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Culture - Abécédaire d’artiste

Rim el-Jundi : le « Bigger Splash » de David Hockney m’a posé un vrai problème

Elle se met en scène dans ses toiles, s’autoportraiture dans des contextes différents, au fil des événements de sa vie, y évoque sa maternité, sa maladie, sa lignée familiale ou encore ses pensées et ses obsessions. Cette fois, c’est au fond d’une piscine qu’on la retrouve à la galerie Agial, dans une exposition intitulée « The Texture of Water ».

Rim el-Jundi :  le « Bigger Splash » de David Hockney m’a posé un vrai problème

« Sunny Day at the Pool » de Rim el-Jundi, acrylique et techniques mixtes sur toile (150 x 90 cm, 2023) . Avec l'aimable autorisation de la galerie Agial

Une femme dans une piscine. Nageuse solitaire sur fond bleu horizon et jaune soleil. Parfois aussi debout tout au fond de la piscine vidée de son eau, l’attitude figée, le regard fixe qui semble plonger dans celui du spectateur de manière frontale comme pour lui confier son désarroi, sa tristesse, sa lassitude de vivre dans ce trompeur décor de plaisance… Mais que cherche donc à exprimer Rim el-Jundi à travers sa nouvelle série de peintures réunies sous l’intitulé The Texture of Water à la galerie Agial ? Tentative de décryptage au moyen d’une interview en forme d’abécédaire.

Rim el-Jundi, autoportrait dans la piscine, acrylique sur toile. Avec l'aimable autorisation de la galerie Agial

R comme rêve. Quel est le rêve qui vous porte dans la vie ?

Mes rêves ont beaucoup changé avec l’âge. Ils ont évolué au fil des années jusqu’à se limiter désormais à mener une vie calme et tranquille. C’est vraiment tout ce auquel j’aspire très modestement aujourd’hui.

I comme inspiration. Qu’est-ce qui vous a inspiré cette nouvelle série de peintures de piscine ?

Mon refuge en bord de mer à Amchit. Depuis 2020, j’y loue un chalet dans un complexe balnéaire, où je me rends chaque fin de semaine. C’est devenu pour moi comme un cocon hors du temps et des événements. Un lieu qui m’évoque la période d’avant-guerre ou encore un décor de cinéma. Un lieu où je m’extraie de la réalité le temps d’un week-end, où je m’illusionne de calme, de tranquillité et d’ensoleillement méditerranéen avant de retrouver chaque lundi la rude réalité. C’est cette illusion dans laquelle je m’immerge – qui se rapproche le plus de mon fantasme de vie sereine – que j’ai eu envie de représenter dans cette série que j’ai intitulée La texture de l’eau. Parce que l’eau, justement, comme les illusions, épouse les textures de tout ce qui l’entoure. 

M comme maladie. Elle a traversé votre vie il y a quelques années. Quelle incidence a-t-elle eu sur votre art ?

Elle a transformé beaucoup de choses dans ma vie comme dans mon art. Le fait d’avoir frôlé la mort m’a fait réaliser la vulnérabilité du corps humain et la précarité de l’existence. Depuis, je suis en constante recherche de sérénité et de bien-être. Et cela aussi bien dans mon quotidien que dans mon travail artistique, au moyen duquel j’exprime ma vision de la condition humaine à travers la représentation de mon propre corps que je peins dans sa fragilité, sa force parfois ou encore sa nudité, mais une nudité dénuée de toute velléité de séduction. 

E comme enluminures. Vous avez souvent intégré à vos tableaux des enluminures. C’était en quelque sorte votre marque déposée. On ne les retrouve plus dans cette nouvelle série. Pourquoi ?

 Mon goût pour les enluminures me vient de mes études d’art sacré à l’Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK). Elles ont effectivement imprégné mon travail artistique. Et bien qu’on ne les retrouve pas à proprement parler dans ma dernière série, l’iconographie religieuse reste présente par petites touches, comme celles de la feuille d’or que je disperse dans certaines toiles ou encore la représentation frontale et figée de la face humaine qui donne un air de mystère et d’irréalité à mes personnages.

