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Moyen Orient et Monde - Le point

Triangle icosaèdre

Pousser les Kurdes à combattre l'État islamique, comme John Kerry l'avait fait il y a quelques semaines, imité en cela par des diplomates iraniens de haut rang, est une chose. Répondre à leur appel à l'aide en est une autre. Aujourd'hui, les peshmergas donnent l'impression de se trouver au premier rang de la résistance face aux hommes d'Abou Bakr al-Baghdadi. Abandonnés par tous, à commencer par le pouvoir central, alors qu'un des leurs – quelle ironie ! – est à la tête de l'État. Les amis, on le sait, c'est comme la pile Wonder qui ne s'use que si l'on s'en sert.


Qui veut des Kurdes ? Personne ou presque. Qui leur en veut ? Tous ou presque : la Syrie d'Assad, la Turquie d'Erdogan, la République islamique de Ali Khamenei, l'Irak de Nouri al-Maliki, ceux-là pour des raisons évidentes. Par contre, on chercherait en vain une justification à la désertion de Barack Obama (encore une) qui a choisi, semble-t-il, de laisser Daech s'emparer l'une après l'autre des cités pour lesquelles des GI avaient versé leur sang et les contribuables yankees payé des dizaines de milliards de dollars. À l'intention de ses adversaires républicains, la Maison-Blanche fait savoir qu'elle n'a jamais cessé de critiquer le Premier ministre irakien pour les rares arrangements passés autrefois avec ces mêmes irrédentistes qui osent aujourd'hui lui demander de voler à leur secours. Aussi, à leurs multiples requêtes, les Kurdes se sont-ils vu opposer une fin de non-recevoir, le prétexte étant que les demandes d'armes et de munitions devaient parvenir de... l'autorité centrale. Quand on sait dans quel état se trouve ledit gouvernement, on comprend qu'il s'agit là d'un non à peine poli. Confidence de Mansour Barzani, le responsable de la sécurité et des services secrets dans le Kurdistan : « Bagdad n'a même pas consenti à nous livrer une seule balle de fusil. » On le croit sans peine.


Toujours est-il que le résultat est le suivant : une frontière de près d'un millier de kilomètres à défendre, maintenant que les vaillants guerriers du pouvoir en place se sont évaporés dans la nature après avoir piteusement refusé de se battre, abandonnant à l'ennemi uniformes, matériel et même godasses et trousses de secours. L'appellation en vogue de nos jours couvre bien mal en fait un cocktail détonnant composé, selon des sources concordantes, de 5 à 10 pour cent d'éléments du défunt EIIL (État islamique en Irak et au Levant, devenu l'actuel EI après s'être appelé aussi el-Qaëda en Mésopotamie), 70 à 75 pour cent d'éléments tribaux et de 20 pour cent d'anciens baassistes, le ciment étant constitué par leur haine des hommes actuellement au pouvoir.
C'est le pétrole qui a mis le feu aux poudres.


Depuis une dizaine d'années, les habitants du Kurdistan coulaient des jours heureux, s'ouvrant aux affaires et au tourisme, aux milliards de dollars aussi que des investisseurs avisés injectaient dans leur économie, un œil fixé sur les millions de barils d'or noir transportés par un pipeline débouchant dans le port turc de Ceyhan de la province d'Adana. Il y eut aussi, en juin dernier, deux millions de barils embarqués à bord de deux tankers qui ont aussitôt pris la mer. Depuis, la dégradation des rapports est allée en s'aggravant, jusqu'à la petite guerre (petite en apparence et pour combien de temps ?) qui semble devoir s'installer et qui a eu pour effet, en allongeant la ligne de front, d'affaiblir le dispositif de défense à la frontière avec la Turquie, la Syrie et l'Iran. Or, sur ce front, le calme précaire a été rompu ces dernières heures alors que les trois pays concernés se contentaient, croyait-on, de jouer le rôle d'observateurs, quitte à donner au bon moment le coup de pouce susceptible de modifier la donne.


Sur cette toile de fond sont venus s'imprimer les derniers en date des soubresauts dont le plus important aura été, hier, la décision de Bagdad de faire intervenir son aviation au côté des Kurdes. Au même moment, on apprenait que des combattants de l'Union démocratique de Syrie (PYD) étaient arrivés dans la région pour prêter main-forte à leurs frères en difficulté. Un moment, on avait cru pourtant qu'entre l'EI et les Kurdes tout était allé trop vite et presque sans coup férir, comme dans un scénario élaboré d'un commun accord entre deux parties qui partagent le fait d'être sunnites, d'avoir souffert sous la férule de Saddam Hussein et de haïr Maliki.


Les événements de ces dernières heures ont porté un sérieux coup à ce tortueux échafaudage. En terre d'Orient, la conjoncture n'est pas toujours complexe. Elle peut, aussi, être simple. Trop simple.

 

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