Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Rencontre

« Poutine veut qu’on respecte la Russie »

Pour Hélène Carrère d'Encausse, le chef du Kremlin estime que la protection des chrétiens d'Orient est historiquement du devoir de la Russie.

Le président russe, Vladimir Poutine. Photo AFP

Elle est historienne. Elle siège à l'Académie française, dont elle est le secrétaire perpétuel. Spécialiste de la Russie soviétique, elle connaît Vladimir Poutine personnellement. Hélène Carrère d'Encausse est passionnée de la Russie et de son histoire, et elle sait partager cette passion et la transmettre. Son amour pour ce pays devient presque contagieux. Lors d'une rencontre à bâtons rompus il y a plusieurs semaines avec L'Orient-Le Jour, elle était revenue sur l'actualité en Ukraine et en Syrie, et sur la place de la Russie de Poutine dans le monde d'aujourd'hui. À l'aune des derniers développements survenus dans les relations entre la Russie et le pays occidentaux, les propos de Mme Carrère d'Encausse sur la politique et la personnalité du « nouveau tsar » permettent de mieux cerner l'importance des événements en cours.

Que veut donc Vladimir Poutine ? La réponse est très claire pour Hélène Carrère d'Encausse : « Poutine veut qu'on respecte la Russie. Le chef du Kremlin désire qu'on traite son pays comme on traite un grand pays, c'est-à-dire qu'on ne traite pas la Russie comme un pays de 2e catégorie à qui on peut appliquer des critères de condescendance. » Il estime, ajoute-t-elle, que la Russie est un pays qui, par sa dimension, par son histoire et par sa culture, est l'égal des États-Unis. Et, par conséquent, Moscou doit être à pied d'égalité avec Washington.
Pour Hélène Carrère d'Encausse, le président russe a certainement la nostalgie de la puissance de son pays. « L'Union soviétique était une superpuissance jusqu'à 1990. C'est la Russie qui a mis fin à cette superpuissance, qui s'est débarrassée de 20 % de son territoire, de 100 millions d'habitants, qui a liquidé le pacte de Varsovie. Forcément, les Russes ont quelques regrets de cette puissance passée. »

La spécialiste de la Russie revient ainsi sur les fameux propos de Vladimir Poutine affirmant que « la chute de l'URSS est la plus grande catastrophe du XXe siècle ».
Selon elle, « ces propos ont été mal interprétés. Poutine a voulu dire que la liquidation de l'Empire soviétique a été comme un tremblement de terre dont les répliques ne finissent pas de s'arrêter. Cela ne veut pas dire qu'il a l'intention de le reconstruire. Il sait très bien que le temps des empires est terminé ». Mais, en revanche, affirme-t-elle, c'est le temps où on a des zones d'influences, surtout quand on a les moyens. Toutefois, la Russie n'a pas beaucoup de moyens, parce que, malgré tout, elle a des problèmes démographiques, c'est un État hétérogène du point de vue des nationalités, mais c'est un grand pays tout de même qui a besoin de se moderniser, ajoute-t-elle.

 

(Eclairage : Poutine se pose en tsar du XIXe siècle, en chantre de l'anti-impérialisme)

 

La Syrie
Hélène Carrère d'Encausse estime néanmoins que la Russie n'a pas une politique de confrontation avec les Occidentaux. « Sur la Syrie, à ma connaissance, c'est Poutine qui a tiré d'embarras le président américain Barack Obama qui ne voulait pas intervenir en Syrie, en lui offrant une porte de sortie honorable, me semble-t-il, affirme-t-elle agacée. Qu'il considère que la Syrie est un pays ami ou allié de la Russie, c'est son affaire. Chacun choisit ses alliés comme il l'entend. » Selon elle, la Syrie est un pays avec qui la Russie historique n'avait pas de relations spéciales, contrairement au Liban qui a toujours intéressé la Russie historique pour des tas de raisons, dont religieuses.

Protecteur des chrétiens d'Orient
L'intérêt de la Russie pour cette partie du monde n'est pas nouveau. Il y a, selon elle, « une vieille tradition russe. La Russie était la protectrice des lieux saints, elle se considérait comme la protectrice des chrétiens d'Orient et les chrétiens des Balkans. Toute la relation avec l'Empire ottoman était fondée autour de l'idée qu'il lui incombait de protéger les chrétiens. Et Vladimir Poutine, il faut le savoir, a une passion pour l'histoire, et notamment l'histoire de son pays. Et cette fonction de protection des chrétiens, il l'affirme depuis longtemps parce qu'il a le sentiment que cette affaire le regarde, il n'y a pas de doute ».

