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Culture - Photographies

La vérité tombe des nu(e)s

Loin de toute tartufferie, pudibonderie et hypocrisie, mi-provocateur, mi-révolté, Ammar Abd Rabbo expose 16 photographies (15 nus féminins et un masculin) à la galerie Ayyam.

Photo DR / Ayyam Gallery

Une foule nombreuse qui jacasse, verre à la main, et qui regarde, avec un évident plaisir, des femmes dénudées. Affalées, assises, allongées en odalisques, lisant nonchalamment un journal, debout sous la douche, vautrées dans un lit avec un laptop, droites du buste devant une baie vitrée peaufinant les dernières touches d'un maquillage, et on en passe...

Ammar Abd Rabbo, qui en est à sa sixième expo individuelle, offre à la galerie Ayyam une plastique féminine impeccable où la nudité, prise dans les rets de l'objectif, est la préoccupation première de l'œil de sa caméra. Avec talent, c'est sûr, mais aussi un rien de moqueur pour ce qui devrait être clinique et naturel car visé par les foudres de la censure. Le vice est toujours dans le regard qu'on pose et jamais dans le modèle qui s'exhibe : la nudité est une parure et une offrande de Dieu, tirée du limon de la terre...

Dans ce contexte de contestation, ces photographies à la technique mixte, d'une remarquable netteté et architecturées en toute habileté, sont le travail d'un journaliste à la dent dure. Et qui ne s'en laisse pas conter ! Sexuels ou simplement esthétiques, ces corps aux galbes bien fuselés (combien Nizar Kabbani les aurait aimés, ces seins et ces corps, lui qui les a tant magnifiés en poésie...) sont ici objet d'une certaine rébellion. De par trop de ferveur, d'adoration et de dévotion. Dans une première approche pourtant hantée par l'esprit de franchise, de plaisir, de convoitise charnelle, de liberté, de partage et de communication. Contre l'ordre établi, la pseudo-décence, et le conformisme sourd et aveugle.

Alors, seins, fesses et abricots abrités par les poils du pubis ne sont pas à l'air comme dans L'Origine du monde de Courbet mais soigneusement recouverts. Avec la complicité du calligraphe Aqueel. Les détails anatomiques, cibles tabous à proscrire comme si c'étaient des aberrations inhumaines, des plages lépreuses ou des zones de honte, sont dissimulés en des bulles ou petits espaces à la calligraphie superbe, avec des citations ou des paroles populaires bien malicieuses.

Pour exemple, cette phrase « Dini la nafsi w dine el-nass lel-nass » (« Ma religion est pour ma propre personne et la religion des gens est pour les gens »). Et pour l'unique nu masculin, tenant un « remote control » en main (oui, les mecs, toujours taxés d'inconstance, aiment bien zapper), le sexe est camouflé par une plate-bande où l'on lit « al-Dameh », le larmoyant, désignation tirée d'une fine terminologie érotique de la littérature arabe...

Belle fusion de la nudité et de la tradition calligraphique des pays du Levant où deux ornementations visuelles (et littéraires car les citations bien choisies abondent ! ) ont des échappées belles et courageuses. Pour éreinter une mentalité sclérosée et pourfendre les entourloupes d'une inquisition de la culture dont l'ampleur obscurantiste en terre d'Orient est plus qu'inquiétante et retorse.

Des œuvres pour dénoncer l'état de la censure dans le monde arabe, rétrograde, bigot et insane. Un bain de fraîcheur pour un sourire aux lèvres, mais des yeux frustrés de toute intégrale native beauté. Que l'art, cependant, compense dans toute sa finesse et sa splendeur.

*L'exposition « The Naked Truth » (La vérité nue) de Ammar Abd Rabbo à la galerie Ayyam se prolonge jusqu'au 7 novembre prochain.


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Au « Dismaland » de Banksy

« Into the Wild » (2014).

