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L’Ukraine, nouvel enjeu des relations UE-Russie - Tensions

L’Ukraine, nouvel enjeu des relations UE-Russie

Moscou, par ses offres alléchantes, est venu sauver l'Ukraine de la faillite. Mais qu'aurait gagné Kiev à se rapprocher des Européens ?

Voilà plus d’un mois que l’Ukraine voit s’agiter dans ses rues des milliers de drapeaux jaune et bleu, les plus grands rassemblements qu’ait connus le pays depuis la révolution orange de 2004. Et sept ans plus tard, si la contestation a changé de couleur, elle n’a pas vraiment changé de fond. Genya Savilov/AFP

« Celui qui ne regrette pas la dissolution de l'Union soviétique n'a pas de cœur ; celui qui veut la ressusciter n'a pas de cerveau » – Vladimir Poutine

Voilà plus d'un mois que l'Ukraine voit s'agiter dans ses rues des milliers de drapeaux jaune et bleu, les plus grands rassemblements qu'ait connus le pays depuis la révolution orange de 2004. Et sept ans plus tard, si la contestation a changé de couleur, elle n'a pas vraiment changé de fond. Aujourd'hui, l'Ukraine se retrouve à nouveau le cœur entre deux chaises : l'Est et l'Ouest.
Ce qui a vraiment déclenché la révolte, c'est ce « merci, mais non merci » du président ukrainien Viktor Ianoukovitch aux Européens. À une semaine du Sommet de Vilnius sur le partenariat oriental, qui devait voir le rapprochement entre l'Ukraine et l'Union européenne, le président Ianoukovitch a tourné le dos, provisoirement, a-t-il dit, à l'Union européenne. Le sommet, qui se voulait historique, se réduit donc à une poignée d'accords techniques avec la Géorgie et la Moldavie, ainsi qu'à la signature d'une facilitation de l'octroi de visas aux ressortissants de l'Azerbaïdjan. Pour justifier son changement soudain de bord, M. Ianoukovitch avait mis l'accent sur les difficultés économiques que connaît l'Ukraine. Kiev cherche en effet une assistance financière pour couvrir un besoin de financement extérieur évalué à 17 milliards de dollars.

Une offre sans conditions
Alors que les rues de la capitale grouillaient de manifestants criant à « la honte » et accusant leur président de trahir leur pays, ce dernier se rendait en Russie la semaine dernière pour céder aux propositions on ne peut plus alléchantes des Russes. Moscou s'est ainsi engagé à placer « une partie de ses réserves dans des titres du gouvernement ukrainien, à hauteur de 15 milliards de dollars », a déclaré le président russe Vladimir Poutine à l'issue des discussions avec son homologue ukrainien. Comme preuve du sérieux de son engagement, Moscou a d'ores et déjà versé mardi 24 décembre la première tranche du plan de sauvetage, soit trois milliards de dollars.
M. Poutine a aussi promis de réduire d'un tiers le tarif de ses livraisons de gaz à l'Ukraine, qui coûteront désormais 268,5 dollars les 1 000 mètres cubes contre plus de 400 actuellement, et de lever les obstacles au commerce imposés ces derniers mois... Une offre que le président ukrainien n'a pu qu'accepter d'autant plus qu'elle n'était nullement conditionnée. En effet, Vladimir Poutine a souligné que son offre n'était « liée à aucune condition, ni à une hausse, ni à une baisse, ni au gel des avantages sociaux, des retraites, des bourses ou des dépenses ». Pas même, à ce stade, d'adhésion à l'Union douanière que Moscou forme avec le Belarus et le Kazakhstan, et qui accentue la constitution d'un bloc solide autour de la Russie. Cette question n'a, paraît-il, même pas été abordée par les deux dirigeants lors de leur entretien à Moscou. Depuis, l'idée a toutefois fait son chemin et le président ukrainien en est même venu à déclarer que Kiev pourrait se joindre à « certaines clauses » de l'Union douanière russe.
Ces offres sans conditions laissent entendre que la Russie serait prête à tout pour garder l'Ukraine dans son giron. Selon Tatiana Kastouéva-Jean, chercheuse à l'Institut français des relations internationales, « la Russie, (qui) connaît elle-même une période de ralentissement économique et de contraintes budgétaires fortes (...), est prête à aider économiquement l'Ukraine pour la garder à ses côtés ». Mais, selon l'experte, elle ne serait pas prête à tout. « Par exemple, il est inimaginable qu'elle envoie des renforts sur place (...) et les personnalités russes de haut niveau se sont abstenues d'aller intervenir devant les Ukrainiens dans les meetings pro-Ianoukovtich comme l'ont fait les officiels européens ou américains devant les partisans de l'intégration européenne sur la place de l'Indépendance », souligne Mme Jean, faisant allusion à la récente visite à Kiev des sénateurs américains John McCain et Chris Murphy ,et à l'appui de l'ancien ministre des Affaires étrangères d'Allemagne Guido Westerwelle et de la ministre des Affaires étrangères de l'Union européenne Catherine Ashton aux manifestants antigouvernementaux.