Rim el-Jundi : « Mener une vie calme et tranquille, c’est vraiment tout ce auquel j’aspire très modestement aujourd’hui. » Photo Mansour Dib

L comme Liban. Quelle est votre relation avec le pays du Cèdre aujourd’hui ?

Le Liban m’a totalement façonnée. Il a fait de moi la personne que je suis. C’est le lieu de ma mémoire et de tout ce qui me constitue. En même temps, lorsque votre pays est pris d’assaut par des gens qui rejettent votre mode de vie, il y a un malaise qui s’installe. C’est ce qui m’arrive aujourd’hui. Ma relation au Liban est en train de devenir toxique, comme si elle se transformait en un amour à sens unique. 

J comme jeu. Y a-t-il du jeu dans votre démarche artistique ?

Bien sûr qu’il y a du jeu. Sans une approche ludique de l’art, je m’ennuierais. Mais il a toujours chez moi un objectif sérieux. Car si je m’adonne à un jeu d’expérimentations des matières, des techniques et des modes d’expression, c’est pour nourrir et faire évoluer mon travail artistique.

U comme univers. Comment définiriez-vous votre univers artistique ?

J’aime penser que mon univers artistique est diversifié. Je suis moi-même issue d’un métissage de différentes identités, histoires, cultures et influences qui font qu'au-delà de mes récits très personnels on y perçoit les thématiques politiques et historiques qui m'ont toujours nourrie. 

N comme narration. Peut-on considérer que votre peinture est narrative ?

Elle est non seulement narrative, mais elle raconte ma vie, dans ses différentes étapes, ses événements et ses bouleversements. Dans chaque série je travaille un thème donné. C’est un peu comme si j’écrivais sur la toile mon journal intime.

Une série de toiles de la série « The Texture of Water » de Rim el-Jundi accrochées à la galerie Agial. Avec l'aimable autorisation de la galerie Agial

D comme drame. Malgré les couleurs fortes et le thème estival, vos toiles dégagent imperceptiblement quelque chose de dramatique. En êtes-vous consciente ?

Non seulement j’en suis consciente, mais je le recherche. J’aime rendre la vérité, souvent dramatique, des choses et des événements de la vie, et en même temps j’ai horreur du mélodrame. C’est ce paradoxe qui m’amène à privilégier les couleurs vives dans mes toiles. 

I comme influence. À ceux qui relèvent dans cette dernière série d’œuvres l’influence de David Hockney, que répondez-vous ?

David Hockney m’a posé un vrai problème dans cette exposition. Car la vue de la piscine depuis le balcon de mon chalet ressemble incroyablement à celle représentée dans A Bigger Splash. En face de « ma » piscine, deux grands palmiers côtoient un bâtiment aux murs jaune ocre, exactement comme dans la célébrissime toile du peintre britannique. Comment faire pour immortaliser ce lieu tellement important dans ma vie sans que ma toile ne soit considérée comme une copie de celle de Hockney ? Il m’a fallu un an pour oser m’attaquer à Sunny Day at the Pool, la première de la série de mes piscines (The texture of Water) dans laquelle j’ai tenté de m’affranchir au maximum de l’influence du célèbre artiste en y mettant des références à mon histoire personnelle. J’espère y être parvenue, même si je suis consciente qu’aucune œuvre sur le thème de la piscine ne peut désormais échapper à la référence du maître américain.

« The texture of Water », de Rim el-Jundi, jusqu’au 31 août à la galerie Agial, rue Abdel Aziz, Hamra.

Une femme dans une piscine. Nageuse solitaire sur fond bleu horizon et jaune soleil. Parfois aussi debout tout au fond de la piscine vidée de son eau, l’attitude figée, le regard fixe qui semble plonger dans celui du spectateur de manière frontale comme pour lui confier son désarroi, sa tristesse, sa lassitude de vivre dans ce trompeur décor de plaisance… Mais que cherche donc à...
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David Hockney a la double nationalité britannique et américaine?

M.E

09 h 15, le 24 août 2024

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  • David Hockney a la double nationalité britannique et américaine?

    M.E

    09 h 15, le 24 août 2024

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