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Liban - Histoire

Le Liban et la Première Guerre mondiale : il y a cent ans, la famine

En cette année où la France commémore le centenaire de la Grande Guerre et associe aux cérémonies prévues de nombreux pays des cinq continents, le Liban se sent particulièrement concerné, lui qui a gardé, gravée dans sa mémoire et dans sa chair, toute la souffrance occasionnée par la Première Guerre mondiale. Et aussi toute la profondeur historique, culturelle et affective de son lien quasi-ombilical à la France. C'est en effet la France qui portera le jeune État du Liban sur les fonts baptismaux, en 1920, au lendemain de la Conférence de paix à Versailles.

La photo qui a fait le tour du monde : la famine au Liban au cours de la Grande Guerre.

Durant la guerre 14-18, l'Empire ottoman, qui domine la région, rejoint la coalition dirigée par l'Allemagne. Des nationalistes libanais, journalistes et intellectuels, religieux et laïcs, chrétiens et musulmans, paient de leur vie leur engagement, et, pour nombre d'entre eux, leur amour pour la France, en étant arrêtés et conduits à la potence sur ce qui devient alors la place des Martyrs (1915-1916).


Parallèlement, un terrible fléau frappe le Mont-Liban et Beyrouth : une grande famine y fait des ravages, décimant plus du quart de la population. Elle est provoquée par un faisceau de circonstances redoutables : réquisitions systématiques des récoltes et denrées alimentaires par les troupes ottomanes dans ce qui s'apparente à un véritable blocus, embargo des côtes libanaises imposé en mer par la flotte anglaise, invasion de sauterelles, épidémies (typhus, choléra). Des villages sont rayés de la carte, des familles entières menacées d'extinction. Un tel traumatisme a marqué la mémoire collective, le roman national, les livres d'histoire et les œuvres littéraires majeures.


À la Conférence de paix de Versailles (1919), le patriarche maronite Élias Hoayek, se faisant le porte-parole de son peuple éprouvé, remet à l'Assemblée générale un mémorandum réclamant l'indépendance du Liban avec l'aide de la France, dans ses frontières historiques incluant le « grenier » de la Békaa et les plaines du Akkar, riches en céréales. Le retour de ces régions dans le giron national traduit le souhait du patriarcat d'assurer la viabilité économique de l'État libanais naissant, afin que plus jamais une telle tragédie ne se reproduise. Il suffit de lire dans les archives du ministère français des Affaires étrangères la passionnante correspondance du patriarche et de ses évêques délégués en France avec les autorités françaises, notamment les conseillers de Georges Clemenceau, ainsi que les vibrants plaidoyers des intellectuels libanais établis à Paris, pour comprendre l'ampleur du traumatisme de 1916 et l'espoir immense de voir la France, patrie des droits de l'homme et des peuples, jouer un rôle jugé salvateur au Levant.


Pour la diplomatie française, cela tombe bien ! En vertu des accords secrets Sykes-Picot (mai 1916), prévoyant le partage du Moyen-Orient en zones d'influence française et anglaise, le Liban et la Syrie seront placés sous mandat français, les Britanniques s'assurant le contrôle de la Mésopotamie et de la Palestine.
L'État du Grand-Liban, proclamé le 1er septembre 1920 à la Résidence des Pins par le général Henri Gouraud (lui-même héros de la guerre 14-18), est donc né des convulsions de la Grande Guerre et de ses souffrances indicibles.


Il est le fruit de beaucoup de sacrifices et d'un long processus de réflexion et de « lobbying », au sein des élites pionnières de la Renaissance (Nahda) arabe. Écrivains, journalistes et poètes exilés à Paris fondent journaux et clubs littéraires (Chucri Ghanem en est la figure de proue, dont la pièce Antar remporte un vif succès au théâtre de l'Odéon en 1910). Les auteurs francophones développent une œuvre où l'identité libanaise est mise en valeur et où l'influence de Maurice Barrès, chantre du nationalisme et de l'attachement à la terre natale, est prégnante.
L'État libanais naissant se positionne d'emblée comme une terre de rencontre des cultures, un carrefour entre Orient et Occident. Une philosophie avant-gardiste, celle du pacte national entre ses composantes communautaires, préside à l'élaboration de sa Constitution et à son indépendance (1943).


