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Liban - Rencontre

Jreige : J’ai un bâton avec lequel je ne peux pas frapper

Tout en s'érigeant en défenseur de la liberté d'expression, le ministre de l'Information s'insurge contre l'impuissance de l'État face aux excès de l'audiovisuel.

Ramzi Jreige entouré des étudiants de sciences politiques et de leurs professeurs.

Venus avec beaucoup de questions et quelques critiques, les étudiants en master de communication politique à l'Institut des sciences-po de l'Université Saint-Joseph sont sortis de leur rencontre avec le ministre de l'Information, Ramzi Jreige, satisfaits d'avoir entendu un point de vue responsable, réaliste et en même temps ouvert. Ils avaient bien préparé l'entretien, armés d'une étude comparative de la couverture des attentats par les chaînes de télévision françaises et libanaises dont les conclusions ne sont pas en faveur des médias locaux. Mais ils ont entendu un ministre conscient des lacunes et des ratés des médias, irrité de l'impuissance de l'État, mais déterminé à utiliser tous les moyens disponibles pour changer les choses.

Il est 16 heures au ministère de l'Information. Les locaux sont pratiquement déserts et le policier de garde se demande ce que viennent faire à cette heure-ci ces étudiants accompagnés du responsable du master, le Pr Pascal Monin. Au sixième étage du bâtiment, seul le bureau du ministre et la salle de conférences sont allumés. L'équipe restreinte autour de M. Jreige est là, prête à accueillir les arrivants. Le ministre salue un à un les étudiants et commence par expliquer qu'il y a une éthique dans le métier de journalisme qui est hélas de moins en moins respectée. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs le syndicat des rédacteurs envisagerait de créer un centre de formation des journalistes qui serait une sorte de stage pratique dans l'exercice du métier de journalisme. M. Jreige rappelle ainsi que de son temps, l'éditorial d'un quotidien pouvait renverser des gouvernements. Aujourd'hui, la priorité est donnée aux informations et aux analyses qui sont souvent le reflet de positions politiques. Mais, selon lui, le domaine de l'information évolue si vite que même les télés sont aujourd'hui dépassées par les réseaux sociaux. Or sur la Toile, chacun fait pratiquement ce qu'il veut car il n'y a pas de règlementation ni de contrôle.

Malgré cela, son ministère a organisé un congrès sur les nouveaux médias. De même, il a contribué personnellement à l'élaboration d'une nouvelle loi sur l'information qui tente d'organiser le paysage médiatique sur le Net, avec toutefois pour principe de base le respect de la liberté d'expression. Dans son projet, Ramzi Jreige ne prévoit donc pas une autorisation préalable pour l'ouverture d'un site d'information, mais une sorte de notification, portant sur le nom du site, ses propriétaires et son directeur responsable, quitte à exercer ensuite une surveillance postérieure.

Devant les étudiants, le ministre reconnaît que les chaînes de télévision locales font des excès dans la couverture des événements et privilégient la course au scoop, au détriment de l'éthique professionnelle. Théoriquement, le Conseil national de l'audiovisuel (CNA) devrait faire un rapport mensuel sur le travail des médias audiovisuels et le soumettre au ministre qui peut décider une suspension pendant trois jours d'une chaîne ayant commis une infraction du type injure aux autorités, incitation à la discorde, etc. À son tour, le ministre peut proposer au Conseil des ministres une suspension de 3 à 30 jours d'une chaîne. Si la faute est plus grave, il ne s'agira plus de sanctions administratives et il faudra recourir aux tribunaux. Dans cet exposé, le ministre rappelle qu'il avait été lui-même l'avocat de la MTV lorsque les autorités avaient décidé de la fermer, dans un cas unique de déni de justice.

(Lire aussi : Couverture des attentats : ce que les télés libanaises n'ont toujours pas appris...)

 

La couverture des attentats
Revenant sur les violations récentes des consignes de sécurité et de la dignité humaine à travers la couverture des attentats, M. Jreige rappelle qu'il a à deux reprises convoqué les responsables des chaînes locales, une fois dans la foulée de l'enlèvement des militaires et la présentation faite comme si le gouvernement était le preneur d'otages et les ravisseurs des hôtes parfaits. La seconde fois c'était pendant la couverture du mouvement de protestation civile, parce que tout en considérant que la crise des déchets est une honte pour les autorités, il estimait que la couverture de certains médias manquait totalement de recul. M. Jreige précise aux étudiants que dans le premier cas, les responsables des médias ont réagi positivement, mais dans le second, il n'a pas pu leur faire changer d'avis.

