Attaquée vendredi à Tripoli par des groupes de combattants islamistes proches du front al-Nosra, l'armée libanaise a pris hier, après trois jours de violents combats, le contrôle de leur fief de Bab el-Tebbaneh, après les avoir délogés des vieux souks où ils lui livraient une guérilla. Pour trancher militairement, et pour la première fois depuis des années, la troupe a fait usage de son artillerie, dans les dédales de Bab el-Tebbaneh.
Des milliers d'habitants ont dû fuir les zones bombardées. Les affrontements ont causé d'immenses dégâts aux anciens souks et à certains quartiers. Les combats, qui ont atteint pour la première fois le centre historique, ont fait 16 morts dont 11 soldats, selon un bilan provisoire. On ignore le bilan des pertes dans le camp des islamistes.
(Le feuilleton Chadi Mawlaoui..., le décryptage de Scarlett Haddad)
Témoin de la violence inédite de ces combats au cours desquels l'armée a utilisé son artillerie, ce qu'elle s'était toujours interdite de faire par le passé, une habitante de Bab el-Tebbaneh de 72 ans a affirmé à l'AFP n'avoir « jamais quitté Bab el-Tebbaneh, même au temps de la guerre civile ».
« Mais, cette fois-ci, j'ai dû quitter la maison avec mes cinq petits-enfants », a témoigné Oum Mohammad Jaabouri, portant une chemise de nuit bleue et un voile blanc. Car, raconte-t-elle, les combats ont été « d'une violence inouïe ». « J'ai vu les hommes armés se déplacer parmi les maisons, sur les toits des immeubles et tirer sur l'armée qui ripostait en lançant des obus, se souvient-elle. Un immeuble en face de chez nous a été dévoré par les flammes et la fumée a atteint notre maison. » Oum Mohammad Jaabouri fait partie des milliers de civils qui ont fui le quartier où vivent 100 000 personnes, se réfugiant chez des proches ou dans des écoles, et qui ne sont toujours pas rentrés chez eux.
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Fuites éperdues
Des témoins ont vu dimanche soir des scènes chaotiques, avec la fuite éperdue de femmes en pyjama et en pleurs, d'hommes portant des enfants mais aussi des personnes âgées. Des ambulances ont distribué des paquets de pain aux familles qui n'ont pu rentrer chez elles ou dont les domiciles ont été atteints par des obus. Les écoles et les universités à Tripoli sont restées fermées hier, et le ministre de l'Éducation nationale a ordonné pour aujourd'hui un second jour de fermeture préventive.
Des voitures calcinées étaient visibles à l'entrée de Bab el-Tebbaneh, dont l'accès était interdit à la presse par l'armée qui continue de mener des perquisitions et de neutraliser des mines.
« L'armée contrôle Bab el-Tebbaneh », a indiqué un porte-parole militaire, en précisant que 162 hommes armés avaient été arrêtés depuis le début des combats, vendredi. Et le porte-parole d'ajouter que des unités de l'armée recherchent activement des « terroristes » – seul nom que les communiqués militaires donnent aux combattants islamistes – dans les régions montagneuses (jurd) du Akkar et à Bhanine. Dans cette localité, un lieutenant a été superficiellement blessé au cours d'un bref échange de tirs, a-t-il précisé.
Parallèlement à ces battues, l'armée a fait circuler des patrouilles tout au long de la ligne séparant la région de Qammouha et le vieux Akkar jusqu'à Kobeyate et Beït Jaafar, ainsi qu'entre le chapelet de villages allant de Kobeyate à Biré et Kherbet Daoud, pour empêcher l'infiltration d'éléments venus de la Békaa et du Qalamoun syrien.
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Un arrangement ?
Le silence des canons et la disparition des combattants islamistes de Bab el-Tebbaneh, parmi lesquels il faut compter Chadi Mawlaoui et Oussama Mansour – dont les domiciles ont été perquisitionnés –, ont laissé croire qu'un arrangement a été conclu pour permettre aux groupes rebelles de s'enfuir. Et de citer à l'appui de leur hypothèse la réunion, dimanche soir, entre le mufti de Tripoli Malek Chaar et le rassemblement des ulémas musulmans, ainsi que des contacts pris par le ministre de la Justice, Achraf Rifi.
Toutefois, dans un communiqué, le commandement militaire a catégoriquement et explicitement démenti l'existence d'un quelconque « arrangement ». Le communiqué précise que l'armée a procédé à l'arrestation de « terroristes », ajoutant que d'autres sont parvenus à s'enfuir, « en raison de la nature de l'environnement urbain, non sans avoir placé des mines, pour retarder la progression de l'armée, notamment dans le secteur de la mosquée Abdallah ben Massoud ».
Dans un communiqué ultérieur, le commandement a conseillé aux fuyards de se rendre, se promettant de les retrouver et de les arrêter.
Alors qu'il prévoyait de tuer hier l'un des soldats retenus en otage en représailles aux combats à Tripoli, le front al-Nosra a levé sa menace dimanche en soirée. Dans un communiqué diffusé sur Internet, le groupe jihadiste a également annoncé la reprise des négociations pour la libération de ces otages, qu'al-Nosra souhaite toujours voir échangés contre des prisonniers islamistes détenus au Liban.
commentaires (7)
Tiens, tiens ! Elle a beaucoup de nouveaux "amis" cette armée, ces temps derniers !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
15 h 04, le 28 octobre 2014