Grégoire Delacourt et la formule du bonheur

«Une vie, et j'étais bien placé pour le savoir, vaut entre trente et quarante mille euros. Une vie ; le col enfin à dix centimètres, le souffle court, la naissance, le sang, les larmes, la joie, la douleur, le premier bain, les premières dents, les premiers pas, les mots nouveaux, la chute de vélo, l'appareil dentaire, la peur du tétanos, les blagues, les cousins, les vacances, les potes, les filles, les trahisons, le bien qu'on fait, l'envie de changer le monde (...) Combien valurent les nôtres?» C'est ainsi que démarre l'ouvrage de Grégoire Delacourt.
À force d'estimer, d'indemniser la vie des autres, un assureur va s'intéresser à la valeur de la sienne et emmener le lecteur dans les territoires les plus intimes de son humanité. Tout est dit avec Grégoire Delacourt en mots clairs, nets et crus. En phrases courtes ou en paragraphes longs sans ponctuation comme si une vie intime n'avait besoin ni de virgules ni de points.

Il ne craint pas de lancer à la figure de l'autre les blessures non cicatrisées, les secrets de famille enfouis et la descente aux enfers qui brouillent le bonheur carte postale. Antoine, son héros, arrive à tout détruire pour finalement se reconstruire et dévoiler cette force du pardon qui fait le propre de l'être humain.
L'auteur à qui on doit L'écrivain de la famille paru en 2011, un premier roman qui a récolté de nombreux prix, et La liste de mes envies, son deuxième, acheté par 27 pays et qui a fait l'objet d'une adaptation au théâtre en 2013 et au cinéma en 2014. Enfin, son troisième roman, La première chose qu'on regarde, publié en 2013, et actuellement ce bonheur perdu dont il pansera les blessures dans une géographie paradisiaque qu'est le Mexique.

Antoine le héros est un lâche, il a peur de crier, tel André Gide, «Famille je vous hais», mais c'est tout comme. Et même si à certains moments on perçoit du lacrymal et quelques phrases clichés – «Pourquoi est-ce lorsqu'on les perd qu'on croise enfin ceux qui nous ont manqué?» –, l'écriture de Delacourt – qui se déploie en chapitres courts sous le thème des nombres (comme la profession du héros) – est d'une poésie charnelle qui prend aux tripes. Cette plongée dans la noirceur des sentiments est si bouleversante qu'elle n'abandonne pas le lecteur même après avoir refermé le livre.

Extraits : «Je me suis dit que le bonheur on ne le sait qu'après; on ne sait jamais qu'on est en train de le vivre, contrairement à la douleur.»
«Au cimetière, il s'était mis à pleuvoir et les coiffures des dames s'étaient effondrées. Les larmes étaient devenues noires, bleues, vertes, brunes, orangées, violettes; toute la palette de Rimmel. Les visages des femmes ressemblaient à des dessins d'enfants; arbres rachitiques, toiles d'araignées, rayon de soleil, pluie bleue, blés noirs.»
«Il veut grandir vite et je lui conseille de prendre son temps, je lui rappelle que l'enfance est une chance. Un pays sans guerre. »

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