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Prose du Berlin-Bagdad

« En ce temps-là j'étais en mon adolescence. J'avais à peine seize ans...* ». En ce-temps-là, il y avait surtout ce sentiment prégnant, permanent, angoissant, d'être pris au piège. Quartiers assiégés, bombardements constants, aéroport condamné, frontière sud interdite, frontières nord et est, pas mieux. Il ne restait que la mer. Et vous, vous souvenez-vous de votre enfance ? Dans la mienne, certains soirs, il me semblait entendre au loin (« D'autres vont en sourdine, sont des berceuses * »), le sifflement d'un train qui s'en allait.

Il faut avoir vécu ces années où, cloisonnés dans une géographie de plus en plus congrue, avec au mieux quelques dizaines de kilomètres pour tout horizon, nous n'avions d'évasion que la musique et les livres. Une génération de hamsters enfermés dans une antichambre à l'échelle d'un petit pays dangereux, attendant la fin et l'espérant heureuse. Sinon, comment comprendre notre fascination des trains, et la douloureuse nostalgie qu'éveille en nous la vue de ces gares hantées, de ces rails résiduels rongés de rouille que dénonce parfois une écorchure de l'asphalte ?

Le chemin de fer, de sa construction à sa mise en service, de la fin du XIXe jusqu'au milieu du XXe siècle, a rythmé la vie des habitants sur le parcours du BBB : Berlin-Bagdad et entre les deux... Byzance qui n'était plus Byzance ? mais conservait ses derniers feux dans ce nom exaltant. Plus tard, la branche DHP (Damas, Hama et Prolongements) raccorda Beyrouth à l'Europe et à l'ensemble de la région. Si ce réseau fut vital pour les personnes et les marchandises, ouvrant les peuples les uns aux autres et contribuant à leur rapprochement et à leur prospérité, il fut cependant fatal aux Arméniens, déportés par les Ottomans dans le désert syrien par les voies qu'ils avaient eux-mêmes contribué à tracer.

Comment ne pas songer, pourtant, à cette époque brève et bénie où le tranquille tortillard, franchissant bravement les sommets de l'Anti-Liban avec ses locomotives à crémaillères, allait par des paysages féeriques de Beyrouth à Haïfa, de Tripoli à Belgrade, de Bhamdoun à Damas. Les anciens se souviennent encore de ces échappées épiques qui les conduisaient pour quelques sous vers des contrées où les femmes étaient libres et belles. Ils allaient vers elles le cœur battant, chargés de parfums, de bas de soie et d'espérances. De gare en gare, ils pouvaient arpenter la terre entière.

Le train n'est plus possible. Autour de nous, le monde s'est refermé livrant les uns aux guerres, les autres à la haine ordinaire et les mieux nantis à des rêves étroits. Certes, nous prenons des avions, mais le ciel n'est pas un lien pour les gens de la terre.

* Blaise Cendrars, La prose du Transsybérien et de la petite Jehanne de France.

« En ce temps-là j'étais en mon adolescence. J'avais à peine seize ans...* ». En ce-temps-là, il y avait surtout ce sentiment prégnant, permanent, angoissant, d'être pris au piège. Quartiers assiégés, bombardements constants, aéroport condamné, frontière sud interdite, frontières nord et est, pas mieux. Il ne restait que la mer. Et vous, vous souvenez-vous de votre enfance ? Dans...

commentaires (3)

Oui, quelle nostalgie! Le sifflement d'un train au lieu des klaxons des voitures, en plus ça donne envie de voyager loin en admirant la beauté et la richesse de mère nature! Hélas, nous sommes condamnés à partir en avion... Que de bons et de mauvais souvenirs vous nous rappelez Mme Fifi, avec votre style intéressant et toujours si attachant. Merci!

Zaarour Beatriz

21 h 09, le 11 février 2016

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Commentaires (3)

  • Oui, quelle nostalgie! Le sifflement d'un train au lieu des klaxons des voitures, en plus ça donne envie de voyager loin en admirant la beauté et la richesse de mère nature! Hélas, nous sommes condamnés à partir en avion... Que de bons et de mauvais souvenirs vous nous rappelez Mme Fifi, avec votre style intéressant et toujours si attachant. Merci!

    Zaarour Beatriz

    21 h 09, le 11 février 2016

  • Merci pour cet article memoire de notre guerre qu'on ne peut oublier....

    Soeur Yvette

    09 h 03, le 11 février 2016

  • Si, si, les avions ça va encore. Wâlâoû yâ Séttt Fîfî ! On pleurnichait pour avoir cet aéroport ré-ouvert .... heureusement grâce à Rafîk HARIRI ! Mais, ça peut se comprendre cette réaction à présent, avec des "sangsues" qui le vampirisent et Per(s)cées pareilles !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    04 h 48, le 11 février 2016

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