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Moyen Orient et Monde - Débat

La diplomatie française post-13 novembre : changements, contours et couleurs...

La politique et la diplomatie françaises, au Moyen-Orient en général et en Syrie en particulier, après les attentats du 13 novembre, et leur nécessaire évolution, passées au crible pour « L'Orient-Le Jour » par deux experts.

Le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius. Stephane Mahe/Reuters

Dans un entretien au quotidien Le progrès de Lyon paru samedi 5 décembre 2015, le chef de la diplomatie française Laurent Fabius a relevé que la guerre contre le groupe État islamique (EI) « ne sera totalement efficace que si l'ensemble des forces syriennes et régionales s'unissent ». Alors que sur le plan militaire et opérationnel, la position française s'est caractérisée par un « ninisme » catégorique, l'équation semble aujourd'hui profondément modifiée. Le départ de Bachar el-Assad n'est plus un préalable à la conduite d'une transition politique, et la virulence générale du ton à l'égard du président syrien laisse place à une attitude sinon plus conciliante, du moins plus pragmatique, de la diplomatie française. En effet, après les réactions émotives provoquées par l'ampleur des attentats de Paris, la riposte immédiate de la France se heurte à la réalité complexe du terrain et les limites d'une offensive aérienne.

Stéphane Valter, maître de conférence (HDR) à l'Université du Havre, auteur notamment de La construction nationale syrienne: légitimation de la nature communautaire du pouvoir par le discours historique, et Richard Labévière, expert des questions internationales et stratégiques, rédacteur en chef de prochetmoyen-orient.ch, en débattent pour L'Orient-Le Jour.

Sur le plan militaire et opérationnel, la position de la France était jusqu'à très récemment le ni ni. Quels sont les facteurs qui ont changé l'équation ?
Richard Labévière : Une séquence d'événements successifs. La montée en puissance militaire de la Russie, qui poursuit une stratégie très claire : détruire Daech, le Front al-Nosra et l'ensemble de la nébuleuse jihadiste. Au-delà du chaudron irako-syrien, plusieurs dizaines de jihadistes menacent de se redéployer, de se délocaliser, non seulement vers d'autres pays du Proche-Orient, mais aussi en direction du Caucase, avec un risque de relance d'une guerre en Tchétchénie. Moscou a également changé la donne en permettant à l'armée gouvernementale syrienne de reconquérir des positions vitales. Ensuite, la succession des attentats accentue ce changement : la menace Daech concerne désormais des cibles qui ne sont plus seulement de proximité. Paris adopte une posture de guerre semblable à celle de George Bush après les attentats du 11 septembre 2001 et engage le Charles-de-Gaulle en Méditerranée : opération de communication politique et électorale qui s'avérera inappropriée à tous les niveaux, parce qu'il faudra bien envisager des alliances avec ceux qui sont susceptibles d'intervenir militairement au sol.

Stéphane Valter : Depuis le début de la crise syrienne, le gouvernement français a eu du mal à définir une politique claire, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, la situation interne est devenue de plus en plus confuse, avec une multiplication des factions armées et l'immixtion d'acteurs externes, aux buts parfois divergents. Alors que pour intervenir, il faut identifier un partenaire fiable et des objectifs assez précis. Pour intervenir de manière active au niveau militaire, il est aussi nécessaire de pouvoir compter sur des alliés, alors que les États-Unis ont tergiversé et que les Européens n'ont pu élaborer une stratégie commune. Quant aux acteurs régionaux, ils ont tous mis de l'huile sur le feu, avec peu de coordination. D'où le chaos. Dans ces conditions, il était difficile d'envisager un engagement. De plus, la France est présente en Afrique, avec de nombreuses (et coûteuses) missions de maintien de la paix. Sans compter une situation économique nationale assez morose. Les hésitations françaises sont aussi dues au souci de protéger la stabilité du Liban et plus généralement de la région.


(Lire aussi : Syrie : quand les Européens s'engagent dans une impasse)

 

Les attentats de Paris ont donc joué un rôle décisif dans le basculement de la diplomatie française en Syrie ?
R.L. : En soi, le ni Bachar ni Daech était une position incohérente, militairement, politiquement et diplomatiquement. Sur le plan d'une logique purement formelle, elle posait un oukase politique (le départ de Bachar) avant même que la stabilité sécuritaire – passant prioritairement par la neutralisation de la nébuleuse jihadiste – ne soit rétablie... Confusion d'objectifs, de calendriers et de méthodes, donc. Paris a reproduit toutes les erreurs des opérations occidentales lancées au Moyen-Orient depuis la fin de la guerre froide. On connaît le résultat en Afghanistan, en Irak, en Libye, voire au Yémen.

