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Liban

Prérogatives du président de la République dans l’après-Taëf : là où le bât blesse...

Rédigée en 1875, la Constitution de la IIIe République a été le fruit d'un concours d'intérêts entre loyalistes et républicains. Cette Constitution succincte (34 articles seulement) avait donné des pouvoirs quasi absolus au président de la République dans l'esprit d'un retour au régime royaliste. Mais l'irresponsabilité politique du président, prônée par les rédacteurs de la Constitution, imposait que tous les actes du président soient contresignés par un ministre, lui-même responsable devant le Parlement.


En 1877, le président de la République, le maréchal de Mac-Mahon (proroyaliste), usant de son pouvoir constitutionnel, dissout la Chambre des députés (prorépublicaine). Mais les urnes reconduisent la même majorité, hostile au président. Celui-ci doit alors se soumettre avant de se démettre. De cet épisode sont nés les principes du régime parlementaire sous la IIIe République. Dès lors, la coutume parlementaire complètera et même primera sur les textes de la Constitution : création du poste de Premier ministre, vote de confiance, contreseing par le Premier ministre de tous les décrets...


Le but de ce bref aperçu historique est de rappeler que la Constitution libanaise, rédigée en 1926 sous le mandat français, a repris les principes de la Constitution de la IIIe République : larges pouvoirs accordés au président de la République, non responsable devant la Chambre, pas de mention du rôle du Premier ministre dans la formation du gouvernement, pas même de consultations parlementaires. Or, malgré l'étendue, vaste, de ses pouvoirs d'après la Constitution, le président de la République a toujours respecté la coutume parlementaire et l'a même fait primer sur la Constitution écrite.

 

(Repère : Qui, quand, comment... Le manuel de l'élection présidentielle libanaise)


À cette occasion, il semble nécessaire de corriger quelques erreurs souvent répétées par certains de nos hommes politiques :
- Le président de la République n'a jamais pris part au vote en Conseil des ministres, ni avant ni depuis l'accord de Taëf.
- Tous les actes du président de la République (décrets) ont toujours été contresignés par le Premier ministre et/ou des ministres concernés, que ce soit avant ou après Taëf (à l'exception du décret de nomination du Premier ministre et celui de l'acceptation de la démission du gouvernement).
- Le président de la République n'a jamais eu, seul, l'initiative des projets de lois. Ces projets ont toujours été matérialisés par des décrets forcément contresignés.
- Sous les régimes parlementaires à la française (IIIe, IVe – et même sous la Ve République), le président de la République est toujours un organe premier, central et essentiel du pouvoir exécutif, contrairement à ce que certains veulent nous faire croire depuis Taëf. Preuve en est, le chapitre dédié au président de la République (15 articles) est toujours formulé sous le grand intitulé « Le pouvoir exécutif », que ce soit avant Taëf ou après.


Ainsi, le constitutionnaliste Georges Burdeau écrit-il à ce sujet : « La dualité des organes de l'exécutif – conformément au principe traditionnel du parlementarisme, les lois de 1875 établissent la dualité des organes de l'exécutif : président de la République et cabinet ministériel » (in Georges Burdeau – Droit constitutionnel et institutions politiques, 18e édition, LGDJ, 1977, p. 349). Il y a là une consécration du principe du bicéphalisme du pouvoir exécutif dans les régimes parlementaires tels que pratiqués en France et au Liban !

 

(Voir : Qu'attendez-vous du prochain président? Les Libanais répondent)


Doit-on comprendre de l'auteur du présent article qu'il cherche à démontrer que les prérogatives constitutionnelles du président de la République sont restées les mêmes avant et après Taëf? Il convient d'apporter un éclairage supplémentaire à la question avant de pouvoir y répondre :
- Les forces dites « islamo-progressistes » avant Taëf cherchaient toujours à faire en sorte que les éléments de la coutume constitutionnelle soient incorporés dans le texte de la Constitution (les documents présentés respectivement par l'imam Moussa Sadr, Saëb Salam ou Dar el-Fatwa vont dans ce sens).
- Un consensus s'était également dégagé entre les différentes parties libanaises afin de rendre « obligatoires » les résultats des consultations parlementaires effectuées par le président de la République dans le but de désigner un Premier ministre. L'objectif était de faire respecter le choix des députés par le président de la République. Même le président Sleimane Frangié avait prôné ce principe dans le célèbre document constitutionnel de 1976.
- Par ailleurs, face à la reconnaissance par Taëf du droit du Premier ministre à convoquer le Conseil des ministres, même en l'absence du président de la République, le chef de l'État acquiert le droit d'assister à toutes les séances du Conseil des ministres et de les présider quand il le désire. De plus, désormais, il peut renvoyer au cabinet, pour « seconde étude », tous les décrets, avant qu'il ne soit tenu de les signer et de les publier.

