des candidats sur les listes existantes ?
La réalité est donc un peu différente : les élections municipales s'annoncent comme un véritable casse-tête pour la classe politique toutes tendances confondues. C'est d'ailleurs le premier test de popularité depuis les dernières élections municipales en 2010, sachant qu'au cours des dernières années, beaucoup de choses ont changé sur la scène libanaise (sans parler des changements régionaux), au sein de chaque camp. Ce n'est d'ailleurs pas pour le seul plaisir de lancer une belle formule que le président de la Chambre a annoncé, au cours de sa conférence de presse, « la mort clinique du 14 et du 8 Mars ».
Même dans les localités à population majoritairement chiite au Sud et dans la Békaa, les problèmes sont nombreux entre les deux grandes formations Amal et le Hezbollah. Des cellules d'urgence ont été formées dans la plupart des régions pour tenter de circonscrire les différends et, au mieux, les régler. Mais, au moins, pour le tandem chiite, les problèmes sont « sous contrôle ».
C'est moins facile pour les autres communautés. Le courant du Futur a ainsi un grand problème à Tripoli, où jusqu'à présent tout indique qu'il y aura une bataille électorale, non seulement contre l'alliance Nagib Mikati-Mohammad Safadi-Fayçal Karamé, mais aussi contre les partisans de Misbah Ahdab et contre ceux du ministre démissionnaire Achraf Rifi, sans parler des forces de la société civile. À Saïda, où le courant du Futur croyait pouvoir l'emporter facilement avec l'actuel président de la municipalité contre le rival traditionnel Oussama Saad, voilà qu'une nouvelle liste est en train de se former avec d'anciens proches du courant du Futur. Dans la Békaa-Ouest, l'alliance nouvelle avec Abdel Rahim Mrad tient le coup et, à Beyrouth, l'avantage pour la liste haririenne est qu'il y a officiellement en face d'elle deux listes d'opposition, celle de la société civile (Beyrouth Madinati) et celle, de quatre candidats, de Ghada Yafi et Charbel Nahas.
Dans le Mont-Liban, le leader druze Walid Joumblatt craint l'alliance chrétienne entre le CPL et les Forces libanaises, lui qui depuis des années avait pris l'habitude de laisser un choix plutôt réduit aux chrétiens de la montagne qui menaient les batailles en rangs divisés. Il songe à s'allier au PNL du député Dory Chamoun, mais si les Forces libanaises, les Kataëb et le CPL travaillent de concert, les listes appuyées par le tandem Joumblatt-Chamoun pourraient être en difficulté dans certaines localités.
Dans les régions dont la population est à majorité chrétienne, c'est l'alliance entre les Forces libanaises et le CPL qui est sur la sellette. D'autant que lors de l'annonce de cette entente, il a été question pour les deux formations de mener ensemble les batailles électorales et de montrer ainsi leur poids populaire à tous ceux qui le mettent en doute. Seulement, la réalité municipale n'est pas aussi évidente. Dans certaines localités (Zahlé, par exemple), l'alliance doit faire face à un mélange d'autres forces politiques et de familles de notables traditionnels. Dans d'autres, les FL et le CPL se retrouvent en rangs séparés, leur alliance se heurtant à un barrage de la part des familles et même de certains partisans. C'est par exemple le cas de Jbeil, où l'actuel chef de la municipalité Ziad Hawat, appuyé par les Forces libanaises, se sent assez solide pour ne laisser qu'une petite place au CPL, lequel choisira soit d'accepter, soit de mener la bataille en solo. Il faut préciser que les FL et le CPL préfèrent dans chaque localité éviter une bataille électorale au profit de listes de coalition (à Jounieh, par exemple), mais celles-ci sont difficiles à former en raison des considérations familiales et des équilibres politiques. Sans parler du fait que dans certains cas, les bases respectives ne suivent pas nécessairement la tendance à la coalition (Hadeth et Sin el-Fil où, par exemple, des candidats aounistes sont dispersés sur plusieurs listes). Dans les localités du Metn, il faut aussi tenir compte de l'importante influence de l'ancien vice-président du Conseil Michel Murr, ainsi que des Kataëb, des formations arméniennes et même du PSNS.
C'est dire que ces élections municipales, qui se tiennent à un moment délicat de la vie politique libanaise, où les dossiers sociaux s'accumulent sans être résolus, pourraient montrer qu'il y a désormais un fossé entre la classe politique, toutes tendances confondues, et la population. L'histoire pourrait en rester là, mais le véritable problème se posera après la fin des élections municipales. Car, si celles-ci se déroulent aux dates prévues, dans toutes les localités du Liban, quelle raison pourrait encore invoquer la classe politique pour éviter d'organiser des élections législatives ?
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commentaires (7)
Impartialite Mrs....nouvelles forces politiques,renouveau,honnetete....
Soeur Yvette
10 h 08, le 04 mai 2016