Selon lui, s'il possède un bâton, il ne peut toutefois pas l'utiliser pour frapper, car l'État est actuellement impuissant. « Si je devais m'en prendre à un média, je serais sûr de retrouver certains de mes collègues ministres solidaires avec ce média. L'État est le plus faible face aux pouvoirs politiques et confessionnels qui se partagent le paysage médiatique. Je patiente donc, sachant que les médias passent par une crise financière et ils finiront par comprendre qu'il vaut mieux mettre leurs compétences au service des valeurs déontologiques, du dialogue et de l'unité. » Ramzi Jreige se contente donc de leur rappeler régulièrement leurs responsabilités, tout en maintenant le dialogue avec eux. Il se déclare aussi prêt à toutes les suggestions, sachant qu'il a signé un protocole d'accord avec le Programme de développement des Nations unies (Pnud) pour réactualiser le pacte d'honneur signé par les médias audiovisuels. Il affirme avoir un budget réduit. C'est pourquoi il est obligé de compter sur la société civile.

En réponse à une question sur l'ouverture d'une enquête sur les médias qui ont propagé l'information selon laquelle les kamikazes de Bourj el-Brajneh seraient des Palestiniens, risquant ainsi de provoquer une discorde sanglante entre les Libanais et les Palestiniens dans ce secteur, le ministre déclare en toute franchise que cela aurait dû être fait. Mais maintenant c'est un peu tard et cela ne servirait à rien d'ouvrir les blessures.

Il confie ensuite à ses interlocuteurs que ses enfants lui demandent constamment pourquoi il ne présente pas sa démission, et il lance : « Croyez-vous que je suis heureux d'être ministre dans un gouvernement impuissant ?
Mais ce gouvernement ne peut pas démissionner, l'article 53 de la Constitution précise que le chef de l'État doit signer la démission et l'article 62 ajoute que le gouvernement doit assurer les responsabilités pendant la période de vacance, jusqu'à l'arrivée d'un nouveau président. » Ce n'est donc pas à sa convenance...
Après le ministère, compte-t-il entamer une carrière politique ? M. Jreige reprend à son compte une célèbre phrase de Charles de Gaulle : « Ce n'est pas à mon âge que je vais commencer une carrière d'homme politique ! » (De Gaulle avait parlé d'une carrière de dictateur)... Mais le message a été reçu.

 

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Venus avec beaucoup de questions et quelques critiques, les étudiants en master de communication politique à l'Institut des sciences-po de l'Université Saint-Joseph sont sortis de leur rencontre avec le ministre de l'Information, Ramzi Jreige, satisfaits d'avoir entendu un point de vue responsable, réaliste et en même temps ouvert. Ils avaient bien préparé l'entretien, armés d'une étude...

commentaires (3)

IL FALLAIT QUE VOUS VOUS PROCURIEZ LE BÂTON DE MOÏSE...

LA LIBRE EXPRESSION

09 h 48, le 27 novembre 2015

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Commentaires (3)

  • IL FALLAIT QUE VOUS VOUS PROCURIEZ LE BÂTON DE MOÏSE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 48, le 27 novembre 2015

  • Les chaînes de télévision relèvent-elles de l'Ordre de la presse ? Si oui, c'est cet Ordre qui devrait intervenir pour remédier dans la mesure du possible à un manque d'éthique flagrant et insupportable dans les transmissions de ces chaînes. Déjà à propos de l'excellent article de l'OLJ du 21, 'Couverture des attentats : ce que les télés libanaises n'ont toujours pas appris', des lecteurs ont souligné une telle nécessité d'intervention.

    Halim Abou Chacra

    06 h 24, le 27 novembre 2015

  • Ah ! C'est elle ? Qu'est-ce qu'elle a changé ! Et puis, tout à fait autre chose : Il est à noter que dans les pays civilisés, a été éliminé ce "poste" de ministre de l'information !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    05 h 32, le 27 novembre 2015

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