 

(Lire aussi : La logique du quorum des deux tiers ne justifie aucunement un vide présidentiel)


Il y a dans ces mécanismes, parfois un peu spéciaux, une volonté de règlementer l'action des pouvoirs, mais surtout de faire respecter les choix démocratiquement pris par le gouvernement. Toutes ces modifications constitutionnelles ne sont pas vraiment assassines, mais le mal vient d'ailleurs. Il vient de modifications « saugrenues » introduites dans les réformes constitutionnelles de Taëf, à la demande non pas des forces dites « islamo-progressistes », mais du régime syrien de tutelle, dans le but de miner l'action du pouvoir exécutif de l'intérieur afin d'avoir toujours le dernier mot et de pouvoir tirer les ficelles selon ses intérêts.


Certaines idées déjà formulées dans l'accord tripartite, signé en 1985 sous la tutelle du président syrien Hafez el-Assad par la troïka Nabih Berry-Walid Joumblatt-Élie Hobei ka, en l'absence des représentants de l'islam sunnite, sont ainsi introduites dans la Constitution issue de Taëf, telles que :
- l'instauration d'un quorum des deux tiers des ministres pour que le gouvernement puisse se réunir. Il y a là une reconnaissance au tiers des ministres de pouvoir bloquer toute action gouvernementale et toute décision du pouvoir exécutif ;
- l'instauration de 14 « matières importantes » pour lesquelles un vote des deux tiers des ministres est nécessaire, d'où le droit reconnu au tiers de bloquer toute décision importante pour le pays et les citoyens (nominations administratives, entre autres...).
Mais la goutte qui fait déborder le vase est la suivante :
- Le président de la République et le président du Conseil n'ont pas la possibilité de démettre le moindre ministre, même si ce dernier fait partie de leur quote-part au sein du gouvernement, sans un vote d'approbation des deux tiers des ministres ! Il s'agit là pour le moins d'une bizarrerie. À titre d'exemple, si le ministre Charbel Nahas n'avait pas lui-même démissionné, son groupe politique – le bloc du Changement et de la Réforme présidé par le général Aoun, qui l'avait plébiscité à ce poste –, de même que le président de la République ou le Premier ministre n'auraient rien pu y faire !

 

(Lire aussi : Le quorum des deux tiers, une concrétisation de la démocratie consociative, selon Me Sfeir)


Un seul amendement constitutionnel est aujourd'hui capable d'apporter un changement notable à la vie politique et au fonctionnement des institutions : rendre au président de la République et au président du Conseil le droit de démettre tout ministre qui ne respecterait pas la politique du gouvernement et qui se permettrait de faire de l'opposition tout en étant confortablement assis dans son fauteuil de ministre. Il y a là une atteinte majeure au principe de solidarité ministérielle.


Un tel amendement trouverait certainement un appui unanime auprès des députés chrétiens et sunnites. Et il est à parier que le président de la Chambre, Nabih Berry, et son groupe parlementaire n'accepteraient pas de se mettre en porte-à-faux avec l'unanimité chrétienne que M. Berry dit toujours respecter... Cet amendement garderait évidemment indemne le droit des députés de contrôler l'action du gouvernement et de s'opposer à la décision de démettre un ministre que prendraient arbitrairement le président de la République ou le président du Conseil, en refusant d'accorder la confiance au nouveau ministre ou en retirant cette confiance à l'ensemble du cabinet.


Mais il ne faut pas oublier non plus un facteur prépondérant dans la paralysie de la vie politique aujourd'hui, en l'occurrence le droit de veto dont dispose de facto une partie et qui ne tient ni de la Constitution ni du droit constitutionnel, mais de la force brute et brutale. Une partie qui continue aujourd'hui de se dissimuler derrière le dernier alinéa du préambule de la Constitution et derrière « l'esprit du pacte » afin de soumettre l'ensemble de la République, et surtout le président de la République, à un chantage scabreux.

Avocat à la Cour

 

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