 


Ammar Abd Rabbo : un journaliste photographe franco-syrien haut de gamme. Qui a ses lettres de noblesse non seulement dans le monde arabe, mais aussi en Occident où son travail figure aussi bien dans Time Magazine que Paris Match, Der Spiegel ou Le Monde.
Aujourd'hui, grand coup d'éclat. Au Dismaland, reflet d'une société en mal d'être, contrepied et parodie de Disnelyand domaine du scintillant féerique, de Banksy, le mystérieux tagueur qui se cache tel un Fantomas, une image choc d'Ammar Abd Rabbo fait une entrée retentissante. Un de ses clics intitulé Aleppo in the Wild (Alep dans la sauvagerie) vient de triompher. Il a été sélectionné, parmi plus de 50 concurrents prestigieux, comme meilleure photo de témoignage de guerre et d'une humanité souffrante.
Quarante-neuf ans, cheveux rasés près du crâne, barbe de quelques jours plus sel que poivre, des yeux vert de gris malicieux, la silhouette rondouillarde sur une chemise baba cool en lin rouge assortie à un pantalon gris souris, avec une arme de combat et un indéfectible compagnon : la caméra en bandoulière. Même le soir d'un vernissage !
Questionnaire peu serré, style cocktail où l'on ne s'appesantit pas sur les sujets, avant la mitraille des flashs. Et la ruée du public et des fans.

Quel effet d'être dans la cour des grands dans l'écrin de Dismaland ?
Cela me touche. Je suis bien entendu flatté. Les propos du Guardian pour me classifier parmi les meilleurs artistes du monde est une chose valorisante. Et puis, que le sort des gens d'Alep soit dans une expo aussi médiatisée est un atout important pour évoquer tout le drame de vivre et la fraternité humaine trahie. Parler des seules exactions de Daech est injuste quand on ignore la douleur et les malheurs des civils en détresse et qui ne se comptent plus...

Comment travaillez-vous?
Simplement. C'est-à-dire que je décide de suivre des activistes, des familles... Sans mise en scène, je tente de restituer au plus près la réalité.

Quels sont les photographes que vous admirez ?
Helmut Newton, mais aussi Robert Mapplethorpe dont les nus masculins sont fabuleux. Il y a une autre bataille à livrer après ces nus féminins exposés. Et je m'y attelle. Une bataille encore plus dure et coriace. Celle des hommes nus où il y a beaucoup à dire. On a tendance à l'oublier : la nudité, c'est aussi la force des gens.
Un souhait ? Des souhaits ?
Professionnellement, je suis quelqu'un qui a eu la chance de vivre de ses photos. Je m'intéresse à la situation de la région, du Moyen-Orient où l'on croise, hélas, dans notre métier, beaucoup de copié-collé... Ce métier est un métier à part ! Mais il y a aussi le souhait personnel, qui est celui d'accéder à une forme d'éternité, d'immortalité... Par exemple, qu'un poème de Hallaj (à qui j'emprunte le verbe dans The Naked Truth) soit un jour, dans le temps futur, associé à l'une de mes photos. C'est plus dans le fantasme que la réalité, mais nous sommes là aussi pour rêver...

 

Pour mémoire
Mise à nu des nus féminins de Shafic Abboud

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Une foule nombreuse qui jacasse, verre à la main, et qui regarde, avec un évident plaisir, des femmes dénudées. Affalées, assises, allongées en odalisques, lisant nonchalamment un journal, debout sous la douche, vautrées dans un lit avec un laptop, droites du buste devant une baie vitrée peaufinant les dernières touches d'un maquillage, et on en passe...Ammar Abd Rabbo, qui en est à sa...

commentaires (3)

JE PREFERE LE VIVANT SUR LE MORT...

LA LIBRE EXPRESSION

08 h 05, le 14 octobre 2015

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Commentaires (3)

  • JE PREFERE LE VIVANT SUR LE MORT...

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 05, le 14 octobre 2015

  • ce n'est pas le musée du Louvre...qui oserait nous montrer la Joconde à poil...!

    M.V.

    08 h 00, le 14 octobre 2015

  • Mais voilà une bonne chose qu'offre ce journaliste artiste, afin d'oublier pour un moment cette classe politique pourrie et ses ordures.

    Halim Abou Chacra

    03 h 13, le 14 octobre 2015

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