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Liban - Trafic

La contrebande animalière s’enracine au Liban

Frontières perméables, couvertures politico-mafieuses et carences législatives font le jeu des trafiquants d’animaux sauvages et des « professionnels » du secteur.

Des primates sont parfois captivés dans des régions africaines où sévissent des maladies.

Sa voix disparaît presque sous le pépiement infatigable de la volière. « Excuse-moi pour le bruit, mais je n’ai plus de place dans mon bureau », dit-il en montrant un minuscule débarras au fond du magasin. Puis, le propriétaire de cette animalerie de Bourj Brajneh improvise deux chaises de fortune avec des clapiers vides et l’entretien commence. Il est convaincu de faire affaire avec un administrateur de zoo riche et peu scrupuleux, en quête de nouveaux spécimens. Opération juteuse. Alors, il livre sans détours ses combines. « On peut faire passer des lions de Syrie, sans papiers. Je connais des éleveurs là-bas. Compte 5 000 dollars par animal, 2 500 payables à l’avance. Je peux t’avoir tout ce que tu veux, primates, oiseaux, reptiles. Mais je préfère les livrer dans le coin, je connais des gens ici. Est-ce que tu as des amis influents si on me pose des questions en route ? »
Il se lève, passe quelques instants dans le cagibi du fond et revient s’asseoir, un papier en main. « Je te donne un conseil, fait ça en règle. On est mieux couvert avec des certificats CITES (Protocole sur le commerce international des espèces menacées, ou convention de Washington – lire par ailleurs). C’est un peu plus cher, car tu rajoutes les taxes d’importation. Mais je connais quelqu’un aux douanes de l’aéroport qui peut retoucher un peu les documents. Tu fais venir dix lions, il t’en enregistre deux. » Son téléphone sonne. C’est son contact de l’aéroport, affirme-t-il. « Il dit que le mieux, c’est que tu l’appelles la veille de l’arrivée des marchandises et que tu lui donnes l’heure d’atterrissage de l’avion, pour qu’il se tienne prêt. » Au moment de nous séparer, il glisse : « Si tu as besoin d’animaux plus rapidement, je connais un éleveur près de Saïda qui a de bon appuis. Il a fait venir une centaine de singes la semaine dernière. »
Le Liban ne s’est pas encore doté de lois pour encadrer les acquisitions d’animaux sauvages ou protégés par la convention de Washington. Ainsi, les receleurs peuvent écouler des spécimens via des canaux de distribution courants comme Internet, sans crainte d’être inquiétés. Il y a quelques semaines, une annonce publiée sur al-Mazad.com avisait de la mise en vente pour 9 000 dollars d’un lionceau de deux mois. Nous avons pu rencontrer l’intermédiaire de l’annonceur, à Zahlé, qui nous a révélé que l’animal provenait d’un élevage situé dans la localité syrienne de Bloudan.
Ces élevages, véritables enclaves hermétiques où l’on s’adonne à des techniques de reproduction peu orthodoxes, prolifèrent au pays du Cèdre comme en Syrie. Zahlé, Baalbeck et Saïda pour le Liban ; Bloudan, Homs et Wadi al-Ouyoun pour la Syrie. Des noms de communes glanés au fur et à mesure des témoignages. Selon un observateur proche de ces éleveurs, une quarantaine de lionceaux malades attendraient actuellement leur expédition vers le Liban de l’autre côté de la frontière.
Il y a quelques mois, la découverte d’un lionceau de cinq mois sur un balcon du centre-ville de Beyrouth avait défrayé la chronique. « Les propriétaires pensent que de tels animaux peuvent s’adapter à la vie domestique avec le temps, ce qui est bien sûr complètement faux », commente Jason Mier, directeur de l’association Animals Lebanon. Loin d’être isolée, cette histoire saugrenue semble avoir fait des émules. Depuis quelques mois, à Mansourieh, un coiffeur exhibe un alligator dans son salon au nez et à la barbe des associations impuissantes.

