La célébration des 90 ans de L'Orient-Le Jour a été scellée par une table ronde autour de l'ouvrage de Michel Touma, L'Orient-Le Jour, 100 ans ou presque, au Salon du livre francophone.
L'espace de l'Agora au Biel, débordant de lecteurs, d'amis et de journalistes, a revêtu toutes les nuances du rêve qu'insuffle le Liban. Le plus vieux journal du Liban est né avec la naissance du pays : la passion du journalisme, moulée dans la rigueur, l'initiative et l'audace, est l'expression du Liban vécu, décrit, critiqué, remodelé et rêvé pendant près d'un siècle. L'OLJ est un pilier de cette évolution, individuelle et collective, pour la liberté, dont le lecteur est le franc reflet.
Le journal est « un passeur, qui vous transmet plusieurs vérités. Et dans ce pays qui est peut-être le plus maudit, L'OLJ est un passeur de rêves », indique notre collègue Ziyad Makhoul, modérateur de la table ronde. Il a relevé que Michel Touma « a eu le mérite d'écrire son ouvrage tout en assurant au quotidien sa difficile mission de vérifier tous les articles de chaque édition du journal à tour de rôle avec Abdo Chakhtoura et Gaby Nasr ».
(Lire aussi: Jreige rend hommage à « L'Orient-Le Jour », « devenu le journal de référence »)
Les trois vétérans du journal, Christian Merville, Nagib Aoun et Issa Goraieb, sont, pour lui, ces trois « passeurs de rêves », auxquels un hommage a été rendu à l'occasion de la table ronde (voir par ailleurs).
Cet hommage induit à une réflexion sur le legs de L'OLJ, que notre collègue Michel Hajji Georgiou a résumé en se référant au code d'honneur des samouraïs.
« Quelque part, nous sommes tous, journalistes, en principe, appelés à suivre la voie du samouraï. C'est-à-dire à faire preuve des caractéristiques suivantes : dissolution du moi, conquête de la peur, droiture et rectitude, courage, bienveillance à l'égard du prochain, respect, sincérité, sens de l'honneur et, enfin et surtout, loyauté. La loyauté, ici, n'est pas uniquement à l'égard de l'entreprise, mais, avant tout, de ses aînés », a-t-il déclaré. Il a annoncé la création d'une personnalité morale, sur base d'une initiative personnelle, « La Société des amis de L'Orient-Le Jour », afin de servir de cadre de réflexion « intergénérationnel, ouvert, souple, libre et permanent sur l'avenir du journal ».
Nayla Moawad : Les règles d'or...
L'enthousiasme des allocutions prononcées par deux anciens du journal, Nayla Moawad et Marwan Hamadé, convertis ensuite à l'exercice politique, porte les échos d'un passé qui continuent de retentir.
« Le journalisme est une école de conduite qui vous marque à vie », déclare Nayla Moawad, revenant sur la densité de ses apprentissages en trois années denses passées de 1962 à 1965 à L'Orient. Elle se remémore une remarque que lui avait adressée René Aggioury « le vrai gardien du temple de L'Orient », dont il a été directeur jusqu'en 1970 : « Mademoiselle Issa el-Khoury, sachez que travailler à L'Orient requiert beaucoup de discipline et un respect absolu et continu des règles d'or de la profession. Il est absolument interdit de nous signaler n'importe quelle nouvelle dont vous ne pouvez pas citer la source, que ce soit par ignorance ou par discrétion », lui avait-il lancé, non sans ébranler quelque peu l'enthousiasme de la jeune femme qui avait « défié les us et les coutumes de son milieu, pour se retrouver dans le camp des rebelles ».
Mais elle intégrera rapidement « les règles d'or de L'Orient, savoir juger et rectifier, savoir critiquer sans grossièreté, faire l'opinion, sans se départir de l'éthique... »
(Lire aussi : La presse francophone dans le monde arabe tire la sonnette d'alarme)
Elle évoluera parmi André Bercoff, aujourd'hui directeur du journal Le Soir à Paris, Christian Merville, Roger Geahchan, Lucien Georges. Elle retient notamment le génie et la culture de Bercoff, « vivant dans un monde à lui et à qui je servais de bouche-trou lorsqu'il ne rendait pas son papier à temps », et « le courage sans pareil de Lucien Georges, ma référence, mon refuge » ; elle mentionne également Éliane Gebara, « dont les potins enchantaient le Tout-Beyrouth ». Dans cette rétrospective défilent les images d'une interaction permanente avec l'autre, avec les aînés, avec soi-même, qui affine le rapport du journaliste à l'information. Nayla Moawad salue ainsi le « grand maître Georges Naccache, son génie prophétique et sa plume qui avait assujetti la langue française... »
Marwan Hamadé : La victoire du journalisme libéral
Le génie de Naccache devait rencontrer la verve de Ghassan Tuéni, lors de la fusion de L'Orient et du Jour en 1971. Le député et ancien ministre Marwan Hamadé, pilier du Jour dès sa relance en 1965, éditorialiste à L'OLJ jusqu'en 1978, se présente surtout comme « un pont entre deux générations de L'Orient et du Jour ».