L'actualité internationale pose avec acuité la question de la pertinence de ce pacte singulier, à l'heure où la région dans son ensemble connaît une exacerbation des identités confessionnelles. Cent ans plus tard, les États du Moyen-Orient issus du démembrement de l'Empire ottoman sont en proie à des convulsions internes douloureuses. Leurs relations pâtissent de la méfiance et des rivalités entre leurs dirigeants. La charpente constitutionnelle et géographique sur laquelle ils furent édifiés à la suite du découpage franco-britannique du début du siècle dernier subit les contrecoups des révolutions actuelles et des turbulences politiques, même si elle tient toujours.

La région est-elle entrée dans l'ère post-Sykes-Picot ? Si la notion d'État-nation telle qu'appliquée en Europe ne peut qu'être vouée à l'échec dans une région marquée par une grande diversité ethnique, religieuse et culturelle, sur quelle base reconstruire des États et des sociétés aussi déchirés par les conflits, l'incertitude du lendemain et l'instabilité?
Une sérieuse réflexion reste à mener, en y associant tous les acteurs de la société, sans en exclure les jeunes générations, les femmes et les intellectuels.


Pour mieux envisager l'avenir cependant, le Liban, comme l'ensemble du Moyen-Orient, connaît la nécessité impérieuse de la transmission de la mémoire. Car, à bien des égards, les conflits d'aujourd'hui ressemblent à des règlements de comptes du passé. La mise en place d'une politique mémorielle est fondamentale pour l'édification d'un État de droit, mais elle est inhibée par la crainte de raviver les souffrances, remuer les plaies mal cicatrisées, provoquer le ressentiment, faire resurgir les antagonismes.
À cet égard, l'exemple de la construction européenne est remarquable d'enseignements. Après deux guerres mondiales, l'Europe s'est construite autour de l'axe franco-allemand par la volonté d'hommes visionnaires comme Robert Schuman, Jean Monnet, Charles de Gaulle et le chancelier allemand Konrad Adenauer. Le travail de mémoire a fait son œuvre.


Il faut beaucoup de courage pour reconnaître les responsabilités de chacun dans la guerre, tendre la main de la réconciliation et construire l'avenir.
Il en est grand temps, pour le Liban et pour le monde arabe tout entier, si nous ne voulons pas qu'aujourd'hui ressemble à hier, un siècle plus tard...

 

Pour mémoire
Ce lien indéfectible entre le Liban et Charles de Gaulle...

Les jésuites au Liban et la Grande Guerre de 1914-1918

Des romans majeurs sur la Grande Guerre réunis en un seul volume

Durant la guerre 14-18, l'Empire ottoman, qui domine la région, rejoint la coalition dirigée par l'Allemagne. Des nationalistes libanais, journalistes et intellectuels, religieux et laïcs, chrétiens et musulmans, paient de leur vie leur engagement, et, pour nombre d'entre eux, leur amour pour la France, en étant arrêtés et conduits à la potence sur ce qui devient alors la place des...

commentaires (8)

fait méconnu en Europe mais il faut dire que le commerce avec la Turquie est plus important

Talaat Dominique

07 h 43, le 06 février 2014

Tous les commentaires

Commentaires (8)

  • fait méconnu en Europe mais il faut dire que le commerce avec la Turquie est plus important

    Talaat Dominique

    07 h 43, le 06 février 2014

  • Après cent ans le Liban et au nom de la souffrance est toujours concerné, lui qui a gardé la souffrance occasionnée par la Première Guerre mondiale, et la souffrance de la seconde guerre mondiale, et la guerre civile de 1975 et le bouquet enfin le terrorisme aveugle qui le frappe actuellement . Triste .

    Sabbagha Antoine

    14 h 43, le 05 février 2014

  • Après cent ans le Liban et au nom de la souffrance est toujours concerné, lui qui a gardé la souffrance occasionnée par la Première Guerre mondiale, et la souffrance de la seconde guerre mondiale, et la guerre civile de 1975 et le bouquet enfin le terrorisme aveugle qui le frappe actuellement . Triste .

