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Liban - Analyse

Ce forcing constitutionnel que le 14 Mars n’ose pas...

Le déblocage de la présidentielle est possible de jure, pour autant que le 14 Mars et les centristes en aient la volonté politique.

Le report de la présidentielle depuis un an est anticonstitutionnel.
Néanmoins, même cette évidence nécessite d'être démontrée, à l'heure où la norme est phagocytée par la politique politicienne, et l'équilibre entre la politique et le droit, rompu.
Comment démontrer une inconstitutionnalité sur le terrain du non-droit ?


Qu'un député aouniste invoque, par exemple, pour justifier le boycottage des séances électorales, un avis favorable au quorum renforcé des deux tiers est le signe d'une reconnaissance minimale, tenace, nécessaire, de l'autorité des textes. Mais cette autorité ne pourra se reconstituer véritablement que lorsque le camp opposé, celui qui se rend aux séances électorales, défendra ouvertement l'argument contraire du quorum ordinaire. La première étape pour ressusciter la norme, c'est d'en parler. Si le 14 Mars reproche au 8 Mars de ne pas appliquer la loi, ce camp n'invoque cependant à son secours aucun argument juridique contraire. Or les députés du 14 Mars et les députés centristes se doivent de dépasser le seul argument sur « l'inconstitutionnalité de la vacance ». La volonté réelle d'élire un président doit nécessairement s'appuyer sur des arguments de droit plus précis, plus pertinents.
Un premier pas serait de déconstruire l'exigence du quorum des deux tiers pour la tenue de la séance électorale, en défendant explicitement la majorité absolue.
Ce qu'il faut retenir du débat doctrinal autour de la question du quorum, c'est que les tenants de la thèse du quorum des deux tiers donnent la priorité à la politique sur la règle de droit, tandis que c'est la thèse de la majorité absolue qui est la plus fidèle au texte constitutionnel.

 

La controverse du quorum
Les partisans du quorum des deux tiers déduisent de l'article 75 de la Constitution, qui attribue la qualité de collège électoral à la Chambre réunie pour élire le chef de l'État, une volonté du législateur d'exclure la séance électorale du champ d'application du quorum ordinaire (article 34), limité aux réunions de délibération et de vote des lois. Les tenants de cette thèse y reconnaissent une interprétation du texte « indépendante de son origine formelle », et émanant plutôt d'une vision radicale du consensualisme : selon eux, sans la réunion de toutes les composantes de la Chambre, la légitimité du président de la République élu serait contestée.
L'avis opposé, plutôt que de procéder à des déductions, constate le silence de la Constitution sur l'exigence d'un quorum renforcé pour la séance électorale. Les cas où le texte a prévu expressément un quorum spécial (comme pour le vote d'un projet de loi constitutionnel) permettent de conclure, a contrario, à l'absence d'une volonté d'imposer ce quorum renforcé pour l'élection d'un président.


Une autre polémique est liée à la formulation de l'article 49. Selon l'original en français de l'alinéa 2 de cet article, « le président de la République est élu au scrutin secret de la majorité des deux tiers des suffrages, par la Chambre des députés. Après le premier tour de scrutin, la majorité absolue suffit ». Aucune référence au quorum ne s'en dégage. Néanmoins, la traduction du texte en arabe, qui stipule une élection à « la majorité des deux tiers des suffrages de la Chambre », et non « par la Chambre », a ouvert la voie à une interprétation favorable à l'exigence du quorum.


Mais ce qui est important aujourd'hui, dans un premier temps, est moins de trancher ce débat sur le quorum, que de le mettre en relief, sans l'occulter. En effet, il est important de prouver l'absence d'une entente sur la question du quorum, afin de rejeter l'argument selon lequel le quorum des deux tiers ferait l'objet d'une coutume constitutionnelle obligatoire. Les précédents invoqués en faveur des deux tiers, notamment les présidentielles de 1976 et 1982, « ne dépassent pas le cadre d'une simple pratique politique », écrit la constitutionnaliste Diane Kheir, dans un avis rendu en 2007 au ministère de la Justice. Et cette pratique est fragilisée de surcroît par des opinions contraires exprimées dans l'histoire parlementaire, celle notamment du président de la Chambre, Sabri Hamadé, à l'occasion de l'élection du président Sleimane Frangié en 1970.

Comment avancer ?
Comment dépasser, dès lors, la décision du bureau de la Chambre, prise il y a un an, en faveur du quorum des deux tiers, au grand dam d'ailleurs de certains esprits clairvoyants au sein du 14 Mars.
Il faut savoir que la décision du bureau de la Chambre, favorable au quorum renforcé (des deux tiers), ne saurait justifier un blocage : retenir le quorum renforcé impose, au contraire, de prévoir « une procédure qui permet de vaincre l'obstruction résultant de l'inertie involontaire ou calculée d'un trop grand nombre de membres », selon les termes du père du parlementarisme français Eugène Pierre, cité par Mme Kheir. C'est pourquoi il faut retenir le quorum des deux tiers au premier tour, et se contenter de la majorité absolue, donc du quorum ordinaire, aux tours suivants, dans la mesure où le consensualisme ne justifie pas l'abus de minorité. Telle est la procédure suivie par la pratique parlementaire française sous la IIIe République, et qui est transposable au Liban sous une forme épousant la lettre de l'article 49 de notre Constitution.