« Cette rencontre entre L'Orient et Le Jour n'était pas la victoire d'une bataille sur une autre, celle du Nahj chéhabiste défendu par L'Orient, sur le Helf, appuyé par Le Jour. Le Jour de Michel Chiha et de Michel Khoury, arrivé avec son doustourisme étriqué, ballotté dans la politique libanaise en pleine ébullition, a su renouveler son école sous l'égide de L'Orient-Le Jour. » « La victoire était celle d'un journalisme libéral, indépendant, libanais et arabe, un journalisme tombeur de présidents et faiseur de présidents, changeur de gouvernement, régulateur de la vie politique, parlementaire et économique (...) auquel Michel Eddé a donné sa vocation », ajoute Marwan Hamadé. « Une odyssée s'annonçait alors, le début d'une promenade à travers l'histoire contemporaine », déclare-t-il.
Il décrit une scène de la vie au journal, ponctuée d'échappatoires nécessaires. « L'équipe de L'Orient-Le Jour avait dès le début un esprit de jeunesse un peu débridé, qui était déjà le produit de mai 68. Une époque où la fin de soirée au journal était consacrée à la projection de films pornographiques, en attendant la fin du travail à l'imprimerie », révèle-t-il, provoquant les rires de toute l'assistance. Il ajoute que les farces et attrapes avaient d'ores et déjà intégré le quotidien de l'équipe... La frivolité et le plaisir se mêlaient ainsi au fignolage des éditoriaux, à la rigueur de l'information et aux urgences du bouclage. « La plus belle époque de toute ma vie a été mon passage à L'Orient-Le Jour », confie-t-il.
(Lire aussi : Une quarantaine de journaux, dont « L'OLJ », à l'honneur pour leur engagement dans un journalisme d'impact)
Marwan Hamadé valorise surtout la symbiose de L'OLJ et du Liban. « L'Orient, Le Jour, puis L'Orient-Le Jour n'ont jamais été un journal seulement, mais une véritable faculté des sciences politiques au Liban », déclare-t-il, citant les exemples de Charles Hélou et de Georges Naccache, sans manquer de rendre hommage dans ce cadre à Michel Eddé et Samir Frangié, notamment...
Michel Touma : Imaginons le Liban sans « L'Orient-Le Jour »...
« Plus qu'une simple entreprise de presse, L'OLJ est une institution nationale », constate pour sa part le directeur et secrétaire de rédaction du journal, Michel Touma.
L'évolution parallèle, parfois complémentaire du Jour et de L'Orient, puis de L'Orient-Le Jour, avec le Liban est rigoureusement démontrée dans son ouvrage 100 ans ou presque, à partir d'une exploitation des archives du journal et des témoignages d'observateurs, de journalistes et d'acteurs politiques.
Lors de la table ronde, il a poussé jusqu'au bout cette démonstration. « Je voudrais qu'on essaie de s'imaginer ce qu'aurait pu être le Liban sans L'OLJ », déclare-t-il. Plus précisément, « comment L'OLJ a-t-il influencé le débat d'idées ? A-t-il rempli la mission journalistique visant à défendre certaines valeurs, une certaine image ou physionomie du Liban » ? Michel Touma se réfère à trois témoignages qui corroborent cette idée, sous l'angle de la lutte contre l'occupation syrienne.
(Lire aussi : Le PS déterminé à soutenir la francophonie au Liban et dans la région)
Les deux premiers sont ceux de Ghassan Tuéni : sa dédicace à Nagib Aoun où il le félicite d'avoir sauvé l'honneur de la presse en écrivant son fameux éditorial « Lettre à un ami syrien » ; sa réaction à un article de Michel Touma, en date du 18 octobre 2004, qui dénonçait la précarité de « la seule logique de force » que concevait Damas dans ses rapports avec le Liban. « Ghassan Tuéni m'avait alors appelé pour me dire, en substance : « Heureusement que L'OLJ est là... Chez nous, au Nahar, nous n'avons pas les moyens de cette audace. »
Michel Touma relève, en troisième lieu, une observation de Issa Goraieb, exprimée lors de la préparation de l'ouvrage : « L'OLJ est le seul quotidien libanais qui dénonçait explicitement non pas la tutelle ou la présence syrienne, mais carrément l'occupation syrienne. »
« Cette conformité aux valeurs humanistes et à la pensée libre, prônées déjà par les pères fondateurs du journal, Georges Naccache et Michel Chiha compose avec homogénéité la ligne éditoriale du journal depuis 1924. Si cette place particulière du journal est favorisée par la langue française, elle est surtout garantie par l'aptitude des journalistes à « saisir les sensibilités de la région et comprendre et expliquer les valeurs de l'Occident, à la fois mieux que leurs collègues arabophones et occidentaux ».
Cet apport a été salué par l'ambassadeur de France, Patrice Paoli, lors du débat, au cours duquel des points relatifs à l'engagement journalistique et son indépendance véritable ont été soulevés.
Lire aussi
commentaires (7)
Bon courage et merci encore à toute l'équipe de L'Orient-Le Jour.
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
16 h 12, le 10 novembre 2014