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Liban - Liban

Sleiman à « L’OLJ » : Je refuse la répartition par tiers ; je l’ai enterrée à titre préventif

« L'humilité rend invulnérable », dit l'adage. C'est peut-être cette vertu essentielle, caractéristique du serviteur de la chose publique, qui a protégé Michel Sleiman comme une sorte de médaille miraculeuse depuis son avènement, en mai 2008, à la présidence de la République, loin de tout populisme bon marché, de toute virtù florentine.

Le président Sleiman a livré hier à « L’Orient-Le Jour », représenté par notre collègue Michel Hajji Georgiou, ses impressions au terme de son mandat. Photo Dalati et Nohra

Le chef de l'État, Michel Sleiman, dont le sexennat arrive à terme dimanche, n'a pas démérité, son esprit de résilience, de résistance, lui permettant de tenir bon sous les multiples volées de flèches empoisonnées dont il aura été victime tout au long de son mandat. Catapulté dans le rôle de l'arbitre entre deux équipes prêtes à en découdre presque jusqu'au bout de la violence, chargé de veiller, par sa fonction, au respect de la Constitution dans un pays où il n'y a, au final, que de la politique, Michel Sleiman s'est retrouvé, dès le lendemain de son élection, tantôt sous le feu nourri et incessant de certains rivaux malheureux, laissés pour compte, transis; tantôt sous les reproches d'autres détracteurs, le jugeant trop « modéré », trop « centriste » ; et, enfin, carrément dans le collimateur d'un camp politique effarouché par l'attachement du président à la souveraineté, au cadre étatique et à la neutralité du Liban.

Qu'à cela ne tienne, le président Sleiman reste au-dessus de la mêlée, dans l'esprit de sa fonction symbolique, celle de redonner des repères aux Libanais, désorientés par des décades de mauvaise gestion de la sphère publique, et d'ouvrir une possibilité pour un retour à une symbiose entre éthique et politique. Il ne quitte pas le palais rempli d'amertume, en dépit du fait qu'une bonne partie de son sexennat a été marquée par le blocage, en raison de la crise politique profonde, ontologique, qui n'a cessé d'agiter le pays. Si le chef de l'État fait dans la discrétion, loin de l'habituel tintamarre qui anime d'ordinaire certaines personnalités avides d'étaler leurs réalisations, il est toutefois parfaitement lucide de ce qui a été accompli durant ses six ans, à partir de et grâce à la présidence de la République.

(Lire aussi : Samedi, la fontaine de Baabda sera éteinte avant le départ du président sortant)

 

Une feuille de route pour le prochain président
Interrogé sur les réalisations dont il est le plus fier, c'est spontanément par le domaine de la politique étrangère du Liban que Michel Sleiman commence. Certes, la politique étrangère restait, en théorie, le domaine réservé du président de la République, même après la révision de Taëf. Cependant, dans la pratique, ce n'était pas vraiment le cas. « Il suffit de se souvenir où elle en était, et aux mains de qui elle se trouvait depuis 1990, déclare-t-il. C'est maintenant la présidence de la République qui l'a reprise en main et qui l'a ramenée à bon port et dans le droit chemin. Et cela a surtout été possible grâce aux relations établies avec le Premier ministre, à l'encontre des distributions de zones d'influence. Nous avons rétabli la confiance de la communauté internationale dans le Liban », ajoute-t-il, en allusion, notamment, au congrès de soutien au Liban à New York, en 2013.

Mais ce dont le président Sleiman est le plus fier, ce sont les réalisations qu'il laisse derrière lui sur le plan interne, une feuille de route qui déterminera très probablement, désormais, la conduite du président à venir, quel qu'il soit – l'identité en soi du prochain locataire de Baabda est d'ailleurs un sujet sur lequel le chef de l'État ne souhaite pas s'attarder : la déclaration de Baabda et la consécration du principe de la neutralité du Liban ; l'ouverture du débat sur la stratégie défensive pour intégrer les armes de la résistance dans le cadre de la légalité ; la reconnaissance formelle et par écrit de la parité islamo-chrétienne lors de la dernière réunion de la table de dialogue ; l'adoption d'un véritable projet sur la décentralisation administrative ; ainsi que, last but not least, la mise en place d'un mécanisme rationnel, solide et durable pour les nominations administratives.