S.V. : Il est clair que les derniers attentats ont accentué une tendance qui se préparait : si l'EI menace la stabilité de la région, il a aussi montré ses capacités criminelles en France (et ailleurs). C'est donc devenu l'ennemi public numéro un. Quant au régime syrien, il est toujours vu comme en grande partie responsable du désastre humanitaire, mais pourrait jouer un rôle dans la lutte contre le terrorisme. De plus, l'accord nucléaire avec les Iraniens et l'intervention russe ont largement fait pencher la balance en faveur du régime syrien, qui semble avoir retrouvé une utilité, même limitée dans le temps.

(Lire aussi : La France doit-elle impliquer l'armée syrienne dans la lutte contre l'EI ?)

 

Quelles sont les contraintes qui pèsent sur la diplomatie de la France en Syrie ?
R.L. : Dans la gestion de la crise syrienne, personne ou presque ne parle du poids de l'Otan : le président américain Barack Obama essaie d'intégrer non seulement les changements tactiques de Daech, mais aussi les évolutions en cours en Ukraine, en Europe centrale, dans l'Arctique et en Asie-Pacifique. Le logiciel de la réaction française est tout autre. Avant de rencontrer le président russe Vladimir Poutine, le président français François Hollande doit consulter M. Obama. Ce dernier lui explique qu'il ne peut pas tendre unilatéralement la main au président russe pour faire avec lui « coalition commune », parce que la France a rejoint le commandement intégré de l'Otan sous la présidence de Nicolas Sarkozy, et qu'il doit rester solidaire des choix stratégiques de l'Otan. Ainsi contraint, François Hollande n'évoquera plus la mise en place d'une coalition unique, mais parlera simplement de coordination.

S.V. : Le gouvernement pense, bien sûr, aux échéances électorales, sur fond de piètres performances économiques et, en sus, de l'insécurité qui s'installe... En contrepartie, la politique étrangère reste une ressource inépuisable (ou presque) pour tout gouvernement (donc pas uniquement français) qui cherche des cibles extérieures, des sortes de boucs émissaires pour éluder les questions de rapports de classes et de distribution de la richesse nationale. Qu'il soit de droite ou de gauche, le gouvernement français est souvent amené à adopter les mêmes options de politique étrangère. Les contraintes (économiques, stratégiques, etc.) peuvent ainsi devenir des atouts, à condition de ne pas se jeter dans le vide.

(Lire aussi : Quand l'Arabie et le Qatar deviennent des alliés encombrants pour la France...)

 

Y a-t-il un différentiel important entre les approches française et américaine de gestion des crises ?
R.L. : Paris a été victime d'un « crime de masse » qui nécessite des réponses policières, judiciaires et politiques. Le discours de guerre tombe dans le piège tenu par Daech, légitimant l'adversaire comme un acteur étatique. Ensuite, il enchaîne des réactions émotives et identitaires spontanées, non réfléchies et réduites au champ méditerranéen, tandis que le président américain gère la crise selon ses intérêts intercontinentaux, par l'intermédiaire de l'Otan, s'imposant comme l'acteur central d'une nouvelle guerre froide concernant de multiples théâtres interconnectés. Dans cette partie, Daech est une fantastique aubaine pour reconfigurer les intérêts stratégiques, économiques, politiques, sinon culturels des États-Unis et de leurs satellites européens, des pays du Golfe, mais aussi Israël, qui en profite pour assimiler la révolte palestinienne au terrorisme de l'État islamique...

S.V. : Je ne pense pas qu'il y ait de grandes différences, surtout sous l'administration du président Obama. Certains principes restent les mêmes. Par contre, la différence existe au niveau de la vision globale. Pour Washington, la Syrie possède une valeur limitée, de même que toute la zone, qui pèse moins lourd que l'Asie. Par contre, la France me semble posséder une expertise sur le Proche-Orient, qui relève d'une zone traditionnelle d'influence. La différence d'approche sera par contre beaucoup plus nette si les Républicains reviennent au pouvoir en Amérique, alors qu'un changement politique français aura certainement moins d'incidence vis-à-vis de la crise syrienne. Ceci dit, hélas, aucun pays ne souhaite faire des sacrifices en hommes pour un enjeu dont on perçoit mal les contours.


