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L’impact de la révolution numérique sur les enfants et les adolescents - Jeunesse et technologie

La révolution numérique engendre-t-elle des enfants « mutants » ?

Les ordinateurs, les smartphones et autres supports numériques envahissent les différents secteurs d'activité de notre vie quotidienne et modifient les performances et le comportement des enfants et des adolescents. Peut-on parler, à la lumière de cette révolution numérique, d'enfants « mutants » ? Près de 200 chercheurs ont planché pendant trois jours sur la question au cours d'un colloque international organisé à Paris par l'Association de psychologie et psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent (APPEA).

Les adolescents passent de longues heures accrochés, quotidiennement, à leur smartphone.

Nathalie, 17 ans, est en terminale dans l'une des grandes écoles privées d'Achrafieh. Elle passe près de 6 heures par jour en moyenne accrochée à son smartphone. Elle estime cette addiction – car c'en est une – tout à fait normale, ou plutôt compréhensible. « Je peux tout faire avec mon téléphone portable, souligne-t-elle. Je peux rester en contact continu avec mes copines grâce à WhatsApp ou Skype. Grâce à Twitter, je peux suivre en permanence toutes les informations portant sur mes stars préférées, sur l'actualité artistique ou cinématographique, ou même sur les développements au Liban et dans le monde. Par exemple, lorsqu'il y a une explosion, notre prof nous demande pendant le cours de voir sur Twitter où cette explosion s'est produite, et nous sommes ainsi informés quelques minutes seulement après l'attentat. »
« Avec mon téléphone portable, poursuit Nathalie, je peux aussi surfer sur Google si on a besoin d'informations pour notre devoir. Je peux suivre la météo au Liban et dans les capitales qui m'intéressent, écouter de la musique, télécharger des chansons, jouer, prendre des photos et les placer sur Instagram, enregistrer des séquences vidéo, utiliser le traducteur informatique pour vérifier la signification d'un mot dans une autre langue, faire des calculs rapides, connaître le taux de change des monnaies étrangères, m'informer des programmes de la télévision française et des films projetés en ville, en ayant un exposé succinct sur ces programmes et ces films, etc. »


La liste est effectivement longue. Comment s'étonner dès lors que les adolescents d'aujourd'hui soient braqués quotidiennement sur leur smartphone pendant de longues heures quand ils peuvent profiter de leur temps libre ? Le phénomène est universel. Il s'accroît de manière exponentielle. Il atteint les enfants de plus en plus jeunes, et il est appelé à prendre de plus en plus d'ampleur à mesure que les développements technologiques progressent à un rythme également exponentiel.


La révolution numérique qui bouleverse le monde touche toutes les générations et tous les domaines de l'activité socio-économique. Notre quotidien est envahi irrémédiablement par les SMS, les WhatsApp, les tweets, le flot ininterrompu de messages électroniques et d'appels cellulaires, sans compter les réseaux sociaux, les jeux vidéo, et tous les moyens d'information et de communication en temps réel impliquant les appareils numériques les plus divers.
L'environnement socio-culturel dans lequel nous évoluons a ainsi été radicalement modifié, en quelques années, sous l'effet de cette révolution numérique. À l'évidence, une telle mutation se fait principalement sentir au niveau des enfants et des adolescents du fait qu'elle intervient en pleine phase de croissance et de développement des capacités cognitives. Chacun de nous a eu l'occasion de relever à cet égard que les enfants, et dès leur plus jeune âge, font montre dans le domaine informatique et du numérique de capacités, de compétences et d'une dextérité qui sont sans commune mesure avec celles de leurs parents.


À la lumière de cette constatation, une interrogation fondamentale se pose : quel est l'impact réel de la révolution numérique sur les enfants, leur comportement, leur développement cognitif et leur attitude sociale à l'égard des autres ? Peut-on parler dans ce cadre d'enfants « mutants » ? Ce thème a fait l'objet d'un colloque organisé récemment à la Cité des sciences et de l'industrie de La Villette, à Paris, par l'Association de psychologie et psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent (APPEA). Pendant trois jours, près de 200 experts et spécialistes venus de différents pays – des psychologues, psychiatres, philosophes, sociologues, spécialistes du numérique et de l'éducation, juristes, journalistes, créateurs de jeux vidéo et de programmes informatiques – ont planché sur les différents aspects des retombées de la révolution numérique sur l'enfant et sur l'impact de la place prépondérante qu'occupent désormais dans la vie des adolescents les écrans des téléphones portables, des ordinateurs, des jeux vidéo et autres supports numériques. Diverses recherches et études ainsi que des travaux de laboratoire effectués dans ce domaine ont été exposés et discutés au cours de ce forum (voir par ailleurs).