Le berceau de la Russie
Pouvons-nous voir en ce rapprochement ukraino-russe une certaine nostalgie postsoviétique ? D'après Mme. Jean, « il y a certes une dimension émotionnelle dans l'attitude russe à l'égard de l'Ukraine ». Elle rappelle les propos tenus par Vladimir Poutine qui disait que les Ukrainiens et les Russes étaient un seul peuple. Kiev est d'ailleurs considéré comme le berceau de la Russie dans la conscience collective russe. Mais aujourd'hui, pour la Russie, « il s'agit surtout de renforcer son poids économique et sa puissance géopolitique, s'affirmer comme un acteur incontournable sur la scène internationale et, sur ce plan, l'Ukraine est considérée comme pays important ».
Avec ses 45 millions d'habitants, l'Ukraine est le deuxième pays d'Europe par sa superficie. Et pour les Occidentaux, rallier un morceau de l'ancienne Union soviétique aux standards démocratiques et au marché de l'Union européenne est on ne peut plus attrayant. Incontestablement donc, l'Ukraine devient un nouvel enjeu politique des relations UE-Russie. Mais d'après Florent Parmentier, chercheur à Sciences po, « ce pays ne représente qu'environ 1,5 % des exportations européennes. Ce n'est donc pas un marché essentiel comme cela peut l'être pour la Russie ». L'UE ne serait alors pas prête à entrer en confrontation avec Moscou pour l'Ukraine. À ce sujet, Mme Jean renchérit : « Personne n'a intérêt à une confrontation : ni la Russie, car l'UE est son premier partenaire économique, ni l'Europe, dont certains pays sont de grands clients de la Russie pour ses matières premières. » Par ailleurs, « l'habilité diplomatique » dont ont fait part les Russes cette année font d'eux un partenaire de poids sur plusieurs dossiers internationaux. Il est bon de rappeler que cette année, la Russie s'est fait une place en or au Moyen-Orient en parrainant la très attendue et maintes fois reportée conférence de paix sur la Syrie dit Genève 2, et a engagé un bras de fer implicite avec les États-Unis en offrant refuge au scandaleux Edward Snowden, accusé d'espionnage, de vol et d'utilisation illégale de biens gouvernementaux, mettant ainsi « le doigt sur les faiblesses et les contradictions des Occidentaux ». « Très probablement, les chefs d'État occidentaux se limiteront à des gestes symboliques, comme, par exemple, ils ont pu faire en refusant d'aller assister aux JO de Sotchi, sujet qui tient à cœur au président Poutine », ajoute Mme Jean.
Un partenaire en moins donc pour l'UE qui voyait en l'Ukraine un nouveau marché extérieur, la crise ayant fortement affaibli le pouvoir d'achat des Européens, mais aussi un coup manqué contre la Russie dont elle voulait affaiblir les positions en Europe de l'Est.