Un vide législatif bientôt résorbé ?
Bien que non signataire de la convention de Washington, le Liban a posé, il y a quelques années, un premier jalon réglementaire en ouvrant une antenne CITES rattachée au ministère de l’Agriculture. Mais les attributions de ce département sont restreintes à la délivrance de permis d’échange et de transport des animaux, pas de détention. Il n’existe actuellement aucune licence officielle pour les parcs zoologiques, aucun certificat de capacité pour les éleveurs, aucun papier pour les propriétaires. Cependant, la situation pourrait bientôt évoluer. Animals Lebanon a remis l’année dernière au ministre de l’Agriculture le jet liminaire d’un projet de loi réglementant la possession, le commerce et le traitement des animaux sauvages. Un comité d’étude, formé début décembre et composé de membres de l’ONG et de fonctionnaires du ministère, devrait remettre sa première mouture au Conseil des ministres avant fin mai.

Un enjeu de santé publique
La traite animalière ne se résume pas à des considérations éthiques, aussi importantes soient-elles. La traçabilité des animaux ne pouvant être établie avec certitude dans la grande majorité des cas, un risque sanitaire appréciable pèse sur les acheteurs. À titre d’exemple, la plupart des primates importés illégalement au Liban (principalement les Chlorocébus) sont capturés dans des régions africaines où sévissent des fièvres simiennes virulentes, transmissibles à l’homme (fièvre de Crimée-Congo, fièvre jaune, virus Ebola, etc.). Ses animaux peuvent aussi être porteurs de pathologies plus conventionnelles comme la rage, la tuberculose, les hépatites virales ou les rétrovirus. On aurait tort de penser que les spécimens contaminés meurent au cours du voyage. « La période d’incubation de certaines infections, comme la rage, s’étend de quelques semaines à plusieurs mois », commente Fanélie Wanert, docteur vétérinaire et directrice du centre de primatologie de Strasbourg. « Quant au sérum antirabique, il est préventif et non curatif. Si l’animal est déjà porteur de la maladie avant la vaccination, il reste un vecteur potentiel. »
Tristement, ceux-là mêmes qui devraient enrayer la machine en graisseraient les rouages. Un praticien nous confie que certains vétérinaires tremperaient dans des pratiques peu déontologiques. « Il n’existe pas de spécialistes des espèces exotiques au Liban. Plutôt que de recommander à leurs clients de confier leurs animaux à des associations, ils leur prodiguent des conseils d’alimentation et de traitement contre-indiqués, pour les cas les plus anodins. Parfois, les médecins vont jusqu’à vacciner les bêtes sans prélèvements sanguins préalables. Prenez le vaccin contre la rage : c’est toujours 35 dollars de mis dans la poche. »
Plus largement, c’est tout le Proche-Orient, passerelle entre l’Afrique (continent pourvoyeur), l’Europe et la Chine, qui est gangréné par ce trafic. À tel point que les analystes et militants d’ONG l’identifient désormais comme l’un des principaux hubs de la contrebande animalière mondiale. Les cas de saisies n’en finissent plus d’éclater au grand jour : ailerons de requins aux Émirats arabes unis (dont on peut tirer 500 dollars pièce sur les marchés chinois), lions et grands singes africains en Égypte, Gris du Gabon et oiseaux rares en Syrie, cornes de rhinocéros au Yémen (vendues 2 500 dollars pièce en Chine, pour leurs prétendues vertus médicinales), etc. Dans une région sclérosée par les iniquités sociales et économiques, la lutte contre ce trafic ne figure pas vraiment à l’ordre du jour...
Sa voix disparaît presque sous le pépiement infatigable de la volière. « Excuse-moi pour le bruit, mais je n’ai plus de place dans mon bureau », dit-il en montrant un minuscule débarras au fond du magasin. Puis, le propriétaire de cette animalerie de Bourj Brajneh improvise deux chaises de fortune avec des clapiers vides et l’entretien commence. Il est convaincu de faire affaire avec...

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