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Culture - Nouveauté

Quand le « zajal » devient un opéra de chambre arabe

Clôture en grande pompe du Festival du Printemps de Beyrouth de la Fondation Samir Kassir avec Zad Moultaka, l'ensemble instrumental Ars Nova dirigé par Philippe Nahon et Fadia Tomb el-Hage aux Thermes romains du centre-ville. De l'inédit absolu car le « zajal », joute oratoire poétique, s'est transformé ce soir-là en envolées lyriques modernes.

Fadia Tomb el-Hajj déclamant ses vers. (Marwan Assaf)

Le public, nombreux et curieux de l'événement, s'est assis en plein air et à la belle étoile sur des petits coussins rouges à même les escaliers qui surplombent les ruines des Thermes romains. Un parfum d'anis et d'arak a flotté sur l'audience avant même que le précieux liquide blanc aux glaçons tintant ne soit offert aux spectateurs, ravis de consommer une véritable soirée de «zajal», verre en mains et poésie arabe enivrante dans les oreilles.
Conçu et mis en scène par Zad Moultaka, qui n'en est guère à sa première audace, originalité et innovation musicales, le «zajal» est devenu un opéra de chambre arabe où la partition, par-delà rimes et rythmes ponctués de «awf, awf, awf» et du tintement des percussions aux «daffs», a ici des accents d'une musique résolument moderne. Non sans rappeler parfois les couleurs d'une partition «stravinskienne». Surtout avec tous ces instruments cuivrés (saxo, cor, trompette, trombone, tuba) aux éructations entre malice, soupirs de gros chat ronronnant de plaisir, de réveil en sursaut ou tout simplement de voix et respiration humaines soumises à tous les aléas d'une traversée terrestre.
Il s'agit d'un duel sonore, dans le monde du Parnasse populaire, entre un père et son fils. Les deux également talentueux, doués et inspirés pour le lyrisme, la rhétorique et l'éloquence, ce flamboyant cortège des mots entre allitérations, assonances, inversions, métaphores, anaphore, métonymie, oxymore, litotes et autres associations ou dissociations d'images.
Mais un jour, l'élève supplante le maître. Et c'est ce drame d'éternelle jalousie humaine (même au niveau paternel et filial!) que raconte ce «zajal» tiré des annales des combats entre rimailleurs qui s'étripent par mots interposés au lieu de s'empoigner à bras le corps ou par les cheveux.
Histoire vraie et rimes bien assises qui ont volé bien haut que cette guerre implacable que se livrent Abouna Louis, alias Khalil Semaan, et son fils fraîchement rentré d'Égypte qui lui tient brusquement tête et front. Avec des rimes, dextrement et incroyablement encore plus légères, plus acérées, plus finaudes. Des rimes qui ciblent droit au cœur et déchaînent, en torrents indomptables et impétueux, émotions et passions.
L'art du «qorradi» peut faire des malheurs, surtout quand père et fils jouent «Parnasse» à visages couverts, masqués comme à fatales pointes de fleurets mouchetés. Surtout du côté père, personnage bouillonnant et fougueux, dont l'infatuation de roi de la rime n'est pas une chose qu'on cède facilement.
Le drame est évité de justesse, et le fils emporte la palme sous les hourras et vivats de l'auditoire en délire d'applaudissements.
Pour cette histoire des poètes populaires de Wadi Chahrour dont le verbe coloré, roucoulant, retentissant et parfumé au thym, au basilic et au romarin, alimentait les soirées de ceux qui se piquent de toucher au nectar des dieux populaires du Parnasse, Zad Moultaka a opté pour une judicieuse et efficace simplicité, avec une sagace progression dramatique en deux actes.
Une table oblongue recouverte d'une nappe blanche (tout comme celle dédiée aux séances et rituels «zajal») groupe les six musiciens à instruments à vent (tous vêtus de noir) avec du côté gauche de cette scène improvisée, devant un écran géant, l'ensemble des percussions et la grande caisse.
Au milieu de ce tableau trône Fadia Tomb el-Hage, une hussarde trois quarts cinglant sa taille et lui donnant toute l'allure d'un charmant chevalier, pour incarner le fils, au verbe tonnant. Un chevalier aux intonations convaincantes, aux expressions de mains et de visages savoureuses, éperonnant les mots, taquinant l'esprit, cravachant les rimes, mesurant les ponctuations, scandant les métriques, pour un brillant attelage conduit de main de maître. Sa voix de contralto se moule parfaitement à la richesse et la profusion de ces vocables creusés jusqu'à leur quintessence pour des sonorités superbes où la langue arabe fusionne avec une mélodie haletante, à la fois suave et gutturale, presque guerrière.
Pour lui donner la réplique, virtuellement, le père, campé par Ghassan Yammine. Une projection sur cet écran immense qui fait face au public. Un comédien bedonnant, à la corpulence «falstaffienne», avec les cheveux sel et poivre ébouriffés, roulant des yeux et pontifiant à la Saïd Akl.
Roublard, égrillard, recueilli, coléreux, badin, grave, mauvais perdant et menaçant, cet « abouna » est un trouvère au bagout d'or qui lance avec panache son paquet de mots.
Un paquet de mots bien ficelés en rubans soyeux ou en cordage brut et que la musique happe, malaxe, mordille, ingère, digère, recrache, avec certes des hoquets répétitifs, en tonalités drues, douces, caressantes, agressives, rythmées.
La collaboration de la musique et des mots est un ménage heureux et de tous les temps. Ici, le «zajal» reprend du lustre et, comme on dit en arabe, pour marquer la notion de pavane, «gonfle ses plumes», en se dotant d'une partition moderne, à la fois tendre et grinçante.
Un voluptueux moment où l'ivresse des mots n'a d'égale que l'intrépide nouveauté de la partition conciliant, en toute subtile et harmonieuse beauté, valeurs culturelles traditionnelles levantines et rigueur de la prosodie musicale moderne occidentale. Un joli doublé !
Le public, nombreux et curieux de l'événement, s'est assis en plein air et à la belle étoile sur des petits coussins rouges à même les escaliers qui surplombent les ruines des Thermes romains. Un parfum d'anis et d'arak a flotté sur l'audience avant même que le précieux liquide blanc aux glaçons tintant ne soit offert aux...

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