Peut-être en 2015
Mais pour M. Parmentier, « la partie n'est pas perdue pour les Européens ». « Après l'élection présidentielle ukrainienne de 2015, un nouveau président sera peut-être élu, et l'Ukraine pourra signer, si elle ne se lie pas les mains avec la Russie d'ici là, un accord d'association lors du prochain sommet du partenariat oriental, prévu fin 2015 ».
D'ailleurs, la porte européenne reste ouverte pour l'Ukraine. Lors du Conseil européen, le président du Parlement européen Martin Shulz n'a certes pas caché sa déception quant à la décision de Kiev de préférer les Russes aux Européens, mais a tout de même déclaré que l'UE était toujours prête à négocier avec l'Ukraine. Car finalement, « les gains et les pertes du rapprochement ou de l'éloignement avec la Russie se situent surtout sur le court terme », d'après Mme Jean. La Russie a certes sauvé l'Ukraine de la faillite, mais sur le long terme, elle n'aura pas incité à la « restructuration, (à la) modernisation de l'économie, au changement de modèle et de mode de fonctionnement », ajoute l'experte.
En refusant l'offre européenne de 610 millions d'euros, Kiev a par contre tourné le dos à une transformation entière de son système économique, « caractérisé par la corruption et les attitudes rentières, mais aussi et surtout à un renforcement de l'État de droit » qu'incluait implicitement tout accord de libre-échange avec l'Europe, renchérit M. Parmentier.
D'ailleurs, sur la place de l'Indépendance à Kiev et dans d'autres villes ukrainiennes, le peuple, d'abord venu protester contre ce virement de bord de leur président, montrant ainsi leur attachement à la modernisation à « l'occidentale » de leur pays, est aussi venu exprimer sa « fatigue vis-à-vis de ses élites, occupées à servir leurs intérêts personnels et corrompus », affirme Mme Jean, rappelant que l'Ukraine tient le 144e rang sur 177 dans le classement de Transparency International.

Sauf provocation majeure
Et si, selon M. Parmentier « ni répression ni démobilisation ne semblent à l'ordre du jour », Mme Jean, elle, pense que l'approche des fêtes et le froid qui s'installe auront très probablement raison des protestations, « sauf une provocation majeure ou une action musclée de la part du gouvernement ».
En effet, sur la place de l'Indépendance, la mobilisation proeuropéenne était nettement en baisse, dimanche 22 décembre. Seules 40 000 personnes s'étaient rassemblées pour une nouvelle grande manifestation contre les centaines de milliers qui avaient défilé dans les rues de la capitale les trois dimanches précédents. Un essoufflement de l'opposition que Mme Jean avait envisagé. Mais quelques jours plus tard, c'est l'agression de deux militants proeuropéens qui a suscité un tollé en Ukraine. Tetiana Tchornovol, journaliste de la publication Ukraïnska Pravda qui écrit des articles très critiques sur le président Viktor Ianoukovitch et est également en première ligne de la contestation proeuropéenne, a été sauvagement battue dans la nuit du 24 au 25 décembre. Un autre militant proeuropéen, Dmytro Pilipets, a été poignardé le soir même à Kharkiv, dans l'est du pays, par deux inconnus, selon les médias et la police. Il a été légèrement blessé aux hanches et aux poignets. Le parti Batkivchtchina de l'opposante Ioulia Timochenko a aussitôt accusé le régime de passer à l'offensive : « Incapables de faire cesser les protestations, les autorités organisent des provocations avec des méthodes criminelles. »
Le régime, lui, s'est empressé d'ouvrir des enquêtes, mais le ministère de l'intérieur et les autorités de Kharkiv ont d'ores et déjà dénoncé des « provocations » visant à les discréditer.
Et c'est ainsi que les manifestants, qui protestaient initialement contre l'abandon par ses gouvernants du rapprochement avec l'Union européenne, protestent désormais contre un pouvoir putréfié.

« Celui qui ne regrette pas la dissolution de l'Union soviétique n'a pas de cœur ; celui qui veut la ressusciter n'a pas de cerveau » – Vladimir Poutine
Voilà plus d'un mois que l'Ukraine voit s'agiter dans ses rues des milliers de drapeaux jaune et bleu, les plus grands rassemblements qu'ait connus le pays depuis la révolution orange de 2004. Et sept ans plus tard, si la contestation...

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