(Lire aussi: Sleiman mettra « la pression sur le nouveau président » pour intégrer les armes du Hezb dans l'État)

 

Une souveraineté conquérante
Au-delà de la liste générique des exploits accomplis en tant que tels, il faut reconnaître au président Sleiman le mérite d'avoir rempli jusqu'au bout son rôle de gardien de la Constitution, une qualité qui ne saurait être exclusivement honorifique et qui l'oblige à mettre en œuvre sa compétence constitutionnelle générale de garant de l'ordre institutionnel pour veiller à ce qu'il ne soit pas rompu ou paralysé. Le dernier exemple de cette obstination à défendre la République est la lettre adressée au Parlement – et surtout au président de la Chambre – pour que ce dernier remplisse son devoir constitutionnel.

En fait, Michel Sleiman a sans doute réussi, et c'est là son exploit majeur, à sortir, non sans difficultés, la présidence de la République des limbes dans lesquelles elle avait été plongée par le tuteur syrien. « Nous avons vécu quarante ans entre les profondes divisions du fait de la guerre, la tutelle politique syrienne », et évidemment l'occupation israélienne, et les présences militaires syrienne et palestinienne. « La vie politique était dénuée d'indépendance et de liberté, souligne-t-il. Nous voulions de nouveau former un État digne de ce nom, un gouvernement, avoir une vraie déclaration ministérielle, voter le budget... Certes, je m'attendais aux complications : notre vie démocratique n'était pas saine. Il a donc fallu faire preuve de résilience, de détermination. J'ai vraiment œuvré pour réunir de nouveau les citoyens autour de la présidence et rebâtir la confiance », dit-il.

Pourtant, les tests souverainistes successifs, en dépit de toutes les embûches, ont été un à un surmontés, le président Sleiman s'affranchissant de toutes les contingences sur la voie d'une souveraineté conquérante. Pourtant, l'œil de Damas veillait et surveillait. Quand bien même le président lui-même se refuse à parler de ces événements, parce qu'il souhaite rester au-dessus des polémiques, la suspicion s'est installée dès le discours d'investiture, lorsque le président, rompant avec ses prédécesseurs et la sinistre « concomitance des volets », a évoqué « des relations d'égal à égal » avec la Syrie.

Puis, il y a eu le sommet arabe de Doha et la réponse au président Assad, qui voulait remettre en cause l'initiative arabe de paix dans le cadre d'une réunion dominée par les pays de ladite « moumana3a ». L'affaire Michel Samaha et la neutralité adoptée par le président au sujet de la révolution syrienne – avec quand même à la clef une attitude de principe respectueuse de la lutte des peuples pour la dignité – ont achevé ce processus de « relibanisation » progressive de la présidence dans l'après-Taëf.

La déclaration de Baabda
Mais le président Sleiman a également été confronté, chemin faisant, à l'hostilité de certaines parties locales. Il rappelle ainsi son rejet du tiers de blocage et la garantie qu'il a lui-même essayé d'apporter avec la prise à sa charge d'un ministre chiite. Michel Sleiman affirme avoir été « heurté » par l'attitude de ce ministre, qui a finalement provoqué, par son départ du cabinet Hariri fin 2010 au côté des ministres du 8 Mars, la chute du gouvernement. « Il y a eu rupture d'un gentleman's agreement. Il n'avait pas le droit de se retirer », dit-il. La campagne est partie crescendo, en rupture avec les accords de Doha et de l'initiative saoudo-syrienne, avec l'affaire des faux témoins et l'attitude hostile au Tribunal international, et a culminé avec la chute du cabinet Hariri, se souvient le chef de l'État.

