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Liban - Musée Nicolas Sursock

Beyrouth : retour à l’instant magique...

« Beyrouth est incomparable (...) il me semble que l'on y peut vivre heureux rien qu'à regarder les montagnes et la mer », disait le photographe, écrivain et académicien français Maxime Ducamp
(1822-1894). C'était avant la délirious Beyrouth, avant la junkspace et l'affolement urbain de la deuxième moitié du XXe siècle. C'était au temps où la ville arabo-ottomane envoûtait les orientalistes.

Panorama de Zeitouné et de Minet el-Hosn (Anonyme).

Elle a tiré sa révérence en lançant une dernière salve festive à travers un panorama géo-historique sur Beyrouth. Sylvia Agémian, gardienne du temple pendant 45 ans, initiatrice et commissaire de l'exposition « Regards sur Beyrouth, 1800-1960 », a réussi un accrochage exceptionnel, regroupant, sur les cimaises du Musée Nicolas Sursock, quelque 300 magnifiques huiles, aquarelles, gravures, dessins et photographies appartenant à une pléiade de collectionneurs libanais, ainsi que des pièces empruntées à des musées et institutions européens et américains. Les œuvres, réalisées au XIXe siècle et au cours de la première moitié du XXe par des peintres voyageurs venus d'Occident et des artistes libanais, formés à des écoles différentes, proposent une promenade dans le passé où se mêlent l'art et l'histoire.

La profusion et la richesse du matériel rassemblé font l'objet d'un luxueux catalogue de 387 pages conçu par Saad Kiwan, où chaque image est annotée et expliquée par un comité scientifique formé de Sylvia Agémian, de Gaby Daher, conservateur de l'étonnante collection Philippe Jabre, des historiens May Davie et Hassan Hallak, du géographe Michael F. Davie, de l'écrivain-historien Gérard D. Khoury et de l'ambassadeur Samir Moubarak, dont la collection « pensée et planifiée autour de Beyrouth depuis près de 30 ans » a constitué « un apport massif » pour réaliser le projet.

Contrairement aux peintres « orientalistes » en quête d'exotisme, dont les œuvres ont véhiculé un imaginaire construit sur les féeries et les mirages de l'Orient, nos voyageurs n'ont pas « rêvé » Beyrouth. Très peu ont cédé au pittoresque en ajoutant un palmier ou un chameau ! Ils se sont attachés à rendre sans fard son cadre naturel et urbain. Cueillant l'instant magique, celui où la lumière de la Méditerranée sublime la scène et interrompt le temps, Antoine Monfort, Pierre Lehoux, William Henry Bartlett, Camille Rogier, Leonardo de Mango, Jean-Adolphe Beauce, Émile Lecomte, Horace Vernet, Henri de Chacaton, Hubert Sattler, Auguste-Gabriel Toudouze et d'autres encore ont livré une vision réaliste de Beyrouth et de son littoral, des souks avec ses ruelles étroites et bruyantes, des bâtiments, des lieux de culte et de la campagne qui entourait la ville.

(Lire aussi : La Maison Tarazi ? Une histoire si riche qu'elle pourrait servir de scénario à un film)

 

Atmosphère et détails
« Les photos appuient et corroborent souvent les toiles, les dessins, les gravures qu'elles accompagnent », souligne Sylvia Agémian. De même, placées côte à côte deux peintures représentant le même site, mais séparées par des décennies, « permettent des comparaisons instructives qui mettent en lumière le passage du temps qui a modifié les lieux », ajoute-t-elle. Aussi, dans leur ensemble, ces œuvres sont considérées comme une documentation exacte sur la physionomie de la ville et ses transformations à partir des années 1850, « conséquence de l'émergence de la ville en capitale économique et administrative ». Elles nous instruisent sur l'aspect des monuments urbains emblématiques et sur l'esprit des lieux où ils sont implantés, comme le sérail et sa mosquée, la citadelle, l'église de l'Annonciation des grecs-orthodoxes, la fontaine de Bab ad-Dirké, les khans du quartier du port, pour ne citer que quelques exemples.

« On capte encore dans ces œuvres artistiques l'atmosphère et quantité de menus détails sur les espaces résidentiels (...), signale May Davie dans le chapitre intitulé "Les peintres et l'habitat à Beyrouth entre 1800 et 1950", publié dans le catalogue. En effet, dès 1850, les bâtisses bourgeoises installées extra-muros, dans la campagne jusque-là très peu habitée, captivent les artistes voyageurs. Luit Lloyd, à titre d'exemple, réalise une superbe peinture des maisons à arcades de Hanna al-Medawar et de la demeure d'Assaad bey Malhamé. Selon Gaby Daher, cette dernière a été occupée par le consulat d'Angleterre, avant de devenir en 1908 l'hôtel d'Angleterre, puis d'être cédée à l'Amirauté française. Elle est aujourd'hui le siège du parti Kataëb. Quant à Jules Coignet, Max Schmidt et Osmond Romieux, ils ont saisi et recrée un type d'habitation beaucoup plus modeste, des demeures à terrasses hautes et massives, apparemment élevées par ajouts successifs au gré des besoins de la maisonnée. »


(Lire aussi : Le palais Chéhab, à Hadath, premier de la série des Chroniques du Liban)

 

Parcours
L'histoire est aussi au rendez-vous : Jean-Adolphe Beaucé et Émile Lecomte consignent sur leurs toiles les événements de 1860. Louis Lottier peint la même année le débarquement de la flotte française dans la rade de Beyrouth. Avant lui, Henry H. Hawkins avait livré en 1840 une aquarelle relatant l'occupation du fortin de la mer par les troupes alliées, et Jules Coignet avec sa mine de plomb révélait l'écroulement de Bourj el-Mina, ébranlé par le bombardement du château.

