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Liban - Patrimoine

Protégez la grotte de Jeïta !

Le Spéléo Club du Liban adresse une lettre ouverte aux responsables des sociétés Mapas et Red Bull, ainsi qu'au ministère du Tourisme, à la suite d'une activité sportive organisée à l'intérieur même de la grotte de Jeïta.

Dès son ouverture au public en 1956, la grotte de Jeïta est devenue la première attraction touristique du Liban. Sharif Karim/Reuters

C'est avec une profonde inquiétude et beaucoup d'indignation que le Spéléo Club du Liban (SCL) a visionné la session de wakeboard organisée par Red Bull et filmée dans la rivière souterraine de Jeïta avec la permission et la bénédiction explicites de la société gérante de la grotte – Mapas.
Devant une exploitation aussi peu respectueuse de la grotte de Jeïta, le SCL se voit dans l'obligation de rappeler aux parties concernées ainsi qu'à l'ensemble des citoyens libanais la nécessité d'une prise de conscience vis-à-vis du patrimoine souterrain libanais, et plus particulièrement de la grotte de Jeïta qui se voit menacée d'une dégradation irréversible.


Nul n'ignore que Jeïta est la grotte la plus remarquable du Liban, rivalisant par sa beauté, son opulence et son étendue avec les plus belles grottes aménagées du monde. Dès son ouverture au public en 1956, Jeïta est devenue la première attraction touristique du pays, suivie en deuxième position par le plus grand site archéologique du Liban, Baalbeck. Les richesses paysagères des grottes de Jeïta sont ainsi devenues symboles du Liban, avec des reproductions sur la monnaie nationale ainsi que sur cinq timbres-poste libanais.
Pour la communauté spéléologique libanaise, les grottes emblématiques de Jeïta présentent également, et surtout, un intérêt affectif par leur caractère fondateur, la naissance du SCL en 1951 remontant à l'exploration des grottes par une équipe composée uniquement de spéléologues libanais : Lionel Ghorra, Albert Anavy, Raymond Khawam et Sami Karkabi.


Prenant conscience de la valeur patrimoniale des grottes de Jeïta au même titre que de l'ensemble des sites patrimoniaux du pays, le SCL avait insisté pour l'aménagement de la rivière souterraine et des galeries supérieures de Jeïta. De par leurs connaissances, leurs travaux de recherche du milieu souterrain et leurs techniques d'exploration, les spéléologues s'étaient avérés les acteurs majeurs dans la mise en place des mesures d'aménagement et de sauvegarde des grottes.


Le maître d'œuvre de l'ambitieux projet d'aménagement n'était autre que Sami Karkabi, membre fondateur du SCL et le plus grand explorateur de Jeïta. L'éthique spéléologique était donc au cœur de toutes les décisions relatives aux travaux d'aménagement de la grotte et de son environnement immédiat, ainsi qu'aux activités touristiques et culturelles organisées au sein des grottes, prenant en compte la nature particulière du milieu souterrain et ses vulnérabilités, et la nécessité de préserver de façon durable les concrétions, l'écosystème et l'équilibre climatique ambiant.


Conscient de l'importance de la valorisation culturelle du site autant que de sa valorisation touristique et économique, le Conseil national du tourisme sollicita le compositeur français François Bayle pour créer une œuvre musicale électroacoustique inspirée des résonances naturelles de la grotte de Jeïta. Le concert solennel de Bayle à l'occasion de l'inauguration de la galerie supérieure de la grotte en 1969 sera le premier d'une série de manifestations culturelles au cœur de la caverne, dont un concert du compositeur allemand Stockhausen.


L'aménagement de Jeïta ainsi que l'événementiel au sein de la grotte étaient cependant soumis à diverses conditions relatives au respect et à la préservation primordiale du milieu souterrain, la protection de ses concrétions et formations rocheuses, et la minimisation de l'impact sur l'écosystème des grottes, sachant que toute erreur ou précipitation dans ce domaine pourrait entraîner des dégâts irréversibles. L'impact des préparatifs et de l'activité telle quelle sur le milieu était consciencieusement examiné, imposant la recherche du circuit le moins dégradant, des matériaux les plus neutres, la suppression des courants d'air, etc. Par ailleurs, il était important que l'activité organisée dans l'ambiance magique de la grotte se conformât à des exigences culturelles et artistiques du plus haut niveau, tout en apportant une certaine contribution à la scène culturelle du pays et au village de Jeïta.

