Rechercher
Rechercher

Économie - Interview express

Nicolas Chammas : « Le secteur commercial doit entrer dans l’ère financière »

L'Association des commerçants de Beyrouth tire la sonnette d'alarme sur la crise de rentabilité et de trésorerie que connaît le secteur et plaide pour une diversification de ses sources de financement. Entretien avec son président.

Vous dénoncez régulièrement une dégradation de l'activité du secteur commercial. Celui-ci ne bénéficie-t-il pas d'un surplus de demandes liées à la présence des réfugiés syriens ?
Le secteur commercial continue naturellement de subir de plein fouet la crise économique liée aux troubles politico-sécuritaires. L'indice du commerce de détail que nous mesurons avec la Fransabank a ainsi baissé de 5 % en glissement annuel au premier trimestre de 2015, pour s'établir à 52,78 points par rapport à la base 100 du dernier trimestre de 2011. L'absence des touristes arabes et la perte de pouvoir d'achat des résidents se sont traduites par un recul significatif du chiffre d'affaires et des marges commerciales de la plupart des entreprises du secteur. Ce à des degrés divers, les marchés du luxe ou de l'ameublement ayant naturellement pâti davantage de la situation que ceux des biens de première nécessité. C'est peut-être sur ce segment que la présence des réfugiés syriens a pu soutenir la consommation dans une certaine mesure, mais son impact est amoindri par le fait que les denrées fournies par les aides humanitaires sont essentiellement importées et que les Syriens renvoient une grande part de leurs revenus vers leur pays d'origine. En outre, l'on assiste de plus en plus à un cercle vicieux, où, pour réduire leurs coûts, les employeurs tendent de plus en plus à substituer cette main-d'œuvre syrienne à leurs employés libanais, aggravant ainsi ultérieurement la baisse de la demande.
Cela se traduit par de graves problèmes de trésorerie où la plupart des détaillants concèdent des remises ou vendent à crédit, y compris dans des secteurs comme l'habillement ou les produits électroniques, et ne parviennent pas à assumer leurs traites vis-à-vis de leurs grossistes, qui ne peuvent à leur tour pas régler leurs fournisseurs... Du coup, les commerçants se retrouvent dans une situation où ils sont contraints de hiérarchiser leurs règlements, souvent au détriment des fournisseurs et des employés.
Il est donc très important que la conjoncture macroéconomique s'améliore pour que le secteur commercial puisse sortir de l'ornière. En attendant, cette grave crise doit-être saisie par le secteur comme une opportunité pour se réformer.

 

(Lire aussi : Nicolas Chammas, premier non-Américain élu à la tête de l'Association des anciens de MIT)

 

C'est-à-dire ?
Compte tenu de la situation de surcapacité de l'offre par rapport à la demande, il me paraît absolument nécessaire de donner la possibilité aux acteurs qui ne peuvent plus rester sur le marché d'en sortir. Ce, dans la perspective d'une consolidation d'un secteur qui demeure très fragmenté. Il serait par exemple possible de s'inspirer de l'évolution du secteur bancaire, dans lequel de nombreuses fusions-acquisitions ont pu être réalisées sous l'égide de la Banque du Liban, qui a facilité ces opérations par le biais de prêts subventionnés.
Nous réclamons également une révision de la fiscalité régissant ces transactions. Aujourd'hui, la taxation de la revalorisation des actifs est de l'ordre de 10 % ; baisser ce taux aiguiserait l'intérêt de repreneurs, tout en encourageant l'émergence d'ensembles commerciaux plus solides bénéficiant d'une bonne assise financière. Et, à terme, les finances publiques ne seraient pas nécessairement perdantes dans la mesure où cette diminution des rentrées fiscales serait ultérieurement compensée par une hausse en valeur des recettes de la TVA ou de l'impôt sur les sociétés.

 

Vous préconisez également une certaine désintermédiation du financement des entreprises. Pourquoi ?
Dans cette perspective, il est également très important que les entreprises du secteur diversifient leurs sources de financement pour assainir leurs bilans. Les sociétés commerciales sont sous-capitalisées et la part de leur endettement ne cesse de croître. Il faut donc leur donner les moyens de gonfler leurs fonds propres en favorisant l'ouverture de leur capital, à travers l'émission de titres obligataires ou d'actions préférentielles qui leur permettent de ne pas renoncer au management.
Certes, en dépit de son statut de précurseur régional, la Bourse de Beyrouth demeure embryonnaire, ce qui prive les entreprises émergentes de sources de financement alternatives. Cependant, nous connaissons actuellement un momentum intéressant dans la mesure où de nombreuses conditions sont réunies pour qu'un décollage ait lieu : le Liban dispose désormais d'un régulateur avec l'Autorité des marchés de capitaux, il y a une réelle volonté de la Banque centrale de développer l'accès des PME aux marchés financiers, et les remises de la diaspora demeurent toujours très importantes. Le dernier véritable obstacle est d'ordre culturel puisque l'essentiel des sociétés commerciales sont familiales et doivent s'adapter aux contraintes de cette nouvelle ère financière. Le chemin sera long, mais il est temps de l'emprunter.

 

 

Lire aussi
L'inertie politique est une menace pour l'économie libanaise, avertit le FMI

Le commerce libanais n'a pas vraiment souffert du conflit syrien

EDL : la Banque mondiale dénonce une facture considérable pour l'économie

Vous dénoncez régulièrement une dégradation de l'activité du secteur commercial. Celui-ci ne bénéficie-t-il pas d'un surplus de demandes liées à la présence des réfugiés syriens ?Le secteur commercial continue naturellement de subir de plein fouet la crise économique liée aux troubles politico-sécuritaires. L'indice du commerce de détail que nous mesurons avec la Fransabank a...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut