La « rencontre » – non-confirmée – à Paris entre le leader du courant du Futur, Saad Hariri, et le chef des Marada, Sleiman Frangié, suscite depuis hier des réactions mitigées dans les milieux politiques.
Certains confirment en effet que cette rencontre a bel et bien eu lieu, jeudi, en dépit des démentis des deux parties concernées. Mais la plupart commentent cette rencontre au conditionnel en saluant le principe du dialogue, quel qu'il soit. Tous s'abstiennent pour l'instant de confirmer l'existence d'une ébauche de compromis national qui amènerait le député de Zghorta à la présidence de la République et le leader du Futur à la présidence du Conseil des ministres. Selon certains observateurs, l'appel du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, à « un compromis global sur la présidence de la République, la présidence du Conseil et la loi électorale » et la réponse favorable de Saad Hariri seraient les premiers signes de ce compromis.
Cette lecture ne trouve pas d'échos chez les parties interrogées par L'Orient-Le Jour. Le député Ahmad Fatfat, membre du bloc parlementaire du Futur, écarte d'entrée toute logique de « troc » entre présidence de la République et présidence du Conseil, la première ayant une portée symbolique fédératrice, qui ne saurait être opposée à la seconde. Il précise en outre « ne pas être au courant de quelque rencontre que ce soit entre Saad Hariri et Sleiman Frangié à Paris ». Il révèle à L'Orient-Le Jour que le chef du bloc du Futur, Fouad Siniora, lui a lui-même confié « n'être au courant de rien » concernant le soi-disant rapprochement Futur-Marada.
Quoi qu'il en soit, Ahmad Fatfat met en doute, pour l'heure, l'admissibilité de la candidature de Frangié aux yeux du Futur. « Sleiman Frangié ne deviendra un candidat consensuel que s'il renonce à son amitié avec Bachar el-Assad, ce qui est loin d'être le cas actuellement puisqu'il continue de se déclarer comme l'ami de ce dernier », précise-t-il.
Par ailleurs, il juge peu probable que le Hezbollah ait décidé de renoncer à la candidature du chef du bloc du Changement et de la Réforme, le député Michel Aoun, en faveur de celle du député Sleiman Frangié. « En appelant à un compromis dans le respect de Taëf, le secrétaire général du Hezbollah a mis un terme aux velléités d'une assemblée constituante qui instaure la répartition par tiers, ce qui est louable. Toutefois, rien n'a changé dans le comportement du Hezbollah », constate-t-il. « En effet, lors de la séance de dialogue national au lendemain du discours de Hassan Nasrallah, le député Mohammad Raad avait affirmé que "le discours du Hezb reste inchangé". Et son collègue du même bloc, le député Nawar Sahili, avait pris soin de préciser le compromis tel que l'entend le Hezbollah, un compromis sur les moyens de préparer et d'aboutir à l'élection de Michel Aoun à la présidence », explique Ahmad Fatfat. Pour lui, cela signifie « l'absence de volonté réelle, chez le Hezbollah, d'appuyer un candidat consensuel ».
Autrement dit, le parti chiite préconiserait « l'échange d'un président du 8 Mars contre un Premier ministre du 14 Mars », ce qui est inconcevable pour les milieux du Futur interrogés.
Une source du 14 Mars va jusqu'à révéler d'ailleurs à L'OLJ que Fouad Siniora est « très peu favorable à la candidature de Sleiman Frangié », contrairement à ce qui est véhiculé dans certains médias.
Pour les milieux du Courant patriotique libre, ce qui est inconcevable n'est pas l'échange en soi entre la présidence du Conseil et la présidence de la République, mais la configuration de « deux présidents de la Chambre et du Conseil forts, face à un chef de l'État faible ».
« Le président Hariri peut-il imaginer qu'il pourrait être le chef du gouvernement libanais tant que la présidence chrétienne forte du général Michel Aoun est refusée ? » s'interroge l'ancien ministre Gaby Layoun dans un entretien à l'agence al-Markaziya.
En réponse à L'OLJ, l'ancien ministre Sélim Jreissati veille à ne pas minimiser le poids de Sleiman Frangié, dont le nom avait été proposé par Bkerké avec les noms des trois autres pôles chrétiens.
Si compromis « éventuel » il y a – « ce qui est loin d'être le cas actuellement », poursuit M. Jreissati –, c'est « l'initiative de sayyed Hassan Nasrallah qui en sera l'origine », et devra donc en être la référence. Autrement dit, le compromis n'est pas envisageable s'il est limité à la présidentielle et à l'exécutif, et amputé de son troisième point, à savoir l'adoption d'une nouvelle loi électorale. « Il n'y a pas de priorité qui prime sur l'autre. Tout accord sur une solution doit porter sur la reconstruction de l'État et la réorganisation des pouvoirs. Les trois échéances doivent être abordées de pair, la loi électorale étant le pilier de la reconstruction du pouvoir et de la relance des institutions », explique-t-il. Et de conclure sur un ton laconique : « Pensez-vous vraiment qu'il suffit d'un voyage à Paris et d'une rencontre avec Saad Hariri pour être propulsé à la présidence ? »
Un pôle du 14 Mars relègue, lui, au second plan la question de savoir si la rencontre à Paris a effectivement eu lieu et préfère commenter l'utilité de la fuite de l'information sur un soi-disant rapprochement Hariri-Frangié. « La diffusion de l'information, que personne n'est pressé de préciser, a eu un effet libérateur pour le 14 Mars : ce dernier s'est délivré d'un malaise fort provoqué dans ses rangs, notamment par le rapprochement entre les Forces libanaises et le Courant patriotique libre », souligne la source.
Les positions récentes des FL auraient « beaucoup choqué » leurs alliés du 14 Mars : leurs alliés musulmans, c'est-à-dire le Futur, à travers la surenchère sur la législation de nécessité et leur rapprochement avec le Courant patriotique libre, mais aussi leurs alliés indépendants.
Le résultat en est manifeste : le Hezbollah propose une initiative de solution afin d'atténuer les effets de son enlisement dans le bourbier syrien. En contrepartie, « le 14 Mars ne fait rien » parce qu'il ne sait que faire. « Attaquer Michel Aoun équivaut désormais à attaquer Samir Geagea », va jusqu'à affirmer cette source. La confusion provoquée par des informations sur l'ouverture du Futur à un leader chrétien nouveau a produit « l'effet d'un coup d'épée à l'intérieur du 14 Mars, révélant le fiasco qui règne au sein de ce camp ».
Les FL s'abstiennent pour l'instant de tout commentaire. Mais la perspective de la candidature de Sleiman Frangié risque fort bien de consolider leurs relations avec le CPL. Michel Aoun et Samir Geagea ne s'étaient-ils pas déjà entendus sur le terrain, en 1988, pour dresser des barrages et empêcher les députés d'assurer le quorum pour l'élection de l'ancien président Sleiman Frangié ? Drôle de déjà-vu...
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commentaires (11)
ET CE SERAIT : DE CHARYBDE EN SCYLLA... L'UN ÉTAIT SIMPLEMENT LE SUIVISTE... L'AUTRE EST L'AMI QUI RESTERAIT L'AMI... MALGRÉ LES MASSACRES... RÉPONSE À UNE QUESTION DE JOURNALISTE !
LA LIBRE EXPRESSION
09 h 33, le 23 novembre 2015