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Nos Lecteurs ont la Parole - Alexandre NAJJAR

La réforme de l’orthographe en question : réformer ou déformer la langue française ?

Le tollé provoqué en France par l'adoption de la réforme de l'orthographe est-il justifié? Faut-il saluer cette «révolution» qui concerne aussi le Liban où l'usage du français est courant et où plus de 65% de nos écoles ont le français comme deuxième langue ?
Tout a commencé avec l'annonce de la parution prochaine de manuels scolaires adoptant la réforme de l'orthographe décidée en... 1990 par le Conseil supérieur de la langue française à la demande du Premier ministre de l'époque, Michel Rocard. Publié au Journal officiel du 6 décembre 1990 et dans le Bulletin officiel de l'Éducation nationale en 2008, le rapport initiant la réforme n'avait pourtant pas suscité l'enthousiasme et était resté lettre morte. En décidant, en novembre 2015, l'application de ces « rectifications orthographiques » pour les proposer aux enseignants et aux écoliers à la rentrée, le Conseil supérieur des programmes et des éditeurs de manuels scolaires ont provoqué une violente polémique, attisée par les clivages politiques, les uns reprochant à la ministre française de l'Éducation de soutenir cette révolution « subversive », les autres prenant la défense de Najat Vallaud-Belkacem, au motif que cette réforme ancienne, approuvée à l'époque par les plus hautes instances culturelles, devait s'appliquer tôt ou tard. Parmi les réactions les plus remarquées, celles de François Bayrou, qui a déclaré qu'« il devra se lever tôt, le ministre qui voudra m'obliger à écrire » il paraît « sans accent », celle de l'académicien Jean d'Ormesson qui a considéré cette décision comme « un nouvel enfumage », ou celle de Franz-Olivier Giesbert qui, dans son éditorial du Point, a dénoncé la « déculturation galopante »... Au Liban, des lecteurs se sont insurgés, dans ces colonnes, contre «les grammairiens qui veulent nous voler notre français, le vrai, le pur » et contre « ceux qui ont préféré casser le thermomètre plutôt que de soigner les difficultés en orthographe que connaissent les élèves d'aujourd'hui ». Même les Anglais ont réagi à cette mesure, comme en témoigne l'article de Keith Huston paru dans le New York Times sous le titre : Hats off the circumflex !

Mesure impopulaire
Un sondage récent atteste que 82 % des Français (mêmes faibles en orthographe) sont hostiles aux « rectifications » de 1990, que 79 % d'entre eux n'ont pas l'intention de les appliquer et que 85 % d'entre eux redoutent une confusion dans l'esprit des élèves. « Les gens n'ont pas envie que les mots changent d'orthographe, parce que cette orthographe, c'est aussi ce qui les rassemble », a commenté Hélène Carrère d'Encausse, secrétaire perpétuel de l'Académie française, prenant ainsi le contrepied de son prédécesseur, Maurice Druon, qui avait béni cette initiative.
Cette réticence est compréhensible : à la lecture des « rectifications » contenues dans le rapport, qui concernent plus de 2 400 mots (soit environ 4 % du lexique de la langue française) qui posséderont désormais deux orthographes, il nous apparaît qu'elles ne sont pas conformes à l'ambition affichée et que, loin de promouvoir le français, elles l'appauvrissent.

Langue rebelle
La langue française est une langue belle, séduisante, mais aussi capricieuse, ce trait de caractère renforçant son attrait. Elle a des lubies et des excentricités qui lui confèrent un charme supplémentaire. Elle a ses habitudes et ses rites, dont on peut s'agacer, mais qu'on se doit de respecter, parce que toute langue est fille de son histoire et dépositaire d'un patrimoine, parce que les langues perdent leur authenticité quand on les dénature. Elle a même un côté ludique, que l'on retrouve dans les anagrammes, les calembours et les néologismes. Sans cette fantaisie, sans cet héritage, sans les trouvailles qu'il recèle, sans ses pièges, le français serait trop lisse et trop terne. Sans ses attributs, il perdrait sa spécificité, son identité même, et cette saveur que Salah Stétié appelle très justement « le fruité de la langue française ». Or cette réforme vient ôter ce fruité à la langue de Molière en lui substituant une saveur artificielle ; elle vient la cadastrer, la rationaliser, alors que cette langue est libre par essence et rebelle de nature. Elle est, enfin, le signe éclatant de ce laisser-aller et du nivellement par le bas qui risquent de transformer notre jeunesse en une génération inculte et robotisée. Déjà malmenée par le langage SMS, l'écriture phonétique et les émoticônes qui, en remplaçant les mots, nous ramènent à l'ère des hiéroglyphes, la langue française n'avait sans doute pas besoin de ce nouveau coup de poignard dans le dos.

Le français n'est pas figé
Certes, toute langue doit évoluer et l'admission chaque année par les dictionnaires de mots nouveaux, empruntés à l'anglais, à l'arabe ou à d'autres langues, est la preuve que le français n'est pas figé. En outre, l'usage conduit naturellement à l'introduction de nouveaux vocables, notamment dans le domaine informatique (cliquer, formater, etc), ou à une mutation de leur signification première (comme franchise, qui signifiait autrefois liberté). À l'inverse, certains mots désuets (abélir, alouvi, etc.) croupissent dans les oubliettes en attendant un improbable retour en grâce. Aussi, le fait d'introduire des ajustements à la langue française pour dissiper certaines incongruités, notamment au niveau du pluriel des noms composés, n'est pas crime de lèse-majesté. Ce qui, en revanche, est criminel, c'est de prétendre réformer une langue en la déformant.