La question qui pourrait être posée, en marge du colloque de La Villette, est de savoir si nous nous trouvons devant un phénomène de « mode » appelé à s'estomper, ou si nous faisons face à une véritable mutation socioculturelle. La question peut être posée à la lumière des observations faites par l'une des participantes au colloque, notre consœur du Nouvel Observateur Sophie des Déserts – qui a d'ailleurs publié récemment dans l'hebdomadaire français un dossier sur la question. Elle a ainsi relevé que certaines écoles de la Silicon Valley (où elle a été correspondante) ont prôné un retour au « tableau noir », pendant que des geeks de Californie (ces jeunes accros de l'ordinateur et d'Internet) estiment qu'il faut protéger un peu l'enfance face à cette révolution numérique en limitant notamment l'omniprésence des écrans dans la vie quotidienne de l'enfant.


Une telle tâche paraît cependant particulièrement problématique au vu de l'évolution de la technologie numérique qui se fait à un rythme effréné et dont le champ d'application s'étend de plus en plus, d'année en année. L'un des intervenants au colloque de l'APPEA, Pascal Lardellier, professeur des universités, Université de Bourgogne, et vice-président du Conseil scientifique de l'IUT de Dijon, a ainsi relevé que si le forum de La Villette avait été organisé il y a cinq ans, il aurait été question, à titre d'exemple, de MSN « qui n'existe pratiquement plus », il aurait été question d'ordinateurs non portables ou de téléphones ne possédant pas d'écran tactile.


« Aujourd'hui, a souligné Pascal Lardellier, nous parlons de smartphone à écran tactile, de Facebook, de Twitter, de Skype, alors que montent en puissance Instagram, le clouding et les tablettes, tandis que la 4G pointe à l'horizon. Dans deux ou trois ans, on parlera de la généralisation de la géolocalisation, de la traçabilité des individus, du smartphone "tout en un" qui permettra de payer notre ticket de métro ou notre pain à la boulangerie, ou encore d'être contrôlé dans le train, ce qui commence d'ailleurs à se faire dans certains cas. Demain, les outils numériques de communication, les smartphones et les ordinateurs vont être connectés entre eux et vont échanger entre eux des informations et des données qui nous concernent, peut-être à notre insu. » Ce qui ne manquera pas alors de relancer un problème qui se pose déjà aujourd'hui avec acuité : celui du droit à la préservation de la vie privée de l'individu.
Difficile donc, à la lumière de cette course vertigineuse au développement technologique, de parler de phénomène de « mode » ou d'envisager une quelconque pause dans la révolution numérique qui envahit tous les domaines de notre vie quotidienne. Pour l'heure, il paraît impératif de cerner l'impact profond de ce bouleversement technologique et socioculturel aux multiples facettes, surtout au niveau des jeunes et des enfants. La parole est donc aux experts et aux chercheurs ...

 

Les organisateurs du colloque

Le colloque de l'APPEA sur les « enfants mutants » qui s'est tenu à la Cité des sciences et de l'industrie de la Villette, à Paris, a été organisé, notamment, par Robert Voyazopoulos, psychologue à l'Éducation nationale en France et enseignant à l'École de psychologues praticiens de Paris, Léonard Vannetzel, psychologue, Universités Paris-Descartes, Mélanie Dupont, psychologue, et Lise Haddouk, docteur en psychologie.

Nathalie, 17 ans, est en terminale dans l'une des grandes écoles privées d'Achrafieh. Elle passe près de 6 heures par jour en moyenne accrochée à son smartphone. Elle estime cette addiction – car c'en est une – tout à fait normale, ou plutôt compréhensible. « Je peux tout faire avec mon téléphone portable, souligne-t-elle. Je peux rester en contact continu avec mes copines grâce...