C'est toutefois l'Union soviétique qui considérait la Syrie comme un allié très proche. « Et je dirais même plus, dans le système d'alliance mis par l'URSS, pour contrer la politique américaine au Moyen-Orient, théâtre de grande rivalité entre ces deux superpuissances, l'Union soviétique a perdu quelques alliés au passage, comme l'Égypte, mais la Syrie est restée un pays d'une fidélité inébranlable », précise Hélène Carrère d'Encausse. Et d'ajouter : « Cela explique probablement que la Russie après la dissolution de l'URSS ait conservé avec Damas des liens proches qui dépassent de beaucoup l'intérêt pour les facilités portuaires que peut offrir la Syrie. En d'autres termes, la Russie considère que des liens durables peuvent exister avec ce pays. Moscou estime en outre qu'elle doit être présente dans cette région stratégique du monde. D'abord parce que les États-Unis y sont, et ensuite parce que cette région est un théâtre de jeux des relations internationales extrêmement important. »

La spécialiste de la Russie insiste donc que, sur la Syrie, Moscou n'a aucune politique agressive, malgré l'appui sans faille, sur les plans diplomatique et militaire, à Damas. « On ne va pas parler qui fournit des armes à qui. Là, c'est un terrain miné pour tout le monde », ajoute-t-elle.

L'Ukraine
Concernant l'Ukraine, estime Hélène Carrère d'Encausse, c'est une affaire tout à fait différente : ce qui a déclenché la crise en Ukraine, c'est l'accord d'association que l'Union européenne entendait signer avec Kiev. « C'est un accord qui a été pensé d'une façon détestable de la même façon que le partenariat oriental. En d'autres termes, cet accord comportait un interdit. Il disait aux Ukrainiens : vous êtes nos amis. Vous n'avez rien avec la Russie. Il a été fait non seulement sans le moindre contact avec la Russie, mais contre la Russie », explique-t-elle.
« La réaction de Moscou a été la réponse du berger à la bergère. » On a ainsi fait signer à (l'ancien président) Ianoukovitch un accord de coopération avec la Russie.

Toute la stratégie de l'UE depuis quelques années, pour des raisons clairement liées aux conditions d'élargissement à l'est, a conduit les pays qui étaient sous la tutelle de l'Union soviétique et qui se méfie de la Russie, notamment les Polonais et les Baltes, à peser dans un sens bien précis. Selon elle, « on peut dire que toute l'histoire du partenariat oriental qui au départ n'a pas été pensé par les Européens comme un instrument antirusse, est devenu sous l'influence de ces pays à rejeter la Russie ».
Or, ajoute-t-elle, la Russie est un grand pays d'Europe et ne voit pas pourquoi les choses se passent comme ça.

En outre, le Kremlin ne peut pas considérer qu'il peut avoir des relations indifférentes avec Kiev. Outre la culpabilité de l'UE, il y a aussi les États-Unis qui jouent un rôle démesuré en Europe, et qui ont le désir d'inclure l'Ukraine dans l'Otan.
« Je veux rappeler une chose : en 1990, au moment où le chancelier Kohl avait négocié avec le dirigeant soviétique de l'époque, Michaël Gorbatchev, la réunification de l'Allemagne, il y a un engagement qui a été pris, à savoir : l'Otan ne devait jamais arriver aux portes de la Russie. Cet accord a été trahi », explique Hélène Carrère d'Encausse.

Pour rappel aussi, en 2008, « quand la Russie a profité des bêtises du président géorgien Mikheil Saakashvili pour faire une expédition de cinq jours en Ossétie du Sud, ce n'était pas pour occuper la Géorgie comme certains l'ont cru bêtement, mais pour envoyer un message clair à tout le monde, et surtout à l'Ukraine : Entrez dans l'Otan et vous verrez ce qui vous arrivera ».

 

(Commentaire : Les principes d'attraction de Poutine)

 

La faute aux Européens
Pour Hélène Carrère d'Encausse, « ce n'est pas la Russie qui a provoqué ce conflit, mais l'Union européenne, avec l'affaire de l'Otan en toile de fond. Mais le Kremlin a eu une chance à laquelle il n'y a pas pensé. Et j'insiste sur ce point : Poutine ne pensait certainement pas récupérer la Crimée, bien que ça lui ait fait plaisir ».
En effet, « ces malheureux Ukrainiens sortis de la place Maïdan et qui n'avaient aucun cerveau politique, ont commis une provocation majeure – qu'ils n'auraient dû pas faire – en interdisant la langue russe aux russophones. Ce qui a braqué la population de la Crimée qui est à plus de 60 % russophone, décidant ainsi de quitter l'Ukraine, dans laquelle ils n'y étaient, il faut le mentionner, que depuis 50 ans ».
L'académicienne estime néanmoins que « c'est un cadeau qu'on a fait à Poutine, on lui a servi la Crimée sur un plateau d'argent, et c'était extrêmement tentant ».
Selon elle, c'est embêtant de changer les frontières, parce que la Russie avait dit en 1992 que l'intangibilité des frontières héritées de l'État soviétique était un principe absolu. « Poutine est certainement embêté d'avoir agi en non-conformité avec les règles de droit qu'il s'était fixées, que la Russie s'est fixées et qu'elle accepte. Il a fait un petit détour, et je voudrais savoir dans l'histoire des relations internationales combien il y a de grands États qui en ont les moyens, qui ne font jamais de détour », demande ironiquement Hélène Carrère d'Encausse.

