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Nos Lecteurs ont la Parole - Nicole V. HAMOUCHE

Quand « la culture n’est pas un luxe mais une nécessité »

«Une maison sans mur»: quel plus beau rêve d'espace, de liberté. Une maison sans mur – selon la formule de Charif Majdalani, le parrain de cette initiative – qui se déplace de Bachoura à Achrafieh, d'une bibliothèque à une galerie, ou à une université; qui accueille des anglophones, des francophones, des arabophones, des hispanophones, etc; des amoureux de la littérature, du monde... Dans «une maison sans mur», il flotte comme un air d'amitié et de liberté. C'était le cas, un jour de la semaine dernière, à la Maison internationale des écrivains. Une maison qui veut rassembler à Beyrouth des écrivains: colombien, serbo-croate, canadien, chinois, libanais et leurs lecteurs; des âmes venues de tous les chemins de la vie, «from all walks of life», selon l'expression consacrée, employée par Michka Mourani Moujabber, animatrice de cette première rencontre dont l'invité était un enfant du pays, Rawi Hage, établi au Canada depuis de longues années.
Oui, c'est bien à Beyrouth que ça se passe, dans cette ville dont on a oublié qu'elle est multiculturelle, qu'elle brasse, qu'elle pense; qu'en elle se confrontent toutes formes de migrations, qui peuvent aussi être créatrices. Cela nous l'avons oublié, obnubilés par les confrontations autres qui y prennent place. Sanglantes, archaïques, stériles...
C'est à un autre genre de confrontation que nous invitaient ce soir-là Rawi Hage et la Maison internationale des écrivains. Une confrontation avec soi-même sans doute, au travers de questionnements fondamentaux sur la guerre, l'identité, l'écriture, la langue, l'être... Questionnements sollicités chaque jour un peu plus par un environnement fait de tiraillements et de métissage. Car la rencontre Écrivains entre deux cultures n'est pas qu'un débat sur le rôle ou la fonction de la littérature et des écrivains; elle est «un espace qui nous rappelle que la littérature est un des lieux où le monde se pense librement, où la mémoire se conserve et où l'histoire est interprétée loin des idéologies et des impératifs marchands», d'après le synopsis même de l'événement, un espace qui nous montre qu'une symbiose est bien possible entre deux mondes, deux cultures. Qu'il n'est pas besoin d'une identité figée dans un seul moule.
Et c'est peut-être pour cela qu'ils étaient nombreux à avoir fait l'effort de trouver la bibliothèque de Bachoura et à s'être déplacés pour une rencontre prometteuse tant la réputation de Rawi Hage le précède. Une rencontre qui a tenu ses promesses : la liberté de ton de Rawi Hage et de son interlocutrice, Michka Mourani Moujabber, elle-même écrivaine, rafraîchit dans un pays où le discours est souvent convenu et politiquement correct. Il ne fallait pas chercher cela auprès de l'auteur de Niro's Game, lequel dénonce sans complaisance, dans son livre, la violence gratuite, quel que soit le bord dont elle émane, le déni et le mal de vivre d'une société étouffée par le poids du communautarisme et des conventions; par l'individualisme qui la caractérise. Ce dernier point, Hage le relève durant la rencontre: «La société est individualiste en tant que telle, quand bien même les individus y sont chaleureux à titre personnel»; on pense justice sociale, structure étatique. La révolte, la dénonciation n'ont d'égal que l'amour et l'ambition. Le cri est un cri d'amour; de trop d'amour. Car l'auteur de Niro's Game confesse en effet son émotion à retrouver le public libanais, lequel, dit-il, le comprend sans doute mieux que tous. Il a pourtant fait le tour de la planète, invité ici et là, ses livres sont traduits en 29 langues et ont reçu les prix les plus prestigieux comme l'Impac de Dublin. Et l'émotion de Rawi Hage était visible; quand bien même il déplorait clairement l'absence des autorités libanaises à ses côtés. Aucune manifestation de soutien dans ses tournées de par le monde, alors que l'ambassade du Canada – un pays dont il est aussi citoyen – ne rate pas une occasion de le faire et que tous ses livres parlent d'une manière ou d'une autre, si ce n'est du Liban du moins de sa «libanité».
La présence de l'ambassadrice du Canada, Mme Hillary Childs Adams, était d'ailleurs notoire ce soir-là; également de par son mot non seulement diplomatique, mais aussi poétique. «Nous autres diplomates sommes comme les émigrants», dit-elle. Est-ce ce qui fait que de nombreux diplomates deviennent écrivains? La migration, les horizons, les langues? Mme Childs Adams salue la tenue d'un tel événement à Beyrouth, a fortiori dans des temps comme ceux-ci. Et Rawi Hage poursuit: «La culture n'est pas un luxe. Bien au contraire, elle est une nécessité.» Dans le même ordre d'idée, il avance aussi que «la littérature est un bon substitut à la religion». Certains quittent la salle. Quand saurons-nous nous élever au deuxième degré?
Pour cet écrivain engagé, le débat fondamental aujourd'hui est celui de la laïcité vs la religion, sur laquelle l'on continue à se pencher ici pour éviter de se confronter aux vraies questions. Il le dit sans ambages, le rôle d'un penseur étant pour lui «de confronter la société». «Je suis un libre penseur qui ne fait pas de compromis»; «j'ai toujours considéré la littérature comme une critique de la vie». Ce sont certainement de tels libres penseurs qui sont les moteurs du changement.

Nicole V. HAMOUCHE

«Une maison sans mur»: quel plus beau rêve d'espace, de liberté. Une maison sans mur – selon la formule de Charif Majdalani, le parrain de cette initiative – qui se déplace de Bachoura à Achrafieh, d'une bibliothèque à une galerie, ou à une université; qui accueille des anglophones, des francophones, des arabophones, des hispanophones, etc; des amoureux de la littérature, du...

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