L'exposition est divisée en plusieurs volets. Tout d'abord, les panoramas qui offrent des vues magnifiques de Beyrouth et de ses hauteurs, et d'où on voyait le littoral de Jal el-Dib à Raouché.
Ensuite, le port de Beyrouth avec ses quais et ses deux édifices militaires : le fort maritime relié au littoral par un pont à quatre arches et le château au donjon, entouré d'ouvrages défensifs dont certains portent un kiosque. C'était avant les aménagements successifs et les grands travaux entrepris, de 1810 à 1940, pour son agrandissement. Les peintures, dessins et photographies rassemblés côte à côte permettent, par comparaison, de mesurer la dégradation progressive de ces ruines et les modifications apportées à l'espace.

Arrêt aussi dans la ville intra-muros avec ses portes, ses remparts, ses souks, ses fontaines, ses khans et ses hammams, ainsi que les nouveaux quartiers qui ont poussé dans la périphérie.
Place également au littoral, de la Quarantaine à Raouché en passant par Medawar, Zeitouné, Minet el-Hosn et Ain el-Mreissé. Enfin, les environs proches, qui donnent à voir les cimetières et la campagne, le bois des pins et les khans d'étape qui jadis étaient installés de part et d'autre de la forêt.
« À la valeur iconographique des images qui défilent s'ajoute la valeur plastique des œuvres. Elles ont été réalisées pour la plupart par des photographes de renom, par des officiers de marine, dont les dessins d'une grande précision topographique retiennent aussi par leurs qualités artistiques, par des peintres en voyage de la mouvance orientaliste, peintres célèbres ou moins connus qui ont laissé des dessins et des peintures d'une indéniable qualité, par des artistes libanais ou non libanais établis au Liban, représentés par quelques-unes de leurs plus belles créations », souligne Sylvia Agémian.

Un rendez-vous artistique qu'il serait zinzin de louper. Jusqu'au 8 février.


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Les collections libanaises

Fouad Debbas, Nawaf Salam, Berthe Chaghoury, Philippe Jabr, Samir Moubarak, Georges et Liza Zakhem, Camille et Leila Ziade, Nagi et Hoda Skaff, Gerard D. Khoury, Ramy Nemr, Samir Lahoud, Antoine et Janine Maamari, Gaby Gaher, Saleh Barakat ( Ibrahim Serbey, page 170), Eddy et Mona Doumit (Georges Cyr), collection Chayto, Marc et Hala Chochrane, Dr Farid Karam, Touma et Leila Arida, Isabelle Doumit Skaff (page 248), Émile Hannouche, Georges Corm, Roger et Alice Edde, Ziad Dalloul, Dr Loutfalla Melki, Dr Nadim G. Haddad, Georges Fernaine, Fondation Ghassan Tuéni, Dr Ali Raad, Jihad Abillama, Ibrahim et Marie-Rose Najjar (les deux Georges Cyr), Hayat Salam Liebich, Ramzi et Afaf Saidi (Omar Onsi), Moukhtar Bohsali, Sami et Medea Toubia.
Les peintres libanais exposés : Toufic al-Baba, Saadi Sinevi, Edmond, Hussein Madi, Khalil Zgaib, Amine el-Bacha, Moustafa Farroukh, Georges Cyr, Olga Limansky, Omar Onsi et Boris Novicov.
Des œuvres ont été également empruntées au musée de Salzbourg, au Musée d'Orsay, musée de l'Albertina (département des arts graphiques), BMVRde Marseille (division Patrimoine Fonds rares et précieux), George Eastman House New York, musée du Louvre (département des arts graphiques), Victoria &Albert Museum, le Metropolitan Museum of Art, The Whitney Collection et le musée d'Art et d'Histoire, Narbonne.

 

Pour mémoire
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Elle a tiré sa révérence en lançant une dernière salve festive à travers un panorama géo-historique sur Beyrouth. Sylvia Agémian, gardienne du temple pendant 45 ans, initiatrice et commissaire de l'exposition « Regards sur Beyrouth, 1800-1960 », a réussi un accrochage exceptionnel, regroupant, sur les cimaises du Musée Nicolas Sursock, quelque 300 magnifiques huiles, aquarelles,...

commentaires (2)

Bravo Sylvia, tu as toujours adoré ce Beyrouth des temps anciens, de notre jeunesse passée, nous qui sommes à l'étranger sommes très touchés par cette exposition que nous ne pourrons malheureusement pas venir voir. Quelle belle initiative et quel fameux travail entouré d'une formidable équipe et sympathisants. Mirella A.

MIRAPRA

03 h 00, le 03 février 2016

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Commentaires (2)

  • Bravo Sylvia, tu as toujours adoré ce Beyrouth des temps anciens, de notre jeunesse passée, nous qui sommes à l'étranger sommes très touchés par cette exposition que nous ne pourrons malheureusement pas venir voir. Quelle belle initiative et quel fameux travail entouré d'une formidable équipe et sympathisants. Mirella A.

    MIRAPRA

    03 h 00, le 03 février 2016

  • Excellente initiative Mme Makarem...Hélas ,le béton à bien abimé l'âme Beyrouthine....

    M.V.

    09 h 16, le 31 janvier 2016

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