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À La Une - Le point

Feu et contre-feu

Cela faisait quatre-vingt-quatre ans qu’ils l’attendaient, cet instant. Aujourd’hui qu’est venue, croient-ils, l’heure H, ils se découvrent une insatiable et inquiétante appétence pour le pouvoir. Au point de tout vouloir et tout de suite, avec les effets inévitables que l’on constate depuis une semaine. Hier, vingt-trois organisations de défense des droits de l’homme ont parlé de « nouvelle dictature » sur les bords du Nil ; sur le Net, il est loisible de suivre en boucle les obsèques d’un adolescent de 16 ans tué lors des affrontements avec les forces de l’ordre, place Tahrir, et entendre le père accuser Mohammad Morsi d’être responsable du crime ; un intellectuel, Abdel Halim Kandil, n’hésite pas à parler du « lamentable échec de la loi des Frères musulmans » ; et le sauveur de la paix, il y a peu, à Gaza, est vilipendé, pis encore, honni, chez lui.


Au prétexte de vouloir consolider les assises encore branlantes du début de normalisation, le premier président de la République égyptienne démocratiquement élu a péché par excès de zèle en voulant accaparer, en quelques semaines à peine, tous les pouvoirs. Mais c’est la mainmise sur l’appareil judiciaire qui aura représenté la mesure de trop. Sa harangue, vendredi dernier, en défense de ses décisions, a eu un double effet boomerang : elle a été interprétée comme une marque de faiblesse et les magistrats y ont vu un défi qui appelait à la riposte. Celle-ci, cinglante, est venue : la Cour constitutionnelle ne se laissera pas terroriser par les menaces ou le chantage, pas plus qu’elle ne tolérera les pressions, d’où qu’elles viennent, a déclaré son porte-parole, Maher Sami.


Les militaires – qui se tiennent cois pour l’instant, après leur mise au pas – ; l’opposition représentée par une large palette d’adversaires résolus à contrer le blitzkrieg des Ikhwane ; les jeunes qui occupent la place mythique du centre du Caire et dont le mouvement s’étend désormais à Damanhour, Alexandrie, Suez, Minyah ainsi qu’à d’autres localités des 27 provinces... Avec maintenant le troisième pouvoir, cela fait pas mal de monde que ne peuvent réduire au silence les redondances du piètre orateur qu’est Morsi.


Qu’il s’agisse des Officiers libres qui avaient régné sur la terre des pharaons, d’Anouar Sadate ou de Hosni Moubarak, tous les pouvoirs s’étaient toujours trouvés concentrés entre les mains d’une poignée d’individus quand ce n’était pas d’un seul homme. Avec la chute du dernier raïs, les Égyptiens – les jeunes encore plus que leurs aînés – ont amplement fait la démonstration de leur refus de voir se prolonger un despotisme dont ils ont trop longtemps souffert. Ces jeunes craignent, à tort ou à raison, que l’actuelle Assemblée constituante n’accouche d’une Loi fondamentale instituant la charia.


Dans leur ô combien juste combat contre cette autocratie qui se pare des voiles de la religion et d’une illusoire liberté, les générations montantes viennent de recevoir l’appui inespéré des hommes à la toge, entrés en dissidence. Les tribunaux ne siégeront plus avant la révocation du décret autorisant le chef de l’État à prendre toute mesure jugée nécessaire « pour protéger la révolution », une formule bien vague, qui trahit, craignent ses détracteurs, une inquiétante dérive. À leur tour les journalistes ont emboîté le pas, menaçant de se mettre en grève. La seule voix discordante est celle du Conseil judiciaire suprême dont les membres, histoire de ménager la chèvre et le choux, biaisent en soulignant que les dispositions de ce texte ne devront être appliquées que dans les cas « souverains », autrement dit qui touchent à l’intérêt supérieur de la nation.


La conjoncture est d’autant plus complexe qu’aucune autorité n’est habilitée à révoquer le décret. En outre, la présidence ne veut pas entendre parler d’un retrait de l’objet du litige et une contestation en justice, est-il prévu, ne peut pas être entreprise avant l’élection d’un nouveau Parlement, soit vers le milieu de l’année prochaine. Autant d’empêchements qui ont porté les États-Unis à juger que la situation n’est « pas claire » – savoureux euphémisme – et à demander qu’il soit mis fin « à l’impasse constitutionnelle ». Sinon ? Eh bien, sinon pas de beurre (soit la bagatelle de 1,3 milliard de dollars généreusement versée par l’Oncle Sam pour encourager l’irrésistible essor de l’Égypte vers la justice et la liberté) et pas de canon non plus.


Mais il y a lieu de croire que tout finira par s’arranger : salafistes et Ikhwane sont appelés à manifester samedi pour appuyer le président. Un bel élan démocratique, destiné à n’en pas douter à calmer les appréhensions de Washington.

 

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