Le coup de Jarnac principal, cependant, reste le sort qui a été réservé à la déclaration de Baabda, qui avait été entérinée par toutes les parties à la table de dialogue, rappelle-t-il. « À l'époque, il y avait déjà des problèmes avec des islamistes au Nord dans la foulée du début de la crise syrienne. J'ai aussitôt été faire une tournée dans le Golfe pour souligner que nous ne saurions accepter que le Liban devienne un point de passage pour ce genre d'activités. J'avais donné l'ordre à l'armée d'intervenir sans ménagements contre les salafistes. L'Arabie saoudite nous avait apporté son soutien dans un communiqué en faveur du respect de la souveraineté et avait favorisé l'ouverture d'un dialogue. La déclaration de Baabda est née à la table de dialogue, adoptée à l'unanimité. Au début, le Hezbollah y était favorable, puisqu'elle était dirigée contre les extrémistes sunnites. C'était avant qu'il n'annonce son intervention dans les combats en Syrie. Puis, par la suite, il a fait marche arrière et a renié ses engagements. Les accusations et les atteintes à la présidence ont commencé, à propos de la déclaration de Baabda et de mes commentaires au sujet du triptyque armée-peuple-résistance. Mais ce n'est pas moi qui ait placé cette équation au cœur de la déclaration ministérielle... Et, cette équation, c'est le Hezbollah qui en est sorti avec son intervention en Syrie », dit-il.

 

Un message d'espoir
Interrogé sur l'idée d'une Constituante que le Hezbollah voudrait instituer pour substituer les trois tiers (sunnite-chiite-chrétien) à la parité islamo-chrétienne de Taëf, il répond : « À travers ma position, j'ai enterré, à titre préventif, l'idée de la répartition par tiers » lors du discours de Amchit. « Je refuse cette équation. Il faut l'endiguer dès à présent, par pure prévention. Elle n'est pas à l'ordre du jour, mais il se pourrait que les développements sur le terrain nous y mènent », souligne-t-il.

 

(Lire aussi: Geagea depuis Bkerké : Il n'y a plus rien à faire !)

« Les campagnes menées contre moi ont effectivement bloqué nombre de choses », dit-il, même si, au bout du compte, le chef de l'État est satisfait. « Les réactions (de certaines parties) contre moi prouvent que j'ai défendu les bonnes positions », dans l'intérêt de l'État et de la souveraineté, affirme-t-il. Un chantier qu'il aurait souhaité ouvrir est, par exemple, celui des réformes constitutionnelles, un thème qu'il abordera longuement dans son discours d'adieu à la nation le 24 – ou plus précisément des « brèches constitutionnelles » et des « répartitions de responsabilités », mais pas du « conflit des prérogatives »; en d'autres termes, du problème posé sous l'angle de la collaboration des pouvoirs, et pas celui des partages d'influences politico-communautaires et des enjeux de pouvoir.

Michel Sleiman est certes soucieux du fait qu'il faille éventuellement attendre avant de voir son successeur prendre ses fonctions à Baabda. Cependant, il refuse d'être alarmiste ou apocalyptique, estimant que nul n'a intérêt à ce que la crise se prolonge et puisse porter atteinte au pays. Son message aux Libanais, à l'heure de son départ, est sous le signe d'un espoir, d'un acte de foi profond dans la capacité de résilience du pays du Cèdre : « Nous avons réussi à dépasser les divisions profondes. Il nous faut encore venir à bout des tiraillements quotidiens. L'État fonctionne. Le Liban viendra à bout de ses difficultés. »
« Mon seul regret, c'est peut-être de ne pas avoir pu réaliser la souveraineté totale du Liban telle que je le voulais. Pourtant, j'ai tout fait dans ce sens. »
L'histoire n'est pas scélérate. Elle saura reconnaître à Michel Sleiman le grand, l'immense mérite, d'avoir posé, au cœur de la tourmente, les jalons d'un nouveau Liban, indépendant, libre et démocratique.

 

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GARE À SA RÉSURRECTION !

LA LIBRE EXPRESSION

19 h 28, le 22 mai 2014

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Commentaires (8)

  • GARE À SA RÉSURRECTION !

