Qu'ils semblent loin les « manifestations contre le mariage pour tous », les désaccords au sein de la majorité, les virages néolibéraux et les frondeurs au sein du Parti socialiste. Qu'elle semble loin l'impression d'amateurisme, l'affaire Trierweiler-Gayet, la courbe angoissante du chômage qui ne cesse de grimper inversement à celle de la cote de popularité du président français, qui chute, elle, invariablement. Ces derniers jours, François Hollande a véritablement changé de dimension.
En abordant la succession d'événements historiques avec ce ton de gravité, de hauteur, qui sied tant à la figure présidentielle dans la Ve République, en évitant de tomber dans le piège de la politique-émotion, en répondant aux gigantesques attentes populaires avec un discours de fermeté et d'unité, refusant catégoriquement les amalgames, en recevant un à un les chefs de l'opposition et en les invitant à ses côtés durant la marche républicaine, en invitant les chefs d'État étrangers à y participer également... Voir le président le plus impopulaire de l'histoire politique française marcher, presque immobile, dans les rues de Paris, comme son père spirituel François Mitterrand l'avait fait avant lui, en compagnie des dirigeants arrivés du monde entier et des millions de Français venus défendre les valeurs de la République, est un symbole extrêmement fort.
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Pour la première fois depuis sa prise de fonction en 2012, François Hollande a incarné la fonction présidentielle : un gardien de la Constitution, dans tout ce qu'elle renferme en termes de défense des droits et des libertés du citoyen, qui se place au-dessus des clivages politiques. En fait, sa seule erreur durant toute la gestion de cette crise a consisté à ne pas convier le Front national à cette marche, marginalisant ainsi une partie importante – mais à quel point ? – de la population française. Jusqu'à l'heure, le mandat de M. Hollande apparaissait complètement déséquilibré, entre son hyperprésence sur la scène internationale et son incapacité à redonner confiance aux Français et appliquer une politique de gauche. Finalement, c'est peut-être là où la politique se révèle la plus essentielle et la plus grave que l'intelligence et le comportement du président, si souvent raillé ces derniers mois, apparaissent les plus évidents. Bien accompagné qu'il est, faut-il le rappeler, par un Premier ministre dynamique et par un ministre des Affaires étrangères des plus rusés.
Un tournant
Il y aura certainement un avant et un après le 11 janvier 2015 dans la vie politique française, les plus optimistes pensant même qu'une idée de grande coalition, dans le sens du modèle allemand, n'est maintenant plus irréaliste. Mais ceux-ci sont surtout emportés par l'émotion, renforcée par l'ampleur du mouvement citoyen qui leur donne plutôt raison, et semblent oublier la nature fondamentalement plurielle de la politique. Autrement dit, aujourd'hui ou demain, la vie politique reprendra son cours et de sérieuses problématiques se dresseront à nouveau devant François Hollande.
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Avant toute chose, le gouvernement Valls devra définir les contours des nouvelles mesures de sécurité, sachant que celles-ci impliquent nécessairement, comme l'expérience américaine l'a prouvé, une contrainte en termes de liberté. Trouver le juste équilibre ne sera pas tâche facile, et soit le gouvernement sera taxé de laxisme, soit il sera accusé d'autoritarisme. Dans le premier cas, il devra subir les critiques de l'opposition et pourrait perdre une grande partie de l'électorat indécis, susceptible d'être séduit par un discours plus ferme et plus nationaliste. Dans le second cas, il devra affronter le regard sévère de la gauche libertaire, d'une partie de l'extrême-gauche et des Verts, qui ne manqueront pas de souligner la nouvelle trahison de Hollande vis-à-vis des valeurs de la gauche historique, qui pourrait amener une partie de la communauté musulmane, si tant est que l'expression ait un sens, à désapprouver le gouvernement.
Le président devra aussi faire attention à la montée en puissance de son Premier ministre, beaucoup plus en adéquation avec la droite, concernant la question de l'immigration et de la gestion de la criminalité, comme en témoigne son gain de 6 points contre 4 pour Hollande, selon le baromètre OpinionWay pour Metronews/LCI diffusé hier. Parallèlement, l'UMP ne va pas garder éternellement la posture d'unité et de réconciliation, imposée par les événements, qui profite finalement beaucoup plus au président Hollande, puisqu'elle permet de faire taire les dissensions et les contestations. Elle risque de durcir encore un peu plus son discours, pour ne pas voir une partie plus conséquente de son électorat filer vers le Front national, ce qui devrait desservir Alain Juppé et profiter à Nicolas Sarkozy. Aussi le grand gagnant d'aujourd'hui, François Hollande, pourrait être le grand perdant de demain.
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La scène politique française est actuellement en pleine recomposition autour des questions de l'identité nationale, de la place de l'islam dans la société, de la définition de la laïcité et de l'intégration de la France à l'Europe. Tous ces débats n'ont pas été évoqués ces derniers jours, fort heureusement, mais ils ne se sont pas envolés pour autant. Leur immersion sur la scène publique, puisque beaucoup de tabous ont été dynamités, risquent de provoquer de nouvelles alliances entre par exemple une partie de la gauche laicarde et une partie de la droite républicaine. Les familles politiques sont actuellement traversées par des courants nombreux et complexes qui pourraient, à terme, entraîner leur implosion. Et tout cela, sans compter que l'économie s'en mêlera, assurément, à nouveau...
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commentaires (7)
Rien du tout ! Il ne va Rien reperdre, bien au contraire ; il a tout à gagner !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
11 h 26, le 13 janvier 2015