Le dessin de... Le dessin de Ralph Doumit

Les métamorphoses de Théodore Poussin

Les métamorphoses de Théodore Poussin

Aro Satoe de Frank Legall, Dupuis, 2023, 80p.

Théodore Poussin est une série née dans les années 80 dans le journal Spirou, participant, avec quelques autres (Broussaille de Frank Pé et Bom, Bidouille et Violette de Hislaire, JKJ Bloche d’Alain Dodier ou Jojo d’André Geerts) à apporter à l’hebdomadaire de BD un souffle nouveau, héritier des grands classiques mais résolument tourné vers l’avenir.

Plus de trente-cinq années plus tard, la série se poursuit et revient, en 2023, avec un quatorzième album mystérieusement intitulé Aro Satoe, du nom du personnage féminin dont le visage marqué s’impose en grand sur la couverture.

Album introspectif ou grande aventure ? La frontière s’est depuis longtemps dissipée dans Théodore Poussin. L’album se déroule presque exclusivement sur une île, celle que dirige la mystérieuse Aro Satoe avec qui Théodore Poussin vit un amour isolé du monde. Mais lorsque ce dernier découvre que tout l’équipage de son bateau, l’Amok, a été arrêté par les Anglais et encoure la peine de mort, accusé d’avoir (dans l’épisode précédent de la série) fait leur propre loi en affrontant le clan du sombre Capitaine Crabb, tout se bouscule. Théodore souhaite sortir de l’île et aller au secours de ses hommes, mais c’est sans compter les Anglais qui précèdent son initiative et débarquent sur l’île d’Aro Satoe avec la ferme intention d’arrêter le capitaine d’équipage. S’ensuit une course poursuite dans les forêts denses de l’île qui a toutes les allures d’un voyage introspectif durant lequel les personnages ne meurent jamais qu’à moitié, les vérités ne sont qu’éphémères et où chacun se retrouve face à ses contradictions, son passé et les choix qu’il a à faire pour l’avenir.

Théodore Poussin est de ces séries qui accompagnent leur auteur sur la longueur d’une vie. Mais au lieu d’imposer à l’auteur une routine stylistique, elle se fait au contraire modelable, et mute selon les évolutions de son créateur. On a connu Théodore Poussin renouvelant le graphisme des séries classiques du journal Spirou, dans les années 80, dans une variation au trait nerveux du style « gros nez », dans les premiers épisodes. Puis la voilà développant, par la suite, une forme de ligne claire semi-réaliste. L’un des albums, La Vallée des roses, s’est même permis une virée romantique toute faite d’aquarelles. Et voici que depuis son retour en 2018, après une longue pause, la série revisite à chaque épisode les codes d’un courant de dessin, en gardant pourtant une cohérence qui soude l’ensemble. C’était, dans le treizième volume (Le Dernier Voyage de l’Amok), l’encrage fin et hachuré héritier des bandes américaines classiques (la gestion des noirs d’un Milton Caniff ou d’un Alex Toth). Pour ce quatorzième album, le dessin de Frank Legall fait une inflexion vers les grands maîtres du noir et blanc sud-américains : José Munoz, Alberto Breccia, ou cet italien mais qui a longtemps vécu en Argentine et auquel on ne peut que penser en lisant l’album, Hugo Pratt, l’auteur de Corto Maltese.

La série connaît une remise en avant bienvenue : après l’édition d’une intégrale regroupant les 12 premiers récits, elle est rééditée en plus grand format, avec des couvertures somptueuses et inédites, ainsi qu’une édition regroupant les récits par cycles dans de grands volumes. Aro Satoe est également proposé, pour les amateurs de dessin, dans une édition en noir et blanc qui permet de s’attarder sur le travail d’encrage aussi maîtrisé que généreux et audacieux de Frank Legall. Une manière pour l’éditeur de réaffirmer l’ambition de la série qui est d’ores et déjà passée du statut de valeur sûre au statut de classique.

Aro Satoe de Frank Legall, Dupuis, 2023, 80p.Théodore Poussin est une série née dans les années 80 dans le journal Spirou, participant, avec quelques autres (Broussaille de Frank Pé et Bom, Bidouille et Violette de Hislaire, JKJ Bloche d’Alain Dodier ou Jojo d’André Geerts) à apporter à l’hebdomadaire de BD un souffle nouveau, héritier des grands classiques mais...

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