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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Le tandem Erdogan-Davutoglu se fissure

L'instance dirigeante de l'AKP a retiré au PM le pouvoir de nommer les responsables du parti à l'échelle des provinces et des districts.

Le président Recep Tayyip Erdogan (à gauche) et son Premier ministre Ahmet Davutoglu, hier à Ankara, lors de leur réunion hebdomadaire. Handout/Reuters

Ils tiennent depuis un an et demi la barre d'une Turquie qui traverse une mer démontée. Des fissures apparaissent aujourd'hui dans le tandem formé par le président Recep Tayyip Erdogan et son Premier ministre Ahmet Davutoglu, dont l'avenir semble incertain.

Lorsqu'il a été élu président en août 2014 après trois mandats de Premier ministre, M. Erdogan a désigné comme successeur le studieux Ahmet Davutoglu, ancien chef de la diplomatie, faisant, pour beaucoup, le pari de la docilité. Mais l'universitaire de formation s'est peu à peu taillé une place sur la scène politique turque, se muant en orateur enflammé et négociant ces dernières semaines un accord avec Bruxelles sur les migrants qui devrait rapporter à la Turquie une exemption de visa historique pour ses citoyens. La semaine dernière, l'instance dirigeante du Parti de la justice et du développement (AKP) a retiré à M. Davutoglu, son président, le pouvoir de nommer les responsables du parti à l'échelle des provinces et des districts. Cette décision a été perçue comme le premier coup de pioche d'une campagne visant à saper son autorité.

Si M. Davutoglu dirige officiellement l'AKP, M. Erdogan, censé être au-dessus de tout parti en tant que chef de l'État, dispose de nombreux fidèles au sein de cette formation politique qu'il a fondée en 2001. « Il y a inévitablement du potentiel pour des affrontements et cela a déjà commencé », a dit à Ilter Turan, professeur de sciences politiques à l'Université Bilgi, à Istanbul. « À l'évidence, il s'agit d'hommes politiques ambitieux, il y a donc suffisamment de raisons de penser qu'il y a une importante lutte de pouvoir au sein du parti dirigeant », a-t-il indiqué. Les successeurs potentiels de M. Davutoglu sont nombreux et deux noms sont régulièrement cités par la presse : Binali Yildirim, vieux compagnon de route de M. Erdogan et actuel ministre des Transports, et Berat Albayrak, ministre de l'Énergie et gendre du chef de l'Etat.

 

(Lire aussi : « En Turquie, la liberté de presse est au niveau le plus bas de toute l'histoire de la République »)


« Je ne crains qu'Allah »

La décision de rogner les pouvoirs de nomination de M. Davutoglu prise le 29 avril par le comité exécutif (MKYK) de l'AKP marque, pour nombre d'observateurs, un tournant dans l'histoire de ce parti qui s'enorgueillit de son unité depuis son arrivée au pouvoir en 2002. « L'AKP a jusqu'ici plutôt réussi à ne pas laisser les désaccords en interne dégénérer en luttes pour le pouvoir », souligne M. Turan, qui rappelle que la Turquie a une longue histoire de conflits entre chef de l'État et Premier ministre depuis la présidence de Turgut Ozal en 1989.

Une déstabilisation de l'AKP, parti qui règne sans partage depuis 2002, pourrait avoir de larges répercussions alors que la Turquie traverse plusieurs crises d'ampleur : menace jihadiste, reprise du conflit kurde, guerre en Syrie, afflux de réfugiés. « Les développements au sein de l'AKP touchent de près à l'avenir du pays », souligne dans les colonnes du quotidien Hürriyet Abdulkadir Selvi, fin connaisseur de l'AKP. Les responsables turcs ont jusqu'ici démenti toute tension entre MM. Erdogan et Davutoglu. Le porte-parole de l'AKP, Omer Celik, a nié toute « crise », affirmant que la décision du MKYK n'était qu'une mesure « technique » à laquelle le chef du gouvernement avait donné son accord.

Depuis son élection à la tête de l'État en août 2014, M. Erdogan ne cache pas son ambition de modifier la Constitution pour instaurer un régime présidentiel, un projet publiquement soutenu par M. Davutoglu, qui ne semble toutefois pas pressé de le mettre en œuvre. Réagissant mardi pour la première fois aux allégations de tensions entre les deux hommes, M. Davutoglu a dit : « Peu importe la discorde que certains essaient de semer, peu importe ce que certains écrivent, je ne crains qu'Allah. » Le président devait recevoir hier son chef de gouvernement, un rendez-vous hebdomadaire qui d'habitude a lieu le jeudi. « Cette rencontre sera critique, écrivait hier M. Selvi dans Hürriyet. Ou bien les difficultés qui ouvrent la voie à des problèmes entre le président et le Premier ministre seront éradiquées et une relation basée sur la confiance sera établie, ou bien le nécessaire sera fait. » Proche de M. Erdogan, le chef du Parlement Ismail Kahraman a récemment souligné qu'« une voiture qui a deux chauffeurs ne peut avancer sans faire d'accident. Elle fera immanquablement un accident ».

 

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