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Moyen Orient et Monde - Réfugiés

Quand les Européens veulent refaire l’éducation sexuelle des migrants...

Après les agressions de Cologne, le débat sur l'apprentissage de certaines mœurs locales par les réfugiés fait rage.

Au nord de la Norvège, à Kirkenes, un centre d’accueil pour migrants. Photo AFP

Dans ses Réflexions sur les mœurs et le caractère des indigènes tunisiens, publiées en 1902, Georges Saint-Paul, médecin militaire et chercheur français, décrivait « l'éducation » et « le tact inné beaucoup plus répandus », chez eux, « que la plupart des Européens ne le croient ».

L'Europe ne sait plus sur quel pied danser. Après une vague de solidarité et moult élans décisifs en faveur du drame des réfugiés, certains pays du Vieux Continent s'étranglent à nouveau dans des relents racistes.
La semaine dernière, le secrétaire d'État à l'Asile et à la Migration belge, Théo Francken, qui incarne la ligne dure du gouvernement, a annoncé que des cours sur la manière de se comporter avec les femmes et de les respecter seront mis en place. « Nous allons copier le modèle norvégien et introduire ces cours dans les prochaines semaines dans tous nos centres d'accueil », a expliqué le membre du parti nationaliste flamand, soulignant que « cela se fait déjà çà et là ».

Depuis cette déclaration, la majorité de la presse européenne s'est empressée de présenter le modèle norvégien comme pionnier en la matière, faisant écho à un article du New York Times du 19 décembre 2015, Norway Offers Migrants a Lesson in How to Treat Women, sans préciser que ce programme était désormais arrêté depuis plusieurs mois. Au lendemain de l'annonce de Théo Francken, la secrétaire d'État bruxelloise à l'Égalité des chances, Bianca Debaest, en rajoutait une couche dans une tribune, publiée dans La Libre Belgique, en déclarant que « certains jeunes d'origine magrébine perçoivent les femmes comme du gibier en liberté, surtout lorsque ces femmes sont plus légèrement vêtues ».

(Lire aussi : « Maintenant, certains Allemands pensent que tous les étrangers sont horribles »)

Mais apprendre à un réfugié syrien ou afghan les mœurs sexuelles des sociétés européennes est-il pour autant une sorte de racisme déguisé ? Perçus comme des hordes de barbares ou d'indigènes en proie à des questionnements sur leur religion ou leur sexualité, seraient-ils alors incapables de distinguer le bien du mal ? À croire que de fouler une terre autre que la leur, ferait inévitablement de ces hommes de dangereux prédateurs sexuels. Un choc des cultures est alors inévitable pour ces politiciens populistes qui tendent à stigmatiser un peu plus les nouveaux arrivants.

Le Danemark, dont la campagne anti-immigration publiée dans les journaux libanais a provoqué de vives réactions, se penche en ce moment même sur des cours du même type que son voisin nordique, qui seraient dispensés de manière systématique aux côtés des cours de danois destinés aux demandeurs d'asile.

Groupe à risque

Pourtant, le projet de base lancé par la Norvège, souvent à l'avant-garde sur les questions sociales, ne fleure pas vraiment la connotation raciste et un peu péremptoire qu'il peut avoir, après avoir été repris par certains pays européens.

(Lire aussi : L'accueil des réfugiés en 2016 coûtera 17 milliards d'euros à l'Allemagne)