 

Le paradoxe des boycotteurs
Force est de relever qu'Eugène Pierre avait prévu qu'au second tour, « le vote est valable quel que soit le nombre des votants ». C'est dire la versatilité du raisonnement qui fait prévaloir, aujourd'hui, le prestige du président, non plus sur la lettre du texte, mais sur l'urgence de combler la vacance.
Qui plus est, le droit qui était autrefois accordé au chef de l'État de dissoudre le Parlement devait servir notamment de « garantie contre l'éventualité d'un blocage de l'élection présidentielle par une minorité de députés », souligne Diane Kheir. Autrement dit, le renforcement des prérogatives présidentielles que défendent certains des boycotteurs s'allie mal avec leur blocage du scrutin.
Après le regain d'intérêt autour du débat sur le quorum, et le dépassement, par les députés, de la décision du bureau de la Chambre qui fixe pour l'instant le quorum aux deux tiers, un seuil reste à franchir pour légitimer la tenue d'une présidentielle à la majorité absolue : rompre le cercle vicieux de ce premier tour de scrutin qui dure depuis une année, et passer aux tours suivants.

 

Berry n'est pas le « maître de la Chambre »
Le 25 mai 2014, après le premier tour de scrutin effectué en présence de tous les blocs, et le retrait immédiat des députés du Hezbollah et du bloc du Changement et de la Réforme, le président de la Chambre, Nabih Berry, avait pris soin non pas de lever la séance, mais de l'ajourner. Il a ainsi prolongé indéfiniment le premier tour, en prévision d'une éventuelle contestation du quorum exigé. Il a en outre imposé que les séances électorales ne puissent se dérouler que sur convocation expresse de sa part.
Rappelons qu'il lui appartient de convoquer les députés, un mois au moins, et deux mois au plus, avant l'expiration du mandat présidentiel, à une séance électorale. Or, à défaut de convocation, le Parlement doit, selon la Constitution, se réunir de plein droit au dixième jour précédant l'expiration du mandat présidentiel (article 73).


Mais rien ne justifie, dans les textes, que le président de la Chambre impose, directement ou indirectement, un quorum pour la tenue de la séance électorale. Il ne dispose, en outre, d'aucun pouvoir par rapport à la tenue des séances électorales. Dans un avis de 2007 au ministère de la Justice, le professeur Jean Gicquel revient sur l'obligation, par le président de la République, de répondre à la demande des députés d'obtenir la convocation d'une session extraordinaire (article 33). « A fortiori, le président de la Chambre ne saurait, à l'évidence, dénier aux députés le droit d'élire un président de la République », souligne-t-il.
Et Guy Carcassonne, éminent professeur de droit constitutionnel, d'ajouter, dans un avis de 2007 concernant le chef du législatif : « Dans tous les Parlements du monde démocratique, il n'est que le président de l'Assemblée, pas son maître. »

 

Élire immédiatement un chef de l'État
D'ailleurs, en vertu du texte constitutionnel, supérieur au règlement intérieur de la Chambre, c'est le député, et non le président de la Chambre, qui est le gardien de la souveraineté du Parlement. « Le membre de la Chambre représente toute la nation » (article 27) : le caractère général de son mandat lui accorde la possibilité d'exercer ses pouvoirs de plein droit, et de bénéficier d'une autonomie dans les séances ordinaires (qui se tiennent indépendamment de la volonté du président de la Chambre). Mais son mandat lui impose, surtout, le devoir de veiller à la bonne marche des institutions.


Partant, il est légal et impératif que les députés se rendent, aujourd'hui, à la place de l'Étoile pour s'y réunir de plein droit, indépendamment du quorum requis – d'ailleurs, Gicquel et Carcassonne rappellent que le quorum ne se présume pas, mais se constate, et seulement à la demande des députés. Ces derniers peuvent donc même faire fi de tout décompte et élire immédiatement un chef de l'État. Si les autres députés, y compris le président de la Chambre, venaient à s'insurger contre cette démarche, ces derniers « se rendront coupables d'un crime contre la Constitution, auquel correspond nécessairement au moins une incrimination dans la loi pénale libanaise », selon Guy Carcassonne.

 

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Le report de la présidentielle depuis un an est anticonstitutionnel.Néanmoins, même cette évidence nécessite d'être démontrée, à l'heure où la norme est phagocytée par la politique politicienne, et l'équilibre entre la politique et le droit, rompu.Comment démontrer une inconstitutionnalité sur le terrain du non-droit ?
Qu'un député aouniste invoque, par exemple, pour justifier le...

commentaires (3)

IL FAUT AVOIR DES C.... BIEN GARNIES... POUR OSER !!!

LA LIBRE EXPRESSION

12 h 40, le 26 mai 2015

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • IL FAUT AVOIR DES C.... BIEN GARNIES... POUR OSER !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 40, le 26 mai 2015

  • NE CHERCHEZ PAS BEAUCOUP... ILS S'AGIT DE NULLITÉS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 51, le 25 mai 2015

  • Excellente analyse, mais qui se soucie encore d la Constitution? Le chef du législatif "n'est que le président de l'Assemblée, pas son maître". Bien sûr, mais allez le faire comprendre au nôtre!

    Yves Prevost

    07 h 03, le 25 mai 2015

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