 

(Pour mémoire : La municipalité de Jeïta appelle à des « sanctions légales » contre Mapas (réservé aux abonnés))

 

Ni un terrain de sport, ni un studio de tournage
Aujourd'hui, pourtant, nous sommes à mille lieues de ces principes scientifiques et cette éthique rigoureuse. Seuls les enjeux économiques et financiers guident la stratégie actuelle du gérant Mapas qui a permis l'exploitation commerciale de la rivière souterraine de Jeïta pour le tournage d'un spot publicitaire pour la compagnie de boisson énergisante Red Bull.
Au-delà des irrégularités de procédure par rapport à l'autorisation préalable requise du ministère du Tourisme et à l'interdiction de photographier et de filmer dans la grotte, le SCL souhaiterait dénoncer l'exploitation non respectueuse de ce patrimoine souterrain millénaire, la mise en danger de ses concrétions, sans oublier la pollution des eaux et la perturbation de l'écosystème.


Les grottes de Jeïta ne sont ni un terrain de sport, ni un studio de tournage, ni un site naturel anodin. Il s'agit d'un patrimoine national d'une grande fragilité qui a mis des milliers, voire des millions d'années à atteindre le stade actuel de sa richesse minérale et esthétique. Ce milieu naturel est vivant et sensible aux plus petites variations, climatiques ou autres, et surtout aux incursions de l'homme. Les conséquences à long terme d'une action brève, d'un instant d'inattention ou d'un geste brusque dans la grotte peuvent ainsi être catastrophiques, détruisant irréversiblement de véritables merveilles millénaires.
Que serait-ce alors des risques du tournage au sein même de la rivière souterraine d'un film publicitaire qui de surcroît consiste en une prestation aventureuse de wakeboard ?


Sachant que toute production peut s'étendre sur plusieurs heures, voire plusieurs jours d'installation et de tournage, que chaque scène est filmée en plusieurs fois jusqu'à l'obtention de la meilleure prise, que le tournage implique l'installation du matériel technique et d'éclairages dans différents points du site, sans oublier la présence de techniciens qui ignorent probablement la fragilité du monde souterrain, comment pourrait-on s'assurer que le tournage s'est effectué sans aucun dégât pour la grotte ? Comment pourrait-on attester que le wakeboardeur n'a rien endommagé en exécutant ses figures périlleuses dans la rivière souterraine de Jeïta ? Comment garantir que le bateau muni d'un moteur à essence tirant le « wakeboardeur » n'a pas engendré une pollution des eaux et de l'atmosphère de la grotte ? Comment certifier que les différentes sources d'éclairage utilisées au cours du tournage n'ont pas causé une élévation de la température de la grotte, entraînant un dessèchement de certains plafonds ou parois, ou un arrêt d'activité de certaines concrétions, ou même une modification de l'écosystème interne ? Et enfin et surtout, comment justifier l'autorisation accordée à une telle activité irrespectueuse de la grotte et purement commerciale ? Quel type de valorisation un tel projet apporterait à la grotte de Jeïta ?

 

(Lire aussi : Jeïta, c'est fini... (réservé aux abonnés))


Le gérant des grottes et Red Bull ne pouvaient nullement ignorer les risques auxquels ils exposaient la grotte, et pourtant, le tournage a effectivement eu lieu avec la bénédiction de Mapas et l'apparition en toute fierté de son directeur dans le film publicitaire diffusé au mois de décembre dernier sur les chaînes télévisées libanaises et posté sur d'innombrables sites Internet.