En 2012, l'Office norvégien de l'immigration décide de mettre en place un programme permettant de réduire les violences au sein et en dehors des centres d'hébergement, destiné aux réfugiés de sexe masculin. Le gouvernement souhaite coordonner son action avec l'ONG Alternative to Violence, déjà bien au fait des violences domestiques, qu'elle tente d'endiguer depuis 1987. « Ce projet est beaucoup plus important et il est antérieur au fait qu'il y ait eu des incidents ici et là, dans le pays », explique la directrice du projet et psychologue de l'ONG, Jannicke Stav, interrogée par L'Orient-Le Jour. Or, le New York Times a rapporté que la Norvège a mis en place ces « cours » après une « vague de viols » impliquant le plus souvent des étrangers à Stavanger, en 2009. « Les statistiques montrent qu'ils constituent un groupe à risque de violences, car ils ont été exposés à la guerre ou à la famine. Mais il ne faut pas faire l'amalgame et dire qu'un réfugié est forcément violent », précise la directrice. Les participants, tous volontaires, provenaient de pays arabes, mais aussi du Mali ou d'Érythrée, tous niveaux d'éducation confondus. « Les retours que nous avons eu de la part des 253 employés qui ont participé au programme ont tous été positifs », affirme Jannicke Stav.

Quant aux demandeurs d'asile, ils auraient trouvé extrêmement utiles ces groupes de « dialogue », bien moins rébarbatifs que des « cours didactiques ».
« Les réfugiés étaient assez réceptifs et comparaient les us et coutumes de leurs pays avec les mœurs norvégiennes », poursuit la psychologue, qui souligne qu'une petite partie du programme uniquement était dédiée à la place de la femme au sein de la société. Les médias occidentaux, à travers l'annonce de Théo Francken, ont alors réduit en « cours de mœurs sexuelles » le programme d'intégration et d'apprentissage des codes socio-culturels. La vague d'agression sexuelle lors du Nouvel An à Cologne, en Allemagne, aura fini d'attiser la braise sur le débat houleux de l'afflux massif de réfugiés.

(Lire aussi : Plus des deux tiers des réfugiés syriens au Liban vivent dans une "pauvreté extrême")

Battre son enfant ou tromper son conjoint...

Lors des séminaires, la question des violences envers les plus jeunes était abordée. La Norvège étant l'un des 23 pays européens à avoir banni le droit de battre son enfant (la France, comme le Liban, l'autorisant toujours), il était primordial d'expliquer aux demandeurs d'asile pourquoi cela est interdit dans leur pays d'accueil. La question de l'infidélité dans le couple a également été abordée : « Ce n'est pas parce que ce n'est pas inscrit dans la loi qu'il est interdit de tromper son mari ou sa femme, que les Norvégiens le tolèrent. »

Un tel projet voulant, d'une certaine manière, imposer un ordre moral, aurait pu créer une réelle controverse en Norvège. Mais à part quelques voix dissonantes, le programme a été accepté par tous.
En décembre 2014, le projet prend fin au même moment que le financement de l'État. Désormais, seuls quelques centres prêts à payer des interprètes de leurs propres poches continuent de dispenser ces cours. Car, après 40 années de gouvernance de l'opposition, les conservateurs ont pris la main lors des dernières élections législatives en 2013. L'Office norvégien de l'immigration a dû alors faire face à de sérieuses coupes budgétaires.

Le 16 décembre dernier, un ministère de l'Immigration et de l'Intégration a été créé en Norvège, avec à sa tête l'ancienne ministre de l'Agriculture Sylvi Listhaug. Un mois avant sa nomination, la ministre a déclaré vouloir en finir avec « la tyrannie de la bonté », et qu'il serait « raisonnable et chrétien » d'aider un maximum de personnes dans leur pays même que de dépenser d'importantes sommes dans des centres d'hébergement.


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L'Europe ne sait plus sur quel pied danser. Après une vague de solidarité et moult élans...

commentaires (3)

l'éducation est à la base du progrès. Soyons optimistes.

PPZZ58

21 h 56, le 18 janvier 2016

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • l'éducation est à la base du progrès. Soyons optimistes.

    PPZZ58

    21 h 56, le 18 janvier 2016

  • Il me semble ...selon les évènements de ces derniers temps ...que c'est plutôt l'inverse qui se produit ...!

    M.V.

    16 h 56, le 18 janvier 2016

  • Bon courage !

    Melki Elias

    12 h 55, le 18 janvier 2016

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