Haro sur l'accent circonflexe
Commençons par l'accent circonflexe, « ce joyau, ce drôle de petit chapeau chinois, ce toit de pagode, cette hirondelle qui apprend aux mots à voler », selon l'heureuse formule du journaliste Gabriel Macé. La nouvelle réforme le supprime quand il coiffe deux voyelles: le i et le u, tout en admettant certaines exceptions (quand il marque une terminaison verbale, par exemple) pour éviter les confusions. Cette suppression est regrettable, car elle méconnaît la triple utilité de l'accent circonflexe (à part sa fonction grammaticale) : la première, historique, puisqu'il se substitue à l'ancien s (teste devenant tête, et isle, île ) et qu'il remplace des voyelles amuïes (crûment au lieu de cruement); la deuxième, phonétique, puisque l'accent circonflexe donne souvent des indications sur la prononciation et invite à allonger un son (chêne, frêle, suprême...) ; la troisième utilité étant qu'il sert à distinguer des homophones (jeune et jeûne etc.). Du reste, en admettant des exceptions à la suppression de l'accent circonflexe (mûr, sûr...), le réformateur n'a rien simplifié, puisque les écoliers devront toujours s'efforcer d'éviter ces pièges, rendus encore plus « vicieux » par le fait que d'autres mots (comme voute, buche...) n'ont pas conservé leur chapeau sur les voyelles i et u !

Incohérences en série
Quant à la modification de la graphie de certains mots tels oignon devenu ognon, eczéma rebaptisé exéma (au mépris de son étymologie), relais qui s'écrira relai comme au... XIIIe siècle (régression moderne !) ou nénuphar, transformé en nénufar, ce qui correspond à son orthographe du... XVIIIe siècle (on n'arrête pas le progrès !), alors que les mots phare et éléphant demeurent inchangés, elle est absurde car ces termes, devenus usuels, ne choquent que ceux qui, au nom de la facilité, veulent uniformiser la langue française qui risque ainsi de perdre ses couleurs pour ressembler au globish, cet anglais de communication incolore et inodore qui ne dépasse pas les mille mots. Le réformateur a également jugé bon de supprimer le trait d'union dans la plupart des noms composés – et, paradoxalement, de l'ajouter entre les numéraux composés (comme cent-deux) – et a procédé à ce qu'il appelle une « soudure » ou une « agglutination », ce qui nous donnera : d'arrachepied, piquenique (voire picnic !), statuquo, boutentrain, chauvesouris, ou encore le détestable hautparleur, qui soude deux consonnes, t et p, qui ne se suivent pratiquement jamais dans cet ordre...
Cette démarche « germanise » en quelque sorte le français en procédant à une agglomération de substantifs et en multipliant les composés unifiés selon le modèle allemand où l'écriture en un seul mot des komposita (noms composés) est la règle générale, ce qui n'est pas dans la tradition de la langue française, fidèle au composé lexical à trait d'union ; elle alourdit les mots et les rend moins lisibles, surtout pour les enfants, au lieu de les alléger, tout en méconnaissant qu'il s'agit au départ de la cohabitation souvent expressive de deux termes constituants et non d'un seul. Du reste, plusieurs autres mots (comme « gréco-romain ») ne figurent pas dans la liste des graphies soudées et n'obéissent pas à la nouvelle règle ! Enfin, concernant le pluriel des noms composés, n'est-il pas insensé que le mot « sèche-cheveux », jusqu'ici invariable, soit amputé de son x au singulier (sèche-cheveu), comme si l'on ne séchait qu'un seul cheveu (!), ou que pare-soleil s'écrive dorénavant avec s au pluriel, comme si cet astre pouvait se multiplier ?
Parmi les rectifications préconisées, on observe également l'ajout d'un accent à un grand nombre de mots d'origine latine ou étrangère (révolver, diésel, vadémécum, allégro, péséta...), ce qui confirme l'incohérence d'une réforme qui, d'une part, supprime un accent (circonflexe) pour en ajouter un autre, complètement inutile, là où on ne l'attendait pas ! Quant au tréma, le réformateur a décidé ex cathedra de le dénaturer en le plaçant dorénavant sur la lettre u (comme dans ambigüité) alors que le tréma, par définition, indique que la voyelle qui le précède (et non celle qu'il coiffe) doit être prononcée séparément !
Pour toutes ces raisons, la réforme de l'orthographe nous semble maladroite. À trop vouloir retoucher un tableau, on finit par l'abîmer ! Reste à savoir si les enseignants de français au Liban l'adopteront en totalité ou en partie, ou s'ils entreront en résistance. Le vrai problème est sans doute ailleurs : la désaffection de la jeunesse libanaise pour le livre – la lecture étant encore la meilleure garantie d'une bonne orthographe !

Le tollé provoqué en France par l'adoption de la réforme de l'orthographe est-il justifié? Faut-il saluer cette «révolution» qui concerne aussi le Liban où l'usage du français est courant et où plus de 65% de nos écoles ont le français comme deuxième langue ?Tout a commencé avec l'annonce de la parution prochaine de manuels scolaires adoptant la réforme de l'orthographe décidée...

commentaires (1)

Merci Mr.Najjar pour ces paroles pleines de bon sens. Serait-ce la qualité qui manque le plus aux princes qui nous gouvernent ?

Yves Prevost

15 h 37, le 14 mars 2016

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Commentaires (1)

  • Merci Mr.Najjar pour ces paroles pleines de bon sens. Serait-ce la qualité qui manque le plus aux princes qui nous gouvernent ?

    Yves Prevost

    15 h 37, le 14 mars 2016

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