« Que signifient 6 à 7 désertions au sein d'une armée qui compte 60 000 éléments parmi ses effectifs ? » C'est par cette remarque qu'un haut gradé de l'armée expédie une question relative au phénomène de désertions qui ont eu lieu au sein de l'institution militaire depuis quelques semaines. C'est la même appréciation qu'en donne également un cheikh salafiste modéré de Tripoli, qui croit savoir que ceux qui ont quitté la troupe « représentent une infime minorité qui ne pèse pratiquement rien devant le poids réel et moral que constitue l'armée ».
Après les appels lancés par le front al-Nosra et le porte-parole des brigades Abdallah Azzam, Sourajeddine Zoureikate, aux soldats sunnites de l'armée les invitant à changer leur fusil d'épaule, c'était au tour d'un cheikh salafiste de Minié, Khaled Hoblos, l'imam de la mosquée Haroun, d'appeler les sunnites à la « désertion immédiate ». Le dignitaire sunnite, qui, manifestement, relève de Dar el-Fatwa, est un salafiste wahhabite non loin du discours jihadiste, qui n'a toutefois que peu de poids dans le milieu des islamistes, encore moins sur la scène sunnite tripolitaine, comme l'attestent ses confrères.
Quand bien même il aurait réussi à agglutiner quelques jeunes fidèles attisés par les récents développements sur la scène syrienne, et plus largement islamiste, le cheikh Hoblos n'a jamais véritablement réussi à s'imposer sur la scène salafiste ni à constituer un groupe d'adeptes propre à lui, assurent plusieurs cheikhs de la localité.
« Certains jeunes sont effectivement sensibles à son discours, mais cela ne va pas plus loin », confie l'un d'entre eux. Ce dernier tient d'ailleurs à faire la nette distinction entre l'appel à la désertion lancé par al-Nosra « qui, au Liban, a de plus en plus de sympathisants dans le milieu des jeunes » et celui du cheikh Hoblos, qui « est une sorte d'électron libre qui, certes, évolue dans la sphère de l'islam radical mais n'a aucun mouvement derrière lui ».
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Selon un cheikh de Minié, le cheikh Hoblos essaye tout simplement de créer un phénomène du style du cheikh Ahmad el-Assir, en tentant de s'imposer sur une scène salafiste où il n'avait aucun poids, en remplissant notamment le « vide » créé par l'annonce du cheikh Salem Raféi – l'un des médiateurs dans l'affaire des otages militaires, touché par balles à Ersal – de renoncer à jouer un rôle politique.
Une ambition que le cheikh Hoblos aurait développée pour avoir prêché quelques fois à la mosquée al-Takwa de Tripoli, les jours où il devait remplacer le cheikh Raféi.
Pour le président de l'association Iqra' pour le développement, le cheikh Bilal Dekmak, les propos du cheikh Hoblos resteront des paroles en l'air et n'expriment en aucun cas le climat sunnite général, qui reste dans sa majorité en faveur de l'armée. « Je ne pense pas qu'il y aura des réactions favorables à son appel. Par contre, il ne faut pas négliger la tension qui règne dans la rue tripolitaine du fait des multiples arrestations, souvent injustifiées, de jeunes soupçonnés à tort de radicalisme », dit-il.
Même son de cloche chez une source proche de la commission des ulémas sunnites qui craint fort que cette instance, « qui représente le courant modéré au sein de l'islamisme sunnite, ne puisse plus contrôler une jeunesse en ébullition, à cause précisément de ces arrestations arbitraires ».
Selon lui, ce sont désormais plusieurs centaines de jeunes – entre Tripoli et le Akkar – qui ont exprimé leur sympathie, voire pour certains leur allégeance, que ce soit à l'État islamique ou au front al-Nosra, « par dépit et en réaction à l'injustice qu'ils estiment subir ». « Il faut cesser de les pousser dans les bras de ces mouvances extrémistes », ajoute-t-il.
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« On ne peut pas faire la guerre contre le terrorisme en élargissant le cercle des accusés », renchérit pour sa part le député Misbah Ahdab, qui dénonce à son tour la poigne de fer des forces de l'ordre contre les jeunes sunnites, notamment ceux qui sont allés combattre en Syrie, qualifiés de « terroristes ». « Et quid du Hezbollah qui poursuit sa guerre dans ce pays ? » se demande le député.
Ce climat de tension et de ressentiment contre la troupe ne devait malheureusement pas tarder à se concrétiser quelques heures plus tard dans la capitale du Nord, où le groupe d'Oussama Mansour et de Chadi Mawlawi, devenus tristement célèbres pour avoir défié à plusieurs reprises l'armée et occupé pendant des semaines une mosquée de la ville, est passé à l'action.
Des combats violents ont opposé en soirée les soldats à ce groupe. Les accrochages auraient commencé lors d'une opération de perquisition effectuée par la troupe au domicile des parents d'Ahmad Mikati, alias Abou el-Hoda, arrêté jeudi par l'armée.
Ayant récemment prêté allégeance à l'organisation terroriste Daech, le jihadiste présumé, connu également sous le nom d'Abou Bakr, recrutait des Libanais pour rejoindre les jihadistes en Syrie. Les combats d'hier, qui se déroulaient dans la localité de Khan el-Aaskar et de Bab el-Hadid, ont fait au moins 15 blessés, dont 8 de l'armée et un civil.
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commentaires (4)
Simple retour de manivelle. Il ne fait qu'accumuler les gaffes, ce "commandement" de l'armée....
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
13 h 15, le 25 octobre 2014