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Moyen Orient et Monde - Le point

Démocratie : leçon n° 2

« La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain ; sa religion est l'islam, sa langue l'arabe et son régime la république », proclame l'article 1er de la Loi fondamentale adoptée par les 217 constituants. En réalité, le vote intervenu dimanche est le second, le premier vote remontant au 14 avril 1956, œuvre de Habib Bourguiba, qui obtenait ainsi la concrétisation par les textes de son rêve : l'instauration d'un régime civil et séculier.


On revient de loin. Dans les années 80, les islamistes – qui ont fini par modérer leur langage – d'Ennahda ne voulaient entendre parler que de la charia comme source essentielle de la législation. Les élections valant bien un reniement, leurs chefs ont fini par se rallier à la formule du combattant suprême, ce qui leur a permis de détenir la majorité au sein de l'Assemblée.


Au fait, « islam religion d'État » ou « islam religion de l'État » ? Il faut croire que l'ambiguïté, pour éviter de la voir consacrée de facto sinon de jure, devait être levée. D'où les débats qui se sont instaurés de longues heures durant autour de l'article 2, qui réitère de manière claire cette fois le « caractère civil » de l'État. Score : un partout. Sauf qu'il y a eu ensuite cet article 6 qui établit l'État comme « le garant de la religion » et « le protecteur du sacré », en échange de quoi les modernistes ont obtenu de faire admettre le principe de la liberté de conscience, obligation étatique, au même titre que la liberté de croyance et le libre exercice du culte.

 

Mais laissons de côté ces subtiles distinguos juridiques qui devraient faire la joie des coupeurs de cheveux en quatre. Ce qui s'est passé ces derniers jours sur la scène tunisienne est autrement plus important. Un pays au bord de la guerre civile, qui a joué à se faire peur en frôlant celle-ci un nombre incalculable de fois, s'est ressaisi à temps pour se doter d'une nouvelle Constitution et d'un nouveau gouvernement. Il faudra bien, un jour, songer à ériger des statues à ces trois héros qui, sans l'avoir voulu peut-être, ont donné un nouveau départ à la révolution du jasmin. Il s'agit, on l'a compris, de Mohammad Bouazizi, le petit vendeur de légumes qui s'était immolé par le feu le 17 décembre 2010 et dont l'interminable agonie (dix-huit jours...) a bouleversé l'opinion publique internationale ; et des députés de l'opposition Chokri Belaïd et Mohammad Brahmi, abattus par le même tueur armé du même revolver, l'un en février 2013, l'autre cinq mois plus tard, au mois de juillet. Leur sacrifice, peut-on dire, a constitué le garde-fou qui a permis d'éviter la sortie de route, d'avoir droit à cette scène impensable il y a peu : les députés des deux bords se donnant l'accolade, brandissant le drapeau rouge marqué du croissant et de l'étoile, et d'une même voix entonnant Houmate al-hima (défenseurs de la patrie), l'hymne national tunisien.


Oh, bien sûr que tout n'est pas dit avec l'adoption des 145 articles de la nouvelle Constitution – par une majorité de 200 voix sur un total de 216 membres de l'Assemblée –, et la mise sur pied du gouvernement Mehdi Jomaa, formé sur la base de trois critères, a dit son chef : compétence, indépendance, intégrité. Il reste à élaborer une législation électorale préalablement à la consultation populaire, à relancer une économie qui a cruellement souffert de l'instabilité des trois dernières années, à combattre la violence endémique née de la crise. Il reste aussi à rétablir la confiance populaire dans l'appareil politique. L'homme de la rue, en effet, juge qu'il ne faut pas beaucoup attendre d'une Constitution dont l'élaboration a nécessité trop de temps et qui recèle d'évidentes contradictions. À tout le moins, se console-t-il, l'identité nationale a été préservée et l'image a été donnée au monde d'un peuple foncièrement modéré, donc démocrate et qui mérite une seconde chance après le faux départ qui a suivi l'éviction de Zineddine Ben Ali.


La formidable leçon que celle-là, donnée aux voisins proches ou lointains : Égypte, Libye, Syrie, Yémen! Quand au Caire et à Tripoli, on frôle la guerre civile avec à la clé la promesse de lendemains qui chantent quand on sait qu'ils sont condamnés à rester longtemps aphones, à Tunis les efforts conjugués de l'opposition, de la société civile, des syndicats, du patronat et – mais oui – de la rue ont permis d'arracher les politiciens à leur jeux stériles, pire criminels. « Si Habib » peut reposer en paix car malgré ses multiples couacs, son legs demeure valable. Tant que l'on n'aura pas trouvé mieux.

 

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