Cadeau
Poutine s'est trouvé dans une situation inconfortable, c'est-à-dire avoir la possibilité de récupérer la Crimée, ce qui est formidable pour la Russie (d'ailleurs l'opinion publique le montre : la popularité de Poutine a été énorme), mais en même temps, renoncer à ce principe, même momentanément.
« Si nous sommes cyniques, nous pouvons nous poser la question : qui respecte les principes du droit international ? Surtout pas les États-Unis qui les violent partout (en Yougoslavie, en Irak) », répond sèchement Hélène Carrère d'Encausse.

Ce n'est pas parce que les États-Unis agissent avec un mépris total de toutes les règles de droit, que c'est bien que les autres pays le fassent aussi. « Mais, il faut bien le reconnaître, la tentation était grande, et c'était un cadeau auquel Poutine n'a pas pu renoncer : il l'a pris. C'est fait, et l'affaire est terminée », martèle-t-elle.
Et d'ajouter : « Quand j'entends dire aujourd'hui des États qu'on ne reconnaîtra pas ça... Cela veut dire quoi exactement? Ça équivaut à chanter dans le désert où il n'y a pas de public. Il ne s'agit pas de reconnaître l'indépendance de la Crimée, elle se trouve dans les frontières russes maintenant. »

Est-ce que Poutine veut manger le reste de l'Ukraine? « Ma réponse est non, parce qu'il n'est pas fou. Toutefois, il ne faut pas que le pouvoir actuel à Kiev, par des provocations comme celles qui ont conduit à la perte de la Crimée, fasse trop de dégâts en Ukraine orientale », affirme Hélène Carrère d'Encausse.
Pour elle, il faudrait que le président ukrainien, s'il a envie de sauver l'unité de son pays, s'engage dans une négociation avec l'Ukraine orientale en lui donnant ce qui est indispensable, c'est-à-dire reconnaître sa spécificité à travers un système fédéral. S'il ne fait rien, ou s'il opte pour une décentralisation qui ne veut rien dire, s'il ne fait pas de concessions, s'il continue à envoyer des troupes pour combattre les rebelles pour maintenir une sorte d'état de guerre, cela peut quand même déraper. Il ne s'agit pas d'envahir l'Ukraine, « il faut simplement que ce pays se trouve entre l'Europe et l'Union d'Eurasie », explique Hélène Carrère d'Encausse. Il faut donc la neutralité de l'Ukraine. « Il faut que l'Ukraine reste l'Ukraine, sans la Crimée », conclut-elle.

 

Lire aussi
« Nous assistons à la mort de l'émergence russe »

Poutine est "amoureux"...

Elle est historienne. Elle siège à l'Académie française, dont elle est le secrétaire perpétuel. Spécialiste de la Russie soviétique, elle connaît Vladimir Poutine personnellement. Hélène Carrère d'Encausse est passionnée de la Russie et de son histoire, et elle sait partager cette passion et la transmettre. Son amour pour ce pays devient presque contagieux. Lors d'une rencontre à...

commentaires (4)

Ce n'est plus de l'analyse mais bien de la propagande. Où était la Russie quand les chrétiens du Liban combattaient l'armée arabe? Vous parlez de fait accompli, soit, mais de là à dire que le fait accompli implique une légitimation, il y a un saut que je refuse personnellement de franchir. Vous parlez de Real politik, et il y a là une forme d'amoralité. Résultat des courses: votre discours madame est apologétique et non analytique.

aad

15 h 12, le 22 décembre 2014

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • Ce n'est plus de l'analyse mais bien de la propagande. Où était la Russie quand les chrétiens du Liban combattaient l'armée arabe? Vous parlez de fait accompli, soit, mais de là à dire que le fait accompli implique une légitimation, il y a un saut que je refuse personnellement de franchir. Vous parlez de Real politik, et il y a là une forme d'amoralité. Résultat des courses: votre discours madame est apologétique et non analytique.

    aad

    15 h 12, le 22 décembre 2014

  • Qu'il la respecte déjà lui-même, avant de demander aux autres de la respecter....

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    11 h 39, le 22 décembre 2014

  • Soit! Tout de même, comment Poutine veut-il que l'on respecte la Russie si lui ne respecte ni la Géorgie, ni l'Ukraine?

    Yves Prevost

    07 h 11, le 22 décembre 2014

  • RESPECTER LA RUSSIE ! LA PROTECTION DES CHRÉTIENS D'ORIENT DU DEVOIR HISTORIQUE DE LA RUSSIE ! DES MOTS EN L'AIR... L'ATTITUDE NÉGATIVE RUSSE EN CE QUI CONCERNE LA SYRIE DÉBOUCHA SUR CE QUI SE PASSE AUJOURD'HUI !

    LA LIBRE EXPRESSION

    06 h 04, le 22 décembre 2014

Retour en haut