    Sabbagha Antoine

    13 h 31, le 05 février 2014

  • Le confédéralisme ou le fédéralisme à coup sûr, et non pas se contenter d'une puérile autonomie comme celle proposée par Israël pour la Cisjordanie ; yâ hassirtiiih !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    11 h 42, le 05 février 2014

  • le remise en cause des états nations est très à la mode en ce moment...sous des prétextes divers et variés et avec des raisonnements à priori séduisants...notamment pour ce qui a trait à a colonisation ou aux mandats etc...et personne n'est vraiment dupe. Derrière chaque création d'état nouveau, issu de l'éclatement d'un état existant, il y a de grandes manœuvres financières, souvent liées aux matières premières.Ou des manipulations politiques évidentes comme çà a été le cas pour la Yougoslavie,avec la création d'états croupion,ou pire encore encore d'états carrément mafieux par vocation comme le Kosovo.Rares sont les causes justes...peut-être le Timor Oriental,le Soudan du Sud...et encore,peut-être aurait on pu arriver à une solution d'autonomie équitable.

    GEDEON Christian

    11 h 17, le 05 février 2014

  • La question n’est pas dans la reconnaissance des responsabilités , le problème réside dans le cercle vicieux des « mêmes personnages » , la même scène se répète toujours, les mêmes acteurs jouent dans le jeu « condamné condamnant » et « bourreau victime » en alternat les rôles. L’Europe après les guerres mondiales fut reconstruite à l’aide de grands hommes et non par un lien ombilical ni par les dieux de la guerre dont la plupart furent condamnés à juste titre Parlant de toutes les atrocités qui ont frappé notre peuple de la période ottomane jusqu’à présent, où est la mémoire collective si aucune action de justice n’a été sollicitée par le peuple libanais? Par Contre nous stagnons dans un syndrome de Stockholm chronique !! depuis des siècles, on nous affame, on nous tue à petit feu, dans la guerre civile des atrocités ont été commise. « mais nous comprenons toujours le point de vue de l’Autre » et nous s’entretuons pour que cet Autre vit !. il est temps de rejeter cet Autre « le tueur , le bourreau, le pervers» et de s’allier avec l’Autre « l’intellectuel et l’honnête » en dehors de tous les préjugés confessionnels et racistes

    Bahijeh Akoury

    10 h 57, le 05 février 2014

  • En souvenir des morts et des Émigrés de cette noire période, ce sonnet du coeur : LES ÉMIGRÉS DU DESTIN Quand le spectre maudit de l'ignoble famine Plana sur les coteaux jadis verts du Liban, Dans les champs desséchés, sur la terre mutine, Il ne poussait ni fruit, ni seigle et ni froment. L'archange de la mort, que le sort prédestine, Emportait sans pitié vieux, jeunes et enfants. Épouvantés par la malédiction divine, Les piteux émigraient vers d'autres continents. C'était au temps du turc dont la soif sanguinaire, Des maux et des fléaux souvent plus meurtrière, Répandait la terreur parmi les opprimés. Et depuis, dispersés aux quatre coins du monde, De la patrie en deuil les enfants bien-aimés, Ils portent dans le coeur la nostalgie profonde De la patrie de leurs grands-pères et grands- mères, Par le destin cruel jadis déracinés, Et l'espoir du retour, au berceau de leurs pères, Pour leurs filles et fils, Enfants des Émigrés !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 08, le 05 février 2014

  • Belle analyse. Toutefois, ce "toute la profondeur historique, culturelle et affective de son lien (le Liban) quasi-ombilical à la France." ; est limite ! Puis aussi le : "Il suffit de lire la correspondance du patriarche avec les autorités françaises, ainsi que les plaidoyers des intellectuels libanais établis à Paris, pour comprendre l'espoir immense de voir la France jouer un rôle jugé salvateur au Levant. Pour la diplomatie française, cela tombe bien (sic) ! En vertu des accords secrets Sykes-Picot, Liban et Syrie seront placés sous mandat français." ! Car c'est aussi le contraire : étant donné ces accords secrets, la France accepta cette correspondance des évêques ainsi qu'elle favorisa les plaidoyers de ces intellectuels, parce qu’ils arrangeait bien sa stratégie émanant de l'esprit de ces accords Sykes-Picot mêmes. Pour ce qui est de l'influence de Maurice Barrès sur ces intellectuels, il aurait mieux fallu leur trouver une autre "référence" qu'un traditionaliste fanatique ultra-nationaliste ! Quant au : "Si la notion d'État-nation ne peut qu'être vouée à l'échec dans une région marquée par une grande diversité ethnique, religieuse et culturelle, sur quelle base reconstruire des États et des sociétés aussi déchirés par les conflits, l'incertitude du lendemain et l'instabilité ? C'est tout simple : le confédéralisme ou le fédéralisme sans encore chercher midi à quatorze heure.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    04 h 50, le 05 février 2014

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