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Nos Lecteurs ont la Parole - Zeina ZERBÉ

Ce n’est pas le 13 avril

Citoyen libanais, ta mémoire est ton devoir. Non pas la mémoire qui te harcèle, qui s’agrippe à toi. Pas non plus cette injonction à la mémoire que tu entends, une injonction sadique qui te pénètre, te transperce, te triture pour paralyser la vie qui est en toi et t’inscrire dans la douleur d’un deuil éternel obligé. Non !
La mémoire-devoir que tu te dois est la mémoire du souvenir, la mémoire qui analyse, qui essaye de comprendre. C’est la mémoire qui met des mots sur l’innommable, qui se construit de paroles, de sentiments, d’affects, de faits, d’erreurs, mais aussi de chronologie, de temporalité. C’est la mémoire qui préserve les indices, les lieux. C’est la mémoire qui a pour devoir de rassembler et de lier faits et conjonctures qui semblent éparpillés dans le temps et dans l’espace pour les construire, les rendre cohérents et les monter en histoire.
Citoyen libanais, ton pays depuis 1950 est un pays sans histoire, du moins sans histoire écrite et reconnue au niveau national. Tes années d’avant la guerre civile (1950-1975), du vivre ensemble possible mais figé comme dans un rêve douloureux, ce ne sont que des bouches amères et des photos d’albums de tes parents et grands-parents.
Et puis on t’a dit : « Un jour, c’était la guerre. » En effet, en 1975, la guerre a tout démoli : bâtiments, familles, lieux et histoires.
En puis un jour aussi tu te souviens. C’était en 1990, Beyrouth se reconstruisait. Elle se reconstruisait mais sur la mémoire de tes parents qu’elle a surtout piétinée. En effet, de 1975 à 1990, le jeu politique n’était plus le même, les Libanais n’étaient plus les mêmes. Ils avaient goûté à la violence, ils avaient été asservis et dévorés par leur idéalisation des chefs des milices et des combats idéologiques. Les héros qu’ils croyaient être sont morts. Les Libanais sont devenus les hommes pétris, éternellement endommagés que tu connais.
Ces Libanais qui ont vécu la guerre ont ainsi ouvert les yeux en 1990 sur un Liban qui parlait de reconstruction, d’économie. Ils ont vu leurs leaders échanger leurs armes en cravates et siéger au gouvernement pour leur parler de paix. Ça a dû être affolant pour eux ce changement de costume. Ils ont dû pourtant s’y faire, s’adapter, abdiquer. Ils sont devenus alors les adultes à l’adolescence violée, les adultes qui sont rentrés dans le cadre socialisant du travail en ayant pour devoir de faire taire en eux la mémoire. Ce devoir de taire la mémoire a été et est toujours brandi par les leaders qui avaient commandité les crimes de guerre et qui prônent aujourd’hui le vivre ensemble dans une litanie dont l’incohérence claque à chaque nouveau coup de fusil, à chaque nouvel attentat, à chaque nouvelle bombe.
Au sein de ce chaos de la mémoire qui dure depuis vingt-cinq ans déjà, se fête encore et toujours, inlassablement le 22 novembre de chaque année, la fête de l’Indépendance acquise par le Liban en 1943. Elle se fête avec la même fanfare qu’en 1944 peut-être. Les présidents de la République successifs reçoivent les mêmes félicitations.
Cependant, aujourd’hui, le citoyen de 2013, ahuri, ne comprend pas. Les sarcasmes et le ras-le-bol face aux blocages des routes pour les préparatifs du jour J fusent d’ici et de là : « Quelle indépendance ? C’est quoi cette mascarade ? » En effet, 23 personnes civiles sont mortes dans l’attentat du 19 novembre 2013 perpétré contre l’ambassade d’Iran à Beyrouth. La ville de Tripoli est assiégée par la guerre civile. L’armée libanaise est délégitimée par les présences miliciennes de tout bord. Le pays est confronté à un vide gouvernemental depuis environ sept mois. La corruption règne. Les partis politiques au pouvoir s’accusent les uns les autres d’allégeance soit à la Syrie et à l’Iran, soit à l’Arabie saoudite, soit à la défense des intérêts israélo-américains sur le sol libanais.
En effet quelle indépendance fêtons-nous aujourd’hui ?
Peut-être que la fête de l’Indépendance est l’unique fête qui représente l’aboutissement cohérent d’une vraie bataille menée un jour pour un vivre ensemble en toute indépendance, à l’époque réellement voulue. Peut-être que la fête de l’Indépendance est la dernière histoire que les livres peuvent raconter chronologiquement.
Peut-être que l’incompréhension du Libanais aujourd’hui est légitime. Il ne flaire pas l’esprit nationaliste de 1943. Peut-être que le 22 novembre 1943 s’est arrêté. Peut-être que pour essayer de comprendre, le Libanais s’arrête aujourd’hui davantage face au souvenir du 13 avril 1975. Peut-être que le Libanais a besoin de se pencher parallèlement à ce 22 novembre aux autres dates de son traumatisme, non pas pour les fixer, mais pour avoir l’occasion de s’autoriser de les penser et de construire un travail de mémoire. Peut-être que la fête du 22 novembre irrite parce qu’elle semble se proposer en négation à tous les 13 avril qui ont suivi.

Zeina ZERBÉ

Citoyen libanais, ta mémoire est ton devoir. Non pas la mémoire qui te harcèle, qui s’agrippe à toi. Pas non plus cette injonction à la mémoire que tu entends, une injonction sadique qui te pénètre, te transperce, te triture pour paralyser la vie qui est en toi et t’inscrire dans la douleur d’un deuil éternel...

commentaires (1)

IL FAUT DES BULLDOZERS POUR REMUER LES MÉMOIRES DU PASSÉ... PUISQUE CELLES DU PRÉSENT NE S'AGITENT GUÈRE QU'EN PAROLES VIDES ! SINON, NOUS NE SERIONS PAS UN PEUPLE QUI SE LAISSE ENTRAÎNER DANS L'ABYSSE PAR NOS ABRUTIS ÉLUS ET AUTRES DE TOUS BORDS ! CE QUI TE MANQUE PEUPLE LIBANAIS C'EST : LE RÉVEIL !!!!!!!

LA LIBRE EXPRESSION

11 h 45, le 24 novembre 2013

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Commentaires (1)

  • IL FAUT DES BULLDOZERS POUR REMUER LES MÉMOIRES DU PASSÉ... PUISQUE CELLES DU PRÉSENT NE S'AGITENT GUÈRE QU'EN PAROLES VIDES ! SINON, NOUS NE SERIONS PAS UN PEUPLE QUI SE LAISSE ENTRAÎNER DANS L'ABYSSE PAR NOS ABRUTIS ÉLUS ET AUTRES DE TOUS BORDS ! CE QUI TE MANQUE PEUPLE LIBANAIS C'EST : LE RÉVEIL !!!!!!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 45, le 24 novembre 2013

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