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Voter propre

C'est aux législatives de 1964 que remonte ma première – et fort édifiante – prise de contact avec le système électoral libanais. Sur la liste d'électeurs affichée à l'entrée du bureau de vote, dans ma cité d'origine de Deir el-Qamar (Chouf), j'eus la surprise de repérer le nom de mon grand-père Salim, pourtant décédé 32 ans auparavant. Il apparut très vite que par suite d'une manœuvre frauduleuse, le vénérable ancêtre s'était miraculeusement acquitté de son devoir civique : singulier prodige qui présageait éloquemment de la suite...

Mais ce n'est pas d'hypothétiques législatives qu'il va s'agir ici, dans un pays où le Parlement, par deux fois déjà, a reconduit son mandat, sans être fichu, pour autant, d'élaborer une loi électorale satisfaisant les diverses peuplades sectaires du pays. Tout commence à l'école, et l'école de la vie civique c'est la cité, le village. Et si je me dois d'évoquer une fois de plus mon cher Deir el-Qamar, c'est pour déplorer la disparition pure et simple, il y a près de deux ans, de son conseil municipal. D'autant plus triste est ce fait que l'ancienne capitale de Fakhreddine le Grand, émir du Mont-Liban, avait été la toute première de l'Orient ottoman, après évidemment Istanbul, à se doter en 1864 d'un tel organe, qui a implosé sous l'effet des conflits partisans ou claniques.

Non moins néfastes cependant peuvent être les collusions d'intérêts politiques ou bassement matériels et qui prétendent traduire une mensongère unité dédiée au service du citoyen. Voilà pourquoi l'irruption sur la scène municipale de Beyrouth Madinati, initiative cent pour cent apolitique et civique, revêt une portée éminemment nationale. Car Beyrouth n'est pas seulement la capitale maltraitée, humiliée, traitée par-dessus la jambe, d'un Liban non mieux loti. Beyrouth est un concentré du pays, l'espace où se trouvent réunies – et représentées – la totalité des familles spirituelles du pays. Et même si elle n'était que modeste, face au puissant rouleau compresseur des partis organisés, une percée beyrouthine de Madinati constituerait un formidable motif d'espoir, une promesse de renouveau au plan national pour une population souvent en rupture avec la faune gouvernante.

Tous les personnages politiques ne sont pas, bien entendu, des pourris et des prévaricateurs. En revanche, les mouvements de la société civile (on l'a bien vu au plus fort de la crise des déchets) ne sont pas tous à l'abri des manipulations occultes, infiltrations suspectes et autres entreprises de récupération. Par contraste, et outre un tatillon souci d'égalité des genres, c'est une très belle présomption d'intégrité, de transparence et de désintéressement qu'offrent les volontaires de Madinati. Pour cette raison, la bataille électorale de Beyrouth finira tôt ou tard par déteindre, en le dépoussiérant, sur le reste du pays.

En vous rendant aux urnes pour Beyrouth Madinati, seul votre pouce risque d'être souillé par le tampon encreur. Quant au reste, l'occasion est là enfin de voter propre. Au propre comme au figuré.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

C'est aux législatives de 1964 que remonte ma première – et fort édifiante – prise de contact avec le système électoral libanais. Sur la liste d'électeurs affichée à l'entrée du bureau de vote, dans ma cité d'origine de Deir el-Qamar (Chouf), j'eus la surprise de repérer le nom de mon grand-père Salim, pourtant décédé 32 ans auparavant. Il apparut très vite que par suite d'une...