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 28, le 22 mai 2014

  • HONNÊTE OUI. COURAGEUX OUI. MAIS À UN POINT D'EN ÊTRE FIER ! NON. NAÏF OUI. SLEIMAN A FAIT CONFIANCE À UN FAUX AMI JOUMBLATT QUI NOUS A AMENÉ LE HIZBBLLAH IRANIEN AU POUVOIR. CE JOUMBLATT N'A RIEN FAIT AUJOURD'HUI POUR AIDER SON "AMI " SLEIMAN ET LE PAYS À S'EN DÉBARRASSER DE L'IRANIEN MALGRÉ QU'IL AVAIT TOUS LES MOYENS DE LE FAIRE. IL A PRÉFÉRER PRÉSENTER UN CANDIDAT EN SACHANT PARFAITEMENT QUE CET ACTE VA BLOQUER LE PAYS. 2ÈME- DOTÉ D'UN COURAGE ET D'HONNÊTETÉ, SLEIMAN AVAIT LES MOYENS DE PROFITER DE CET IMAGE DE MARC POUR RASSEMBLER AUTOUR DE LUI DES GENS VALABLES ET PRÉSIDENTIABLES, POUR BLOQUER LA ROUTE À CES FAMILLES MAFIEUX QUI SE PRÉSENTENT EN PREMIÈRE LIGNE DEPUIS ET QUI PARTAGENT LE PAYS DE PÈRE EN FILS. IL AURAIT DU LES DÉNONCER UN PAR UN. DONC IL N'Y A PAS À ÊTRE FIER VU QUE LE PAYS S'ENFONCE DE PLUS EN PLUS DANS LA MERDE.

    Gebran Eid

    15 h 35, le 22 mai 2014

  • Normal avant un départ un peu chaotique , on cherche à justifier son action et du coup à prouver le mérite qu'on a eu de recevoir ce dont on a été "gratifié". Ex gratia !

    FRIK-A-FRAK

    11 h 56, le 22 mai 2014

  • j;espere que ce n'est pas le dernier president de ce bled...

    Tabet Karim

    08 h 48, le 22 mai 2014

  • Il faudra attendre l'Histoire quelques années encore pour pouvoir juger le président Sleiman ou rester au-dessus de la mêlée n'est pas chose facile pour gouverner un pays avec dix neuf confessions .

    Sabbagha Antoine

    08 h 07, le 22 mai 2014

  • LE SEUL VRAI LIBANAIS ET HOMME HONNÊTE ET DE BONNE FOI. UN VRAI DÉMOCRATE ET HOMME LIBRE ! UN VRAI CHEF D'ETAT ! COMBATTU PAR L'ENVIE ET PAR LA RANCUNE DES ABRUTIS REVANCHARDS ACHETÉS ET VENDUS...

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 32, le 22 mai 2014

  • Yéééënéh ! Mais bon, ça va encore.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    07 h 28, le 22 mai 2014

  • Sans aucun doute, un grand président, ce président sortant. De cet entretien, brillamment rapporté par M Hajji Georgiou, une phrase est à relever tout particulièrement : "La réaction (de certaines parties) contre moi prouvent que j'ai défendu les bonnes positions" (pour l'intêrêt du Liban). C'est une fracassante vérité. Ce qui en effet vient immédiatement à l'esprit quand on pense à ce mandat présidentiel qui s'achève, on se dit forcément : qui en fait a contesté et conteste ce président ? Et c'est à la fois avec tristesse et colère que l'on se répond. Il s'agit en effet de deux chefs politiques maronites : 1-l'un trempé jusqu'à la moelle par la loyauté et la servilité à Bachar al-Assad et qui perd complètement le nord et l'équilibre après que l'affaire Michel Samaha démasque sans pitié les desseins criminels pour le Liban du régime syrien, desseins contre lesquels le président Sleiman prend une position ferme. 2-l'autre, complètement obsédé et aveuglé par son ambition à la présidence, ce pour quoi il marchande même l'intérêt supérieur du Liban. Hier même le voilà se traîner encore dans les couloirs d'al-Manar et nous baratinant sur une "résistance" (-mensonge) éternelle, au prix du piétinement de la souveraineté de l'Etat dont il veut être président ! Le troisième grand contestaire est le Hezbollah dont le président a rejeté fermement l'implication dans la guerre en Syrie, foncièrement contre l'intérêt du Liban et uniquement dans l'intérêt de l'Iran. Plus clair impossible.

    Halim Abou Chacra

    07 h 10, le 22 mai 2014

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