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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

L’hystérie, le désir et l’amour, Le mépris

Dans le film de Jean-Luc Godard Le mépris, d'après le roman d'Alberto Moravia, sorti en 1963, une scène, la première, est devenue mythique. Elle nous montre la « Confusion des langues » entre l'homme et la femme. La suite du film ne fera que la confirmer.
Sur un lit, on voit allongés Brigitte Bardot et Michel Piccoli. Bardot est allongée sur le ventre, nue, Piccoli en T-shirt à sa gauche. Après quelques mots échangés sur ce qu'ils allaient faire dans la journée, Bardot demande à Piccoli : – « Tu vois mes pieds dans la glace » ? – « Oui », répond-il. – « Tu les trouves jolis ? » – « Oui, très. » – « Et mes chevilles, tu les aimes ? » – « Oui. » – « Tu les aimes mes genoux aussi ? » – « Oui, j'aime beaucoup tes genoux. » – « Et mes cuisses ? » –
« Aussi. » – « Tu vois mon derrière dans la glace ? » – « Oui. » – « Tu les trouves jolies, mes fesses » ? – « Oui, très. » – « Je me mets sur mes genoux ? » – « Non, pas besoin. » – « Et mes seins, tu les aimes ? » – « Oui, énormément. » Paul l'enlace pour l'embrasser. –
« Doucement Paul, pas si fort. » – « Pardon. » – « Qu'est-ce que tu préfères ? » – « Je ne sais pas, pareil. » – « Et mes épaules, tu les aimes ? » – « Oui. » – « Moi je trouve qu'elles ne sont pas assez rondes. Et mes bras ? » –
« Oui. » – « Et mon visage ? » – « Oui. » – « Tout ? » – « Oui. » – « Ma bouche, mes yeux, mon nez, mes oreilles ? » – « Oui, tout. » – « Donc tu m'aimes totalement ? » –
« Oui, je t'aime totalement, tendrement, tragiquement. » – « Moi aussi Paul. »
Cette scène est une légende du cinéma. Elle nous montre la méprise entre l'homme et la femme et plus tard le mépris de la femme, Brigitte Bardot, pour l'homme Michel Piccoli. En découpant son corps en plusieurs morceaux et en demandant à l'homme s'il aime chacun de ces morceaux, la femme met en évidence que chaque partie de son corps est un objet de désir. Sur le plan psychanalytique, Lacan appelle l'objet du désir objet (a), qui se lit l'objet petit (a), objet qui cause le désir de l'homme. Ce concept central de Lacan se distingue de l'Autre avec un grand A, et de l'autre avec un petit a, soit l'autre imaginaire. Un clin d'œil de Godard à Lacan et au « Stade du miroir », en plein milieu des années 60.
Dans ce contexte, la femme prend l'homme à son propre piège. Il répond oui à chacune de ses questions. Et lorsqu'il s'approche pour l'embrasser, elle le repousse. Quant à la dernière question « Donc tu m'aimes totalement », l'homme tombe aussi dans le piège en répondant « Oui, je t'aime totalement, tendrement, tragiquement ».
Or une déclaration d'amour se fait simplement par un « Je t'aime ». Quoiqu'on puisse y ajouter, elle perd de sa force et se trouve altérée. En ajoutant « oui, je t'aime totalement, tendrement, tragiquement », Michel Piccoli tombe dans le piège que lui tend Brigitte Bardot : « Donc tu m'aimes totalement ? » Piège parce que la femme n'est pas un assemblage des parties de son corps qui peuvent susciter le désir de l'homme. D'autre part, la série des questions posées met en jeu l'amour alors qu'il s'agit de désir : « Tu aimes mon visage » veut dire tu désires mon visage, « Tu aimes mes seins » veut dire tu désires mes seins, etc. Pour des raisons liées à la complexité du langage et à ses effets de refoulement, il est politiquement correct de dire « j'aime tes yeux » plutôt que « je désire tes yeux ». Comme s'il fallait cacher le désir derrière l'amour. Et la seule formule langagière qui ne cache rien est le « Je t'aime ».
Roland Barthes nous a appris que le « Je t'aime » fusionne le sujet de l'énoncé (le sujet de la phrase) avec le sujet de l'énonciation (le sujet du désir inconscient). Aucune autre déclaration langagière ne le fait. Chaque phrase énoncée par l'être humain peut démentir son auteur, le lapsus en témoigne. Notre proverbe « kilmet el hak saba'it », le mot de la vérité devance (l'autre), indique bien que la vérité est du côté du désir inconscient. On voit bien comment et pourquoi dans le dialogue entre Brigitte Bardot et Michel Piccoli, c'est le mot « aime » qui est mis en avant. Et comment et pourquoi le mot de la fin « Donc tu m'aimes totalement » est trompeur. De même la réponse de Brigitte Bardot : « Moi aussi Paul ».
À un « Je t'aime » énoncé par un sujet amoureux, l'autre, s'il est également amoureux, ne peut répondre que par un « Je t'aime ». Le « moi aussi » de Brigitte Bardot n'est pas un engagement, ni les autres mots ajoutés par Piccoli. À la dernière question de la femme « Donc tu m'aimes totalement », l'homme aurait pu répondre « je t'aime ». S'il aimait vraiment sa femme. La méprise est totale. La suite du film en témoigne : l'homme « vend » en quelque sorte sa femme au producteur américain dont il attend un contrat. La fin est dramatique. Comme le dit si bien Alfred de Musset, « On ne badine pas avec l'amour ».

Chawki AZOURI

Dans le film de Jean-Luc Godard Le mépris, d'après le roman d'Alberto Moravia, sorti en 1963, une scène, la première, est devenue mythique. Elle nous montre la « Confusion des langues » entre l'homme et la femme. La suite du film ne fera que la confirmer.Sur un lit, on voit allongés Brigitte Bardot et Michel Piccoli. Bardot est allongée sur le ventre, nue, Piccoli en T-shirt à sa...

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