Certes, le ministère du Tourisme a dénoncé les violations légales commises par Mapas, et Red Bull a décidé d'arrêter la diffusion du spot sur les chaînes de télévision, mais rares sont ceux qui ont réellement perçu le non-respect de l'intégrité de la grotte et le manque de conscience patrimoniale du projet en tant que tel.
À travers cette lettre, le SCL souhaiterait sensibiliser les parties concernées ainsi que l'ensemble du peuple libanais sur les dommages éventuellement subis par le site de Jeïta au cours du tournage de ce film. D'autre part, le SCL voudrait exprimer une fois de plus son inquiétude quant à la dégradation réelle et progressive des grottes de Jeïta, conséquence directe de leur exploitation peu scrupuleuse et de la méconnaissance par le gestionnaire du fonctionnement du milieu souterrain dont il est le garant. Le SCL n'a eu de cesse qu'il ne prévienne et dénonce la dégradation totale et irréversible des concrétions le long des premiers cent mètres des galeries supérieures de Jeïta, due à une ventilation excessive causée par le refus du gérant de mettre en place un sas et son ignorance des conseils prodigués par les spéléologues libanais.


De ce fait, le SCL se voit dans l'obligation de demander au gestionnaire de la grotte ainsi qu'au ministère du Tourisme des garanties pour la protection et l'intégrité des grottes à travers une gestion responsable et scientifique tant du point de vue des aménagements que de la fréquentation, voire de la surfréquentation du site, afin de les maintenir durablement dans un état le plus proche possible de leur état originel.
Il serait finalement souhaitable que les responsables gouvernementaux, notamment le ministère du Tourisme, mettent en place une réelle politique de développement souterrain durable, en étroite collaboration avec la communauté spéléologique, partenaire incontournable dans le domaine de la connaissance et de la protection du milieu souterrain.

 

Marwan ZGHEIB
Président
Spéléo Club du Liban

C'est avec une profonde inquiétude et beaucoup d'indignation que le Spéléo Club du Liban (SCL) a visionné la session de wakeboard organisée par Red Bull et filmée dans la rivière souterraine de Jeïta avec la permission et la bénédiction explicites de la société gérante de la grotte – Mapas.Devant une exploitation aussi peu respectueuse de la grotte de Jeïta, le SCL se voit dans...

commentaires (7)

Les grottes de Jeïta ne sont pas en effet ni un terrain de sport, ni un studio de tournage, ni un site naturel anodin mais quand l'argent fait tout , Mapas peut aussi au nom du gain encaisser et tant pis pour le reste . Triste pays.

Sabbagha Antoine

13 h 38, le 04 mars 2014

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Commentaires (7)

  • Les grottes de Jeïta ne sont pas en effet ni un terrain de sport, ni un studio de tournage, ni un site naturel anodin mais quand l'argent fait tout , Mapas peut aussi au nom du gain encaisser et tant pis pour le reste . Triste pays.

    Sabbagha Antoine

    13 h 38, le 04 mars 2014

  • Parmi les 207 états dans le monde, même ceux non reconnus par la société des nations, jamais il ne leur viendrait à l'idée d'organiser une telle compétition dans un tel site...Que font donc les responsables du site et leur ministère de tutelle, à part couper quelques cordons et se bâffrer de petits fours..

    C…

    13 h 31, le 04 mars 2014

  • Yîîîh ! Encore celle-là ?

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    11 h 44, le 04 mars 2014

  • Déjà à l'apparition de la publicité idiote -comme s'il n'y avait pas de mer au Liban pour leurs acrobaties aquatiques "énergétiques"- toute personne de bon sens a regretté cette flagrante violation du patrimoine national qu'est la grotte de Jeita, choisie entre les 28 finalistes pour faire partie des sept merveilles naturelles du monde. Mais, que voulez-vous, de telles irresponsabilités c'est ONLY IN LEBANON.

    Halim Abou Chacra

    11 h 23, le 04 mars 2014

  • PROTÉGEZ " AVANT TOUT " LE LIBAN ! CAR SANS LIBAN IL N'Y AURAIT NI JEÏTA ET NI RIEN D'AUTRE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 46, le 04 mars 2014

  • Quick buck mentality......la pourriture .

    Tabet Karim

    09 h 41, le 04 mars 2014

  • MAPAS ou la sous culture prédatrice...

    M.V.

    09 h 19, le 04 mars 2014

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