Les préparatifs des municipales de Baalbeck-Hermel, prévues dimanche, révèlent déjà un « mécontentement populaire » à l'égard des municipalités relevant du Hezbollah, un terme qui revient chez chaque habitant de ce mohafazat que L'Orient-Le Jour a contacté. Ce « mécontentement » s'exprime sous un angle socio-économique : les listes qui s'opposent au Hezbollah placent leur action sous le label du développement, non de la politique.
C'est également le thème du développement qui dicte la démarche du Hezbollah et du mouvement Amal. Dans leurs discours électoraux, les candidats relevant de ce tandem évoquent « une fidélité au développement » (plutôt qu'à la résistance). En outre, un accord préalable, non officialisé, avait été conclu entre le Hezbollah et Amal, par lequel ils avaient convenu de donner la priorité aux familles de Baalbeck-Hermel dans l'élaboration des listes électorales.
Il y aurait donc, d'une part, un contrepoids « social » qui s'affirme face au Hezbollah, et de l'autre, un souci partisan affiché de ménager les familles. En réalité, le premier comporte une résistance non déclarée à l'hégémonie du tandem chiite, tandis que le souci de ce dernier de ménager les familles est démenti dans les faits.
La ville de Baalbeck illustre un face-à-face qui s'articule autour des enjeux socio-économiques. Deux listes principales complètes s'y opposent : d'une part, la liste du développement et de la fidélité à Baalbeck, soutenue par le tandem Amal-Hezbollah, et présidée par le général retraité Hussein Laqqis, de l'autre, la liste Baalbeck ma ville, présidée par Ghaleb Yaghi, ancien président du conseil municipal de 1998 à 2004, qui s'était également porté candidat en 2010.
(Lire aussi : Municipales : coup d'envoi dans deux jours)
La première liste, qui comporte parmi ses membres le président du conseil municipal sortant, Mohammad Hassan, défend le partenariat entre la municipalité et les partis politiques, en ce qu'il facilite la mise en œuvre de certains projets de développement.
En revanche, pour un habitant chiite indépendant, la mainmise des partis sur la municipalité n'aurait fait que nuire aux intérêts de la ville. La municipalité aurait par exemple « fermé l'œil » sur « l'exploitation illégale par la Compagnie des Eaux de la fontaine de la ville, dont la source est à Ras el-Aïn. Fontaine historique et inépuisable qui avait attiré les Romains vers Baalbeck, elle est coupée de la ville depuis cinq ans et sous-traitée pour des agriculteurs privilégiés ». Cet habitant relève que « la Compagnie des Eaux compte 500 fonctionnaires, dont seuls trois assurent une permanence ». Il dénonce d'une manière générale « une municipalité au service de pratiques clientélistes, qui manque non seulement de vision, mais de plan ».
À L'OLJ, M. Yaghi se retient d'évoquer ces détails et se contente d'appeler à « l'élection d'un conseil municipal libre ». Les deux principaux points de divergence avec ses rivaux portent sur le tourisme et la situation sécuritaire. M. Yaghi déplore « une situation en régression à Baalbeck, qui a porté un coup dur au tourisme ». « L'insécurité », marquée par des accrochages sporadiques dans certains quartiers chauds, comme al-Charawneh, serait un des signes de cette régression.
Le conseil municipal sortant invoque une force majeure liée à la guerre en Syrie, qui justifie des périodes « isolées » de recul du tourisme.
Cet argument est rejeté par plusieurs habitants : pour eux, l'insécurité ne provient pas des frontières syriennes. « La soi-disant menace de la guerre avoisinante n'est qu'un épouvantail », selon l'un d'eux.
Un autre habitant dénonce une mise en œuvre défaillante du plan de sécurité dans la Békaa, où « 25 000 mandats d'arrêt sont restés sans suite ». À Baalbeck (ville de familles et non de tribus), les violences sont régulièrement entretenues par la tribu Jaafar, qui s'est progressivement rétablie autour de la ville après la fin de la guerre civile. Elle bénéficierait de « la couverture du Hezbollah, qui y voit une force de frappe entre ses mains ». Une couverture dont pâtissent tous les habitants.
(Lire aussi : Les municipales, comment ça marche ? Un guide pratique pour tout comprendre)
C'est un « ras-le-bol » qui se manifeste aussi dans la ville de Hermel, éponyme du caza, selon les termes d'un habitant. La liste Ensemble pour le Hermel a été annoncée hier. Incomplète, elle est formée de dix membres « indépendants et actifs dans la société civile », dit-il. Mais il existe aussi une grogne dans les rangs mêmes du Hezbollah, provoquée par la décision de ce dernier de faire réélire des responsables municipaux « devenus des symboles de corruption ». « Des communiqués virulents sont échangés publiquement entre des sympathisants du Hezbollah », précise-t-il. Dans le jurd du Hermel, le village al-Qasr connaîtra, comme pour les échéances précédentes, un nouveau face-à-face entre les familles et le Hezbollah.
D'autres villages du mohafazat ont toutefois préféré éviter le face-à-face avec le parti chiite, surtout que ce dernier a opté cette année pour la méthode du consensus électoral, « à défaut de pouvoir remporter la bataille », selon un habitant. Il aurait d'ailleurs proposé à sa liste rivale dans la ville de Baalbeck une formule consensuelle, qui accorderait au Hezbollah la présidence et la vice-présidence du conseil, ce que ses interlocuteurs ont décliné.
C'est que l'élaboration de listes consensuelles est souvent viciée : le Hezbollah tend à influencer les familles dans le choix de leurs candidats respectifs. Et les négociations qu'il mène se font parfois au détriment de son allié, Amal. Dans le village de Douris (limitrophe de la ville de Baalbeck, mixte à majorité maronite), l'élaboration d'une liste consensuelle entre le Hezbollah et les familles chrétiennes et sunnites du village n'a pas empêché quatre candidats chiites (sympathisants du parti chiite) à lui faire face.
À Brital en revanche, la bataille aurait un enjeu politique marqué. Pour la première fois, une liste du Hezbollah est en lice. Elle fait face à une liste relevant du cheikh Sobhi Toufaily, présidée par le président sortant du conseil municipal, Abbas Zaki Ismail, un ami des responsables d'Amal dans le village. Il y aurait une tentative « sérieuse » de circonscrire l'influence de cheikh Toufaily, « après qu'il eut dénoncé dans les médias la guerre menée par le Hezbollah en Syrie », selon un habitant.
La bataille électorale de Laboué (village chiite) sera un autre enjeu de taille pour le Hezbollah, qui y affronte les familles.
Lire aussi
La participation aouniste à la liste des « Beyrouthins » : des messages politiques au courant du Futur, le décryptage de Scarlett Haddad
Beyrouth, ma cité du vivre-ensemble, la tribune d'Antoine Courban
À Zahlé, trois listes et un maître de jeu, le panachage
À Tripoli, une liste regroupe Jamaa islamiya, salafistes et chrétiens
Beit-Méry se prononcera pour le retour, ou pas, de la famille Moukheiber
Voir nos vidéos sur les municipales
Micro-trottoir spécial Municipales 2016 : A Jounieh, les électeurs entre désillusion et indifférence
Micro-trottoir spécial Municipales 2016 : A Zahlé, les électeurs entre espoir et lassitude
commentaires (8)
Mieux vaut trop tard que jamais.... !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
12 h 41, le 07 mai 2016