(Lire aussi : Kerry pour des troupes au sol arabes et syriennes contre l'EI)

 

Cette nouvelle position française va-t-elle favoriser une approche plus constructive dans la recherche d'une solution en Syrie ?
R.L. : La vieille idée de la diplomatie française (abandonnée par les présidents Sarkozy et Hollande) est que l'on ne pourra pas restaurer durablement une stabilité politique au Liban, en Syrie, en Irak et ailleurs si on ne s'attaque pas à l'épicentre historique et géopolitique de cet arc de crise. Mais après le déferlement de l'idéologie néoconservatrice aux États-Unis et en France, on a marginalisé la crise palestinienne pour la traiter comme une question purement sécuritaire. La Syrie est un pays qui a une histoire, une Constitution, des institutions, des administrations. Son évolution est liée aux hinterlands libanais, irakien et jordanien notamment ; autant de situations que les Occidentaux gèrent à leur profit depuis 1920, en ayant créé des États à coup de règles en fonction des réserves pétrolières.

S.V.: La position française ne me semble pas avoir changé fondamentalement, même si elle a évolué en raison des menaces nouvelles. On ne peut donc parler de nouveauté stricto sensu. Quant à savoir si elle sera positive, c'est une autre question. Et positive pour qui ? Pour les marchands d'armes ? L'engagement militaire contre l'EI, avec d'autres pays occidentaux et arabes, et en coordination avec les Russes, va affaiblir l'EI, mais ne pourra l'éradiquer tant que les causes ne seront pas traitées. Ces causes sont la marginalisation des sunnites en Irak et la violence de la répression du régime syrien, entre autres. Sans compter l'absence d'unification des rangs de l'opposition dite modérée qui sert les intérêts du régime syrien et lui donne du répit. Si amélioration signifie modification de l'équilibre des forces au profit (indirect) du régime, oui, les choses vont certainement s'améliorer. S'il s'agit des actes terroristes en France, non, au contraire.

 

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commentaires (3)

Je ne suis loin d'être un expert international et du MO, mais ces messieurs me font prendre leurs propos pour exercice de désinformation La politique française à l'étranger et en particulier ressemble fort au coq girouette en haut du clocher de l'église. Il n'est pas besoin d'un expert pour saisir ce genre de politique Enfin, la France ne pèse pas lourd dans ce conflit syrien

FAKHOURI

14 h 52, le 12 décembre 2015

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Commentaires (3)

  • Je ne suis loin d'être un expert international et du MO, mais ces messieurs me font prendre leurs propos pour exercice de désinformation La politique française à l'étranger et en particulier ressemble fort au coq girouette en haut du clocher de l'église. Il n'est pas besoin d'un expert pour saisir ce genre de politique Enfin, la France ne pèse pas lourd dans ce conflit syrien

    FAKHOURI

    14 h 52, le 12 décembre 2015

  • c'est de la désinfo socialiste pour gogos franco/français cet article...? Sous le gouvernement ,de la bien pensante dernière nomenklatura en UE....? , les marxo/socialistes français , sont de moins en moins crédibles...méfions nous , s'ils tentent de se mêler de notre devenir ...! car pour le passé , c'est validé ...le fiasco français est énorme et les déconvenues grandioses...avant , pendant le règne Mitterrand...et après...

    M.V.

    13 h 02, le 12 décembre 2015

  • j'en rie ... essayer de percevoir les crises au moyen orient en accusant l'appât du gain seul, c'est qu'on a rien compris a celui-ci merc Mr Valter pour vos deductions et synthèses logiques quand on lit c'est fluide a contrario de votre collègues qui stagne en ne sachant quoi dire pour innocenter le regime assad, en melangeant le tout avec les seuls jihadistes et en occultant le peuple syrien lui meme qui est descendu dans les rue par centaines de milliers et qui ont ete emprisonner ou assassiner ou tuer par centaines de milliers pauvre type !!

    Bery tus

    03 h